Le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd le 25 mai par un policier blanc à Minneapolis a ravivé la douleur des souvenirs coloniaux et insufflé une seconde jeunesse aux résistances contre les racismes présumés à travers le monde, notamment en Afrique.
dans la capitale ou d’autres grandes villes du Sénégal, des figures coloniales (ou françaises post-coloniales) demeurent très présentes.
Débaptiser les noms des rues coloniales «ne fait pas recouvrer sa dignité», rappelle un internaute. Une façon d’arbitrer entre ceux qui appellent de leurs vœux une sénégalisation, ou africanisation, des espaces urbains; et ceux, plus prudents, qui estiment que la question ne se pose pas en termes de «dignité» puisqu’il s’agit d’un legs de l’histoire du pays qu’il faut accepter, fût-il colonial. Selon le Pr Iba Der Thiam, historien et ancien ministre de l’Éducation nationale, les Sénégalais ont raison de poser ce débat.
«J’estime que la question n’est pas encore posée véritablement. Quand les hommes politiques la poseront et en feront un consensus pour ensemble agir, on pourra en sortir.»
«Faidherbe a mis en place les bases idéologiques de l’occupation française du Sénégal et de l’Afrique occidentale. Il était le grand acteur de cette entreprise coloniale qui ouvrait une ère d’oppression et d’assujettissement. Son action montre qu’il n’y a pas de "colonisateur de bonne volonté". Un colonisateur est un acteur d’une idéologie dominante et meurtrière», explique à Sputnik l’universitaire sénégalais Khadim Ndiaye, chercheur en Histoire qui vit à Montréal.
À l’heure où des statues qui représentent des «colons» et/ou des «racistes» tombent ou sont promises à la démolition, celle de Faidherbe ne semble pas prête de finir en poussière.
Érigée à Saint-Louis, ancienne capitale du Sénégal, elle a été déboulonnée en 2017 en raison de violentes intempéries. Entre ceux qui réclamaient sa destruction pure et simple et ceux qui souhaitaient sa restauration, Mansour Faye, maire de la ville et accessoirement beau-frère du Président Macky Sall, avait préféré réhabiliter le monument et perpétuer l’hommage rendu au colon: «À son gouverneur Louis Faidherbe, le Sénégal reconnaissant», figure toujours au pied de la statue. Dans une lettre ouverte à Mansour Faye, Khadim Ndiaye avait exprimé son courroux.
«Monsieur le maire, on n’efface pas le passé en faisant tomber la statue d’un oppresseur. On peut enseigner une histoire douloureuse en étant le plus objectif possible, sans graver sur la pierre des bourreaux. Au colonisé à qui l’on a dénié l’histoire, la morale, la religion, les héros, etc., il serait bien, à des fins thérapeutiques, de montrer des figures de résistance locale qui incarnent la haute stature morale, des figures historiques nationales qui flattent et revigorent la fierté et l’estime perdues.»
Le legs colonial divise au Sénégal
À Saint-Louis, ex-cité coloniale construite en partie sur une île, Faidherbe semble jouir du don d’ubiquité. Au-delà de la statue, il faut passer par le célèbre Pont Faidherbe pour accéder à la ville. Cet ouvrage de 515 mètres qui se jette sur le fleuve Sénégal est incontournable pour l’économie locale, les populations et les véhicules. Souvent menacé par les érosions et l’usure du temps, il a été réhabilité en 2011 par le gouvernement d’Abdoulaye Wade à hauteur de 22 milliards de francs CFA (33,5 millions d’euros) avec un coup de pouce de l’Agence française de développement (AFD).
Le Pr. Iba Der Thiam, historien, ancien ministre de l’Éducation nationale
«Il y a une bataille, quand vous la perdez, vous perdez toutes les autres. C’est celle des symboles et de l’imaginaire. Quand vous n’avez plus la conscience du passé, vous perdez le but puissant qui fait la force d’un peuple et qui lui donne une orientation», semble lui répondre l’universitaire Khadim Ndiaye. «Cette statue de Faidherbe représente le bourreau sanctifié, l’accoutumance à la figure de l’oppresseur, le tortionnaire glorifié et la figure du criminel immortalisée. Elle consacre le point de vue du colon, sa version de l’histoire.»
Les symboles et l’imaginaire
Si aux États-Unis, Nancy Pelosi, chef des démocrates à la Chambre des Représentants, a récemment demandé le retrait du Capitole de 11 statues représentant des responsables du mouvement esclavagiste américain, Emmanuel Macron s’arc-boute au «patrimoine» historique de la France refusant même de toucher à la statue du ministre Colbert, l’auteur du Code noir de 1685 sous le règne du roi Louis XIV. Pour l’historien Khadim Ndiaye, la posture du Président français manque de cohérence.
«On lui demandera tout simplement d’aller jusqu’au bout de sa logique en replaçant la statue du Maréchal Pétain dans la ville de Vichy. Pétain n’a-t-il pas été ce grand soldat de la Grande Guerre? Un des grands artisans de la victoire de Verdun?»