«Je reçois cette demande de candidature comme une mission de salut public découlant d’une attente forte de la base, m’imposant ainsi l’obligation de [prendre part à] cette convention»
C’est par ces mots que l’ancien Président ivoirien (1993-1999), Henri Konan Bédié, a clairement fait part de ses ambitions aux représentants de son parti, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-opposition). Réunie le 20 juin à son domicile d’Abidjan, la délégation de quelques dizaines de cadres et de militants était venue l’exhorter à se présenter à la convention d’investiture (25 et 26 juillet prochains) pour l’élection présidentielle qui aura lieu en octobre 2020.
Dix ans après sa dernière candidature, Henri Konan Bédié qui, présidentielle après présidentielle, apparaît encore, à 86 ans, comme le candidat naturel du plus vieux parti de Côte d’Ivoire, s’est remis en selle pour reconquérir un pouvoir qui lui a échappé 20 ans auparavant avec le coup d’État militaire du 24 décembre 1999.
Un candidat qui a toutes ses chances
Unique candidat après le retrait de Jean-Louis Billon, ancien ministre du Commerce et actuel secrétaire exécutif à la Communication et à la propagande du PDCI, qui incarne aux yeux de nombreux Ivoiriens l’une des figures jeunes et présidentiables de cette formation politique, Henri Konan Bédié devrait, sauf coup de théâtre, être investi pour le scrutin présidentiel d’octobre 2020.
Si la probable investiture de l’ancien chef de l’État suscite de vives réactions, notamment sur les réseaux sociaux, l’analyste politique Mamadou Habib Karamoko souligne au micro de Sputnik que «Henri Konan Bédié candidat du PDCI, c’est avant tout l’affaire du PDCI, quoiqu’on en dise». Aussi rappelle-t-il que «la Constitution ivoirienne n’interdit aucunement sa candidature à la présidentielle».
En effet, depuis la Constitution de 2016, approuvée à 93% par les Ivoiriens, la limite d’âge et la visite médicale pour attester du bien-être physique et mental ont été levées.
La Constitution de 2000 avait été modifiée car le pouvoir de Ouattara estimait qu'elle excluait une catégorie d'Ivoiriens, notamment en ce qu'elle exigeait du candidat à la présidentielle d'être né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens d'origine. Une condition qui était, selon les autorités, à la base des crises qu'a connues le pays durant la décennie 2000. La Constitution de 2016 a déboulonné, dans la foulée, le verrou lié à l’âge.
«Il ne faut pas, après avoir voté la Constitution à 93% il y a quatre ans, s’offusquer de ce que Henri Konan Bédié soit candidat. L’attaquer sur son grand âge, c’est donc faire preuve d’incohérence. Et ceux qui le font auront toujours tort », a-t-il déclaré.
Mamadou Habib Karamoko, reconnaît avoir, comme certains observateurs, «pensé que l’attitude d’Henri Konan Bédié qui laissait planer un doute sur sa candidature n’était en fait qu’une diversion pour protéger le véritable candidat du PDCI qui ne serait révélé qu’au dernier moment». Mais la réunion du 20 juin semble avoir levé tout doute sur les ambitions présidentielles de l’ancien chef de l’État.
L’analyste estime toutefois que l’ancien Président, qui a pour lui «l’expérience et la connaissance des affaires de l’État et qui incarne traditionnellement aux yeux du monde rural la continuité de l’œuvre de Félix Houphouët Boigny (père de l’indépendance ivoirienne)» aura toutes ses chances lors du scrutin qui se tiendra dans quatre mois, notamment au regard de la situation géopolitique de Côte d’Ivoire.
«Les partis politiques en Côte d’Ivoire sont encore hélas calqués sur des aires ethno-régionales. Bédié est le dernier symbole vivant de l’Houphouëtisme et le chef du PDCI dont l’électorat traditionnel Akan-Baoulé (groupe ethnique à laquelle il appartient) est assez conservateur. Dans ce parti, tout s’articule autour de lui. Et pour cette élection présidentielle, il aura à ses côtés des jeunes loups qui pourront tenir la dragée haute aux autres partis, notamment sur le plan du marketing électoral », a-t-il déclaré au micro de Sputnik.
Pour certains observateurs, la stratégie du PDCI va probablement consister en un tandem Bédié-Billon, avec Billon nommé vice-Président ou Premier ministre, et au final véritable exécutant du pouvoir.
Pour d’autres, le vice-Président pourrait être issu du Front populaire ivoirien (FPI, parti de Laurent Gbagbo), au vu de l’alliance PDCI-FPI qui n’a pas encore désigné de candidat.
Henri Konan Bédié a assuré qu’une victoire à la prochaine élection présidentielle «permettra aux jeunes de Côte d’Ivoire d’accéder aux responsabilités pleines et entières dans la gestion des affaires publiques». Des jeunes qui pour certains, n’ont pourtant pas hésité à railler cette annonce sur les réseaux sociaux et surtout à exprimer leur aspiration à voir des visages plus jeunes à la tête du pays.
Mamadou Habib Karamoko rappelle qu’en Côte d’Ivoire, les jeunes de moins de 35 ans représentent 78% de la population et sont pour la plupart «instrumentalisés par les hommes politiques, leur choix pour la Côte d’Ivoire est de fait déterminé par ces derniers ».
Une revanche personnelle sur l’Histoire?
Pour de nombreux observateurs, dont Mamadou Habib Karamoko, 2020 est l’ultime chance pour Henri Konan Bédié de prendre sa revanche sur l’Histoire. Cet analyste reconnaît qu’à 86 ans, le patriarche et faiseur de paix aurait mieux fait de faire office de vieux sage.
«À 86 ans, pour le patriarche et faiseur de paix qu’il est devenu grâce à son attitude lors de la présidentielle de 2010, mais aussi sa vigueur réduite avec l’âge, le bon sens aurait voulu que Henri Konan Bédié soit en retrait. Depuis l’âge de 25 ans, il a occupé toutes sortes de responsabilités (ambassadeur, ministre, président de l’Assemblée nationale) jusqu’à la magistrature suprême (1993-1999), avant d’être écarté par un coup d’État. On peut comprendre cette volonté de revenir au pouvoir, d’abord par orgueil personnel, mais aussi pour venir achever le travail qu’il avait entamé », a déclaré Mamadou Habib Karamoko.
Henri Konan Bédié avait pourtant déclaré à plusieurs reprises qu’il ne serait pas candidat à 80 ans révolus.
Avec ce revirement de situation, le Président Alassane Ouattara, qui a solennellement annoncé le 5 mars dernier, devant les parlementaires Ivoiriens, son intention de ne pas briguer un troisième mandat et surtout de transférer le pouvoir à une jeune génération, pourrait revenir sur sa décision.
En effet, Alassane Ouattara avait indiqué en novembre 2019 qu’il reconsidérerait sa position en cas de candidatures de «ceux de sa génération», faisant allusion, sans les nommer, aux anciens Présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo.