Que s’est-il encore passé à Tanwalbougou, cette commune de Fada N'Gourma, ville de l’est du Burkina Faso?
Selon les témoignages recueillis par le Collectif contre l'impunité et la stigmatisation des communautés (CISC, qui regroupe une trentaine d’associations burkinabè œuvrant pour la plupart pour les droits humains), le 29 juin à Tanwalbougou, des éléments des forces de défense et de sécurité (FDS) ont «exécuté froidement» sept personnes sur les 12 interpellées chez le leader religieux de la localité.
«Très tôt dans la matinée du 29 juin, les parents des victimes nous ont informés que des éléments des FDS accompagnés de Volontaires pour la défense de la patrie [civils armés par les autorités] ont surgi à bord d’une douzaine de pick-up dans le campement peul de Tanwalbougou où ils ont embarqué douze hommes», a raconté à Sputnik le Dr Daouda Diallo, porte-parole du CISC.
Ces individus faisaient partie des dizaines de déplacés qui ont trouvé refuge auprès du très respecté leader religieux de Tanwalbougou, après les interpellations survenues le 11 mai dernier au marché de la commune qui ont débouché sur la mort de 12 personnes soupçonnées de «faits de terrorisme» dans des circonstances non encore élucidées (l’enquête des autorités étant en cours).
«Aussitôt informés par les parents des victimes de l’interpellation des 12 hommes, nous avons alerté la hiérarchie militaire et les autorités administratives afin de prévenir un drame comme celui du 11 mai. On nous a alors assuré que ces interpellations relevaient de simples vérifications. Mais sept d’entre eux ont été exécutés, les cinq autres bastonnés et abandonnés dans un état critique», poursuit Daouda Diallo.
Pour le porte-parole du CISC, les FDS sont les responsables de ces drames, mais pas seulement eux.
Les Volontaires également mis en cause
Âgés de 18 ans au moins, les Volontaires pour la défense de la patrie sont des civils mobilisés et armés par le ministère de la Défense. Leur recrutement à titre de supplétif aux FDS dans la lutte antiterroriste, entériné depuis le 21 janvier 2020 par une loi, demeure encore largement controversé.
Fabrice Bamouni, secrétaire général de la Fédération des associations des Burkinabè de Côte d’Ivoire (Fedabci) jugeait déjà, en novembre dernier, «suicidaire» l’idée de leur enrôlement. Et le Dr Daouda Diallo abonde dans ce sens. Selon lui, «leur recrutement n'a pas respecté l’esprit de la loi adoptée à l'Assemblée nationale qui prévoyait que cela se fasse au niveau local».
«Les jeunes recrutés devaient jouir d’une bonne moralité et leur candidature devait être validée par les populations au niveau local. Mais dans les faits, ce n’est généralement pas le cas. Ces jeunes sont au contraire parachutés dans les villages munis de kalachnikovs, alors qu’il était prévu qu’ils ne disposent, à la limite, que de pistolets pour être seulement en renfort de l’armée dans ses opérations», a-t-il déclaré.
Daouda Diallo estime que dans tous les villages où ces milices armées abusivement, appelées Volontaires pour la défense de la patrie, agissent, il n’y en a pas un seul où ils ont contribué à garantir un espace de sécurité aux populations et aux biens. «Bien au contraire, partout où ils interviennent, l'insécurité gagne du terrain et se rapproche de plus en plus de la capitale Ouagadougou», a-t-il ajouté.
«Un génocide en cours»
La stigmatisation des Peuls au Burkina Faso remonte à plusieurs années avant les premières attaques terroristes en 2015 qui ont fait, à ce jour, près de 900 morts.
«Selon les chiffres du ministère des Ressources animales et halieutiques, de 2008 à 2014, à la faveur des conflits entre agriculteurs et éleveurs, la communauté peule a été victime de plus de 3.000 agressions qui ont occasionné plus de 200 morts», a indiqué Daouda Diallo.
La précarité de la situation sécuritaire depuis 2015 est venue exacerber et donner une touche encore plus dramatique aux tensions préexistantes.
Et le fait que certains Peuls aient rejoint les rangs de factions djihadistes ou même en soient les fondateurs, comme c’est le cas d’Ibrahim Malam Dicko avec Ansarul Islam, a favorisé l'amalgame entre djihadistes et Peuls, et encourage notamment des groupes d’autodéfense comme les Koglweogo, de la communauté mossi majoritaire dans le pays, à mener des actions punitives.
En effet, début janvier 2019, en représailles à l'assassinat, imputé à des terroristes, du chef du village de Yirgou, situé dans la province du Sanmatenga (centre-nord du Burkina Faso), les Koglweogo s’en sont pris à des Peuls de la localité, ainsi à ceux des villages environnants.
Le bilan de ces violences –les premières du genre depuis le début des attaques djihadistes au Burkina Faso– est estimé à 49 morts, selon les autorités, mais plus de 200 d’après le CISC. Et pour Daouda Diallo, les événements de mai et juin 2020 à Tanwalbougou «ne sont que la suite logique du processus entamé à Yirgou».
«On peut considérer que les tueries de masse des Peuls ont débuté avec le massacre de Yirgou. Ces violences ont choqué les Burkinabè au point que la justice les a qualifiées de crimes de génocide. En effet, on retrouve dans ces tueries les trois critères majeurs du génocide que sont le ciblage (essentiellement des Peuls tués), l’ampleur (20 villages touchés) et la planification», a déclaré le porte-parole du CISC.
Pour justifier ce dernier critère, Daouda Diallo relève –à la suite des constats d’autres organisations des droits humains– que le fait que des Koglweogo aient parcouru jusqu'à 180 km pour rallier en quelques heures Yirgou, en dépit de routes difficilement praticables, dénote une préméditation du massacre.
Réagissant à la découverte des sept corps d’individus morts par balles, le ministère de la Défense a, dans un communiqué du 1er juillet, annoncé une enquête administrative afin de faire la lumière sur cet événement, et assuré que «si la responsabilité d’éléments des FDS est établie, les auteurs répondront de leurs actes».
«Nous sommes las des discours et communiqués. Le manque de fermeté et de rigueur des autorités sur tous ces crimes de masse est loin de rassurer. Désormais, nous attendons de l’État des actions concrètes, fortes et rapides sur le terrain», a rétorqué Daouda Diallo.
Une source bien renseignée de la société civile burkinabè a affirmé à Sputnik que l’officier ayant conduit l’opération du 29 juin à Tanwalbougou serait déjà relevé de ses fonctions et mis aux arrêts. Une information qui n’est toutefois pas confirmée, ce 3 juillet à 12h GMT, par les autorités burkinabè.