Ce n’est pas du cinéma et ce ne sont pas de romantiques Pirates des Caraïbes. Ces derniers mois, de nombreux actes de piraterie ont été commis dans le golfe du Mexique, en particulier dans la baie de Campeche, ville portuaire et colorée de l’Est du pays, qui compte 220.000 habitants.
Si la situation préoccupe depuis plusieurs mois Mexico, elle commence aussi sérieusement à inquiéter les autorités américaines. Le 17 juin dernier, Washington a tenu à mettre en garde contre la menace que représentaient les pirates pour l’industrie pétrolière dans la région, industrie formée de nombreux intérêts étrangers.
«Des groupes criminels armés sont reconnus pour viser et voler des navires commerciaux, des plateformes pétrolières et des navires de ravitaillement offshore dans la région de la baie de Campeche», a déclaré le département d’État américain dans un communiqué spécial.
Le modus operandi des bandits est sensiblement toujours le même: par petits groupes de cinq à huit et lourdement armés, ils parviennent à entrer sur les vaisseaux et plateformes pétrolières qu’ils ont en ligne de mire.
Washington et Mexico fortement préoccupés
Selon ce que relatent des médias américains et mexicains, les objets que dérobent les pirates sont variés: argent liquide, téléphones portables, ordinateurs, appareils de navigation et de communication. Certains pirates dérobent également des matériaux de construction, des moteurs en tout genre et des ensembles de projecteurs lumineux servant à guider l’atterrissage des hélicoptères.
Dans des cas plus rares, «les pirates s’accaparent facilement le pétrole et c’est encore en cours», confirme à Sputnik Lee Oughton, directeur des opérations de Fortress Risk Management, une compagnie qui aide les groupes pétroliers de la région visée à assurer leur sécurité.
«Les ports de Lázaro Cárdenas et de Manzanillo sont connus pour être des centres névralgiques des gangs criminels. Ce sont les passerelles des chaînes d'approvisionnement et les rampes de lancement du marché noir», souligne-t-il.
Selon M. Oughton, des barils de pétrole volés sont expédiés aussi loin que la Chine. Des vols de carburant en mer qui s’ajoutent aux milliers d’autres commis chaque année sur le territoire mexicain par des citoyens et des organisations mafieuses. En janvier 2019, l’explosion d’un oléoduc causait la mort d’une centaine de personnes venues récolter illégalement du carburant, dans l’État d’Hidalgo.
«On estime que le vol [de carburant, ndlr] au Mexique peut atteindre 1,18 million de barils par jour, ce qui fournit des millions à des organisations criminelles», déclarait à Fox News Johan Obdola, fondateur de l’Organisation mondiale pour la sécurité et le renseignement.
Lee Oughton souligne en entrevue qu’au début, la piraterie dans le Golfe était le fruit de petits pêcheurs précaires, mais qu’elle a par la suite évolué et attiré d’importants cartels de la drogue et autres groupes criminels.
«Les bandits ont gagné en ressources et en capacité d’action. Ils utilisent des moyens plus sophistiqués. Cela dit, ils sont encore loin des pirates du golfe d’Aden, autour de la Corne de l’Afrique. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’ils ne saisiront pas l’occasion d’imiter leur style d’attaque», prévient Lee Oughton en entrevue avec Sputnik.
Des pirates au «style somalien»
Rockford Weitz, expert des questions maritimes et professeur de droit à l’Université Tufts, près de Boston aux États-Unis, estime que les pirates profitent de l’intensification des échanges commerciaux pour trouver «des cibles faciles». M. Weitz étudie les réseaux criminels internationaux depuis 15 ans.
«Ce qui est intéressant de voir, c’est que ce genre d’activité criminelle, qu’elle soit en Somalie, en Indonésie ou dans les Caraïbes, a les mêmes connexions et intérêts liés au trafic de drogue, au trafic humain, etc. Ce qu’on voit dans le golfe du Mexique depuis trois ans, ce sont des organisations qui tirent profit du manque de ressources de la marine mexicaine. […] La piraterie dans la région est probablement à la fois une combinaison de groupes locaux et de grands réseaux internationaux qui peuvent travailler ensemble», explique le professeur à Sputnik.
Que faire alors pour empêcher toutes ces attaques? Selon Rockford Weitz, le gouvernement mexicain et les différents acteurs de l’industrie du pétrole devraient d’abord initier un «partenariat public-privé».
«Mexico doit favoriser la collaboration et peut-être travailler discrètement aussi avec la garde côtière américaine et la marine américaine. Il faut favoriser le partage d’informations. Les entreprises étrangères sont prêtes à collaborer et à faire appel à des firmes de protection privées», précise-t-il.
Directeur des opérations de Fortress, Lee Oughton partage l’avis de cet expert en questions maritimes. Il croit aussi que la solution réside dans une «réponse coordonnée».
«Les opérateurs internationaux connaissent de mieux en mieux le mode de fonctionnement des pirates. Ils emploient des entreprises locales comme la nôtre ayant développé un domaine d’expertise au sein de la marine mexicaine. […] Ce n’est qu’une question de temps avant que l’industrie de la sécurité privée comble le manque de ressources et d’expertise de la marine mexicaine», estime l’expert.
Historien et auteur d’un livre sur la piraterie dans le golfe du Mexique aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Antonio García de León observe certaines similitudes entre la piraterie d’hier et d’aujourd’hui:
«Il y a effectivement certaines caractéristiques communes, bien que le phénomène présente plusieurs nouveaux aspects. La manière d’attaquer avec de petites embarcations est assez similaire. […] Dans une certaine mesure, on pourrait dire que ces truands rappellent l’époque où les pirates ont cessé de servir de grandes puissances coloniales pour se diviser en petits groupes indépendants», précise-t-il au micro de Sputnik.
«La piraterie représente un énorme défi pour le Président mexicain Andrés Manuel López Obrador. C’est certain que les investisseurs qui doivent évaluer le retour sur investissement de leurs opérations sont préoccupés, mais cela ne veut pas dire que la situation les découragera complètement. Le Mexique reste encore une meilleure option que des pays comme le Venezuela, la Guyane et le Suriname», a-t-il conclu.