Covid-19: la Chine mise à l’amende? «Personne n’a demandé à Washington de financer le coût de la crise de 2008»

Des informations contradictoires circulent sur la santé économique de la Chine. Entre espoir de reprise et études pessimistes, l’empire du Milieu voit-il réellement son économie repartir? Quelles sont les dangers qui pèsent sur cette dernière? Sputnik fait le point avec Mary-Françoise Renard, économiste et spécialiste de la Chine.
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L’usine du monde est-elle repartie de plus belle? Difficile à dire. Terre d’origine de la pandémie de coronavirus, la Chine a vu, à l’instar de nombreux pays du monde, son économie fortement souffrir de cette crise sanitaire. Habituée à enregistrer des chiffres de croissance très élevés, la Chine a subi une chute de l’ordre de 6,8% de son produit intérieur brut (PIB) au premier trimestre. Un chiffre record.

Le 8 avril dernier, le déconfinement opéré à Wuhan, premier épicentre du Covid-19, sonnait comme un symbole: le coronavirus était (presque) maté et la Chine allait pouvoir relancer une économie fortement perturbée pendant des semaines.

Une reprise en demi-teinte

Deux mois et demi plus tard, où en est l’économie chinoise? Mary-Françoise Renard, économiste, professeur à l’Université d’Auvergne et responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine, évoque une reprise en demi-teinte:

«D’après mes observations, je note que la reprise est réelle. En revanche, elle est très inégale selon les secteurs. L’automobile se porte mieux, par exemple. Il faut dire que ce commerce profite de la volonté de nombreux Chinois de privilégier les trajets individuels du fait de la crise sanitaire.»

Dans leur rapport trimestriel récemment publié, les analystes de Bloomberg ont revu à la hausse les perspectives sur la croissance chinoise. Ils voient désormais le PIB évoluer à +1,8%, contre +1,7% précédemment.

Selon leurs chiffres, la croissance a augmenté de 1,5% au deuxième trimestre. «La production industrielle et celle du secteur des services ayant toutes les deux repris un chemin de croissance, nous prévoyons maintenant une augmentation positive du PIB pour le deuxième trimestre», a notamment lancé Aidan Yao, économiste principale de AXA SA à Hong Kong.

​Le son de cloche est bien différent du côté de la China Beige Book (CBB). L’organisme a mené une enquête indépendante auprès de plus de 3.300 entreprises. Et d’après les résultats obtenus, la Chine est au début d’une récession. Des indicateurs clefs tels que les profits manufacturiers, les dépenses en capital ou les volumes de vente au détail demeurent à des niveaux historiquement bas selon le rapport, qui souligne que ces derniers se sont à peine améliorés au deuxième trimestre.

D’après la CBB, le secteur du commerce de détail est le plus impacté. La forte baisse des coûts du crédit voulue par Pékin afin de relancer l’économie n’a visiblement que peu poussé les commerçants en difficultés à emprunter.

«L’État est intervenu de façon relativement importante, mais pas aussi massivement que ce que l’on pourrait croire. Les actions ont été ciblées sur certains secteurs et notamment dirigées vers le soutien aux petites entreprises. Ce sont elles qui souffrent en premier lieu de la situation. En Chine comme partout, les grands groupes sont plus résilients», analyse Mary-Françoise Renard.

Il y a tout de même des motifs d’optimisme, notamment du côté du secteur manufacturier, qui continue de se redresser.

Une «tuerie de masse mondiale» provoquée par la Chine: Trump cherche-t-il un bouc émissaire?

L’un des problèmes principaux de l’économie chinoise demeure, d’après la CBB, la faiblesse de la demande à l’international. De nombreuses économies clientes de la Chine souffrent fortement de la crise. Pékin s’efforce depuis plusieurs années de modifier son modèle économique afin de stimuler la demande intérieure et d’ainsi moins dépendre des exportations. Les régions les moins exposées à la chute de la demande internationale ont bénéficié d’un rebond de la consommation intérieure, selon la CBB.

Reste que la Chine dépend encore fortement des exportations afin de soutenir son économie, comme le souligne l’étude: «L’éventuel retour de la croissance ne signifie pas de revenir aux niveaux de croissance précédents.» Et d’ajouter: «Tant que la demande mondiale ne se rétablira pas plus vigoureusement, l’amélioration trimestrielle progressive qui vient d’être observée aura pour conséquence une contraction pour l’année 2020.»

Un changement de modèle économique toujours en cours

«L’environnement international ne favorise pas la situation de la Chine, qui est un pays très ouvert aux investissements étrangers. Ils ont d’ailleurs continué à affluer en 2020. Malheureusement pour elle, le commerce international a été fortement impacté par la crise du Covid-19. Les exportations restent très importantes pour certains secteurs et régions. Ils sont donc pénalisés», explique Mary-Françoise Renard. Elle voit cependant une autre cause d’importance pour expliquer la reprise difficile que connaît la Chine. Selon la spécialiste, «la faible reprise de la consommation demeure le principal problème de l’économie chinoise»:

«Les gens sont inquiets par rapport à l’avenir. La Chine n’est pas un État-providence. L’épargne est nécessaire au financement de leur retraite, aux dépenses de santé ou d’éducation. Un tel contexte rend difficile un redémarrage solide de la consommation. Mais ce n’est pas un phénomène totalement nouveau que les Chinois aient besoin d’une épargne de précaution. Il ne faut pas sous-estimer l’impact psychologique de la crise, qui pousse les individus à plus de précautions concernant leurs dépenses.»

Le changement de modèle de la Chine serait-il loin d’être achevé? C’est qu’affirme Mary-Françoise Renard, qui souligne que «la consommation intérieure devrait soutenir la croissance quand les exportations ne sont plus le moteur de la croissance»:

«La transition de modèle économique n’est pas prête d’être terminée pour deux raisons. La première est que si certaines réformes d’importance ont été menées à bout comme celles sur le secteur financier ou l’ouverture à l’international sur le secteur des assurances, beaucoup d’entre elles ont été repoussées. Notamment celle sur les entreprises d’État.
La deuxième raison revient à ce que j’ai évoqué précédemment, à savoir que la Chine n’est pas un État qui fait dans le social. Les citoyens sont poussés à épargner. Ils savent qu’à la fin de leur vie, leur revenu sera très faible. Ils ont donc besoin d’avoir de l’argent de côté. Ce contexte n’est pas propice à la consommation.»

L’économiste fait un parallèle avec la France: «Si elle a pu profiter d’une reprise économique plus rapide que celle de ses voisins après la crise de 2008, c’est grâce à son État-providence. L’impact du choc économique a été non seulement moins fort pour beaucoup de Français, mais nombre d’entre eux ont pu se remettre à consommer dès la reprise sans avoir la nécessité de mettre de côté pour faire face à des frais de santé, etc.»

Le coronavirus fera-t-il de la Chine le nouveau maître du monde?

D’autres dangers guettent l’économie chinoise. Les propos agressifs de Donald Trump qui accuse sans cesse Pékin d’être en partie responsable de l’épidémie laissent planer le spectre d’un retour en force de la guerre commerciale. Le 20 juin dernier, le locataire de la Maison-Blanche, alors en meeting dans l’Oklahoma, a affublé le SARS-CoV-2 du surnom de «Kung Flu», contraction de l’art martial chinois Kung fu et du mot «flu» voulant dire «grippe» en anglais.
Une saillie qui n’a pas fait rire Pékin, qui a répondu à Donald Trump par l’intermédiaire de sa diplomatie. Cette dernière a rappelé que «la Chine s’oppose résolument au fait d’utiliser l’origine du virus dans le but de stigmatiser» le pays.

Plus qu’une guerre des mots, c’est l’impact financier des tensions diplomatiques entre Washington et Pékin qui provoque l’inquiétude au niveau économique. D’autre part, la Henry Jackson Society, think tank conservateur basé à Londres, estime que la Chine devrait s’acquitter de milliers de milliards de dollars de compensation aux autres nations pour sa soi-disant responsabilité dans la pandémie. De quoi donner des idées?

La crainte d’une deuxième vague

«Le conflit diplomatique entre les États-Unis et la Chine est en effet sérieux. Il est né de l’opposition entre Donald Trump et Xi Jinping, le Président chinois. Mais pas que. Il ne faut pas croire que parce que Donald Trump parle de Xi Jinping et de la Chine en mauvais termes, il pense du bien de l’Europe et que cette dernière n’a pas à se méfier des États-Unis. Cela serait naïf. La position américaine reste “America first”. Selon eux, ce sont aux autres pays de s’adapter. Il existe une hégémonie américaine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est incontestable. Et celle-ci est aujourd’hui remise en cause», note Mary-Françoise Renard.

«Personne n’a demandé à Washington de financer le coût de la crise de 2008. Elle était pourtant originaire des États-Unis. Je ne pense pas que l’on demande à la Chine de passer à la caisse pour la pandémie de Covid-19», ajoute-t-elle.

Et de poursuivre: «Le discours politique est sérieux et grave. De l’autre côté, les relations économiques se poursuivent. Les entreprises étrangères et notamment américaines continuent de faire du commerce avec la Chine et d’y investir.»

​«Il faut garder à l’esprit que beaucoup de pays sont dépendants de la Chine de la même manière qu’elle est dépendante du reste du monde. Si la façon dont le commerce international a été organisé a probablement accru les inégalités, au moins de manière indirecte, il a tout de même le mérite de maintenir les relations entre les pays. Trop d’intérêts économiques sont en jeu pour couper les relations», ajoute-t-elle.

​La pandémie reste cependant le risque principal qui pèse sur l’économie chinoise et mondiale. À l’instar de pays comme le Portugal ou l’Allemagne, la Chine a récemment été obligée de confiner plusieurs zones résidentielles de sa capitale. Des établissements scolaires ont été fermés et des milliers de sites de test ont été ouverts afin de dépister les habitants. D’après L’Obs, qui se base sur les informations de l’agence de presse Chine nouvelle, ce ne sont pas moins de 2,3 millions d’échantillons qui ont été récemment prélevés afin d’empêcher la levée d’une deuxième vague.

«Il est impossible de prévoir avec certitude si cette deuxième vague sera une réalité en Chine comme ailleurs. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin ou qu’une grande partie de la population aura été contaminée, le risque sanitaire demeurera. Tant qu’il s’agit de clusters et que les foyers sont ciblés, il est plus facile d’agir», souligne Mary-Françoise Renard. Et de conclure:

«La Chine connaît désormais le problème et sera en capacité de réagir. La situation pourrait être très compliquée au niveau économique, mais nous manquons de données pour faire des prévisions. Combien de temps cela va-t-il durer? Est-ce que d’autres provinces seront touchées? Pour le moment, le nombre de cas comparé à la population est marginal. Reste qu’évidemment, le confinement est nécessaire vu la vitesse de propagation du virus.»
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