Les pays du Golfe sont-ils irréconciliables? Après trois années d’une crise qui a tourné à la guerre de positions, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) poursuivent leur entreprise de déstabilisation du Qatar et semblent ne pas dévier de leur ligne agressive.
En effet, Abdallah Al-Mouallimi, le représentant de l’Arabie saoudite auprès des Nations unies a déclaré à la BBC ce 6 juin 2020 que le quatuor rétablirait ses relations avec le Qatar si ce dernier acceptait ses demandes. Des exigences qui reviendraient à faire du petit émirat un satellite de Riyad et d’Abou Dabi et qui ont été annoncées il y a déjà trois ans.
Rien n’a-t-il donc changé depuis le début officiel de la crise, survenue le 5 juin 2017? Dans ce nouveau Désalliances l’Entretien, Olivier Da Lage, journaliste, rédacteur en chef à RFI et spécialiste de la péninsule arabique, revient sur cette déclaration et sur le dernier épisode de cette longue série où, par l’intermédiaire de Twitter, des comptes reliés aux Émirats ont annoncé un coup d’État à Doha:
«Je ne dirais pas que c’est mystérieux, mais ça montre que les rancunes ont la vie dure, que les causes à la fois lointaine et immédiate de cette hostilité sont toujours présentes. Et que même lorsqu’on a pu croire à un certain dégel, à une baisse de la tension, rien n’avait véritablement changé.»
Le quatuor, composé de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de Bahreïn et de l’Égypte, continue donc sa politique agressive envers le Qatar. Mais depuis trois ans, ce dernier a fait mieux que résister à la pression:
«Quand vous utilisez un marteau-pilon pour tuer une mouche –bien que le Qatar ne soit pas une mouche– et que trois ans après, la mouche est toujours là, vivante et vous nargue, c’est humiliant pour celui qui utilise le marteau-pilon», ironise Olivier Da Lage.
Pour le rédacteur en chef à RFI, l’Arabie saoudite et les EAU n’ont cessé de s’humilier, notamment parce que le blocus qu’ils ont infligé au Qatar en fermant la seule frontière terrestre du petit émirat et en interdisant leurs espaces aériens à la compagnie Qatar Airways n’a pas fait chuter leur adversaire. Au contraire, Doha s’est adapté et s’est renforcé, aussi bien sur la scène locale qu’à l’international:
«Je pense qu’il y a eu une surestimation du rapport de forces en faveur de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de Bahreïn et de l’Égypte, qui pouvaient à l’époque se prévaloir du soutien de Trump. Trois ans plus tard, on voit bien que ça n’a pas marché. Et à la limite, c’est le plus faible qui est le plus fort, puisqu’il a réussi à tenir tête à une puissance aussi démesurée.»
Le constat est donc sans appel pour chacun des protagonistes de cette crise, notamment pour Dubaï qui la subit frontalement, puisqu’en plus d’une instabilité régionale peu propice au commerce et au tourisme, cette place forte des Émirats arabes unis n’a pu continuer ses échanges avec un partenaire phare: l’Iran. Ce dernier était en effet très installé à Dubaï et c’est Téhéran qui était visé par l’intermédiaire de Doha. La famille Al-Thani, régnant sur le Qatar, n’a jamais considéré la République islamique d’Iran comme un ennemi, contrairement à l’Arabie saoudite et aux EAU. Mais pour Olivier Da Lage cette stratégie de faire mettre genou à terre à Doha a eu l’effet inverse:
«Donald Trump reprochait à cette crise au sein du Conseil de Coopération du Golfe de l’empêcher d’avoir un front commun uni contre l’Iran. Et aujourd’hui, on ne peut pas affirmer franchement que les États-Unis penchent du côté du Qatar. En tout cas, l’Administration Trump pense très certainement que toute l’énergie consacrée à s’en prendre au Qatar détourne de l’essentiel.»
L’auteur de nombreux ouvrages sur cette région en crise, sur le Qatar ou encore sur l’Arabie saoudite, considère cependant que Riyad et Abou Dabi, malgré les derniers évènements ou déclarations, sont moins belliqueux. Mais de là à s’entendre à nouveau avec Doha?
«Je crois qu’il y a deux possibilités: elle [la crise, nldr] peut durer longtemps, elle a duré trois ans, elle peut durer trois ans de plus. Ou on peut imaginer –c’est souvent arrivé dans le Golfe– et très franchement, je pensais que cela interviendrait un peu plus tôt, que, prenant un prétexte quelconque, l’ensemble des acteurs de cette crise décident de remettre les compteurs à zéro et de faire comme si tout était effacé.»
Olivier Da Lage conclut:
«On est dans une situation de pat, si on fait une comparaison avec le jeu d’échecs: plus personne ne peut bouger sa pièce, on est dans l’immobilisme complet, il n’y a pas de solution en vue qui satisfera l’un au détriment de l’autre et donc peut-être qu’à un moment donné, il faudra en tirer les conséquences. Et pour cela, il faut que tous les acteurs soient d’accord. Ces jours-ci, on a vu que ce n’était pas le cas, mais cela peut intervenir plus tard.»