Qu’est-il réellement arrivé à Samuel Abuwe Ajieka, plus connu sous le nom de Samuel Wazizi, journaliste anglophone dont la mort en détention suscite colère et indignation au Cameroun? Le journaliste officiant sur une télévision locale dans le Sud-Ouest séparatiste avait été arrêté le 2 août 2019 avant d’être confié aux militaires de la région. Il était accusé d’avoir tenu des propos critiques à l’antenne à l’égard des autorités et de leur gestion de la crise dans les régions anglophones du Cameroun. 10 mois après son arrestation, ni les proches, ni les avocats du journaliste n’avaient eu de nouvelles de lui. Mardi 2 juin, la télévision privée camerounaise Equinoxe va mettre un terme à ce long silence en annonçant, en citant des sources «proches de la haute hiérarchie militaire», le décès depuis plusieurs mois de Samuel Wazizi. Une nouvelle qui va bouleverser l’opinion et créer une onde de choc dans le pays et au-delà.
Hommes politiques, syndicats de journalistes et défenseurs des droits humains ont tous pris la parole pour exiger de Yaoundé une clarification des faits. Dans un message sur Twitter, Joshua Osih, député et candidat malheureux à la présidentielle d’octobre 2018, s’est offusqué face à ce drame, précisant qu’«aucun journaliste ne devrait se retrouver en prison pour l’exercice de son travail», réclamant comme d’autres responsables de l’opposition, «la justice» pour Samuel Wazizi.
La version des faits de Yaoundé contestée
Après la publication de ce communiqué, les réactions ne se sont pas fait attendre. Dans un message sur Twitter, Denis Nkwebo, président du syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC), a qualifié cette sortie de «tissu de mensonge et d’ultime provocation» et exigé une enquête pour clarifier les faits.
Dans l’une de ses multiples sorties au sujet de ce drame, Reporter sans frontières (RSF) se dit «indignée par les explications du ministère de la Défense sur la mort du journaliste Samuel Wazizi le 17 août 2019», avant de mentionner que «la famille n'a jamais été mise au courant de son décès et le journaliste était en parfaite santé au moment de son arrestation».
La famille du journaliste défunt n’était pas joignable, jusqu’à lundi 8 juin, de même qu’elle n’a fait aucune déclaration publique à ce sujet.
Indignation partagée par certains défenseurs des droits de l’Homme dont Hilaire Kamga, qui s’insurgent contre la thèse négationniste soutenue par le gouvernement camerounais concernant les conditions de décès du journaliste.
«Il est incongru pour les responsables gouvernementaux qui veulent faire croire à l’opinion qu’ils peuvent se dédouaner de cette situation où il est clairement établi que Wazizi a été arrêté illégalement, détenu, torturé et ensuite exécuté de manière extrajudiciaire par les forces de défense camerounaises. La responsabilité du gouvernement est clairement établie», s’insurge-t-il à Sputnik.
Tortures et détentions sécrètes
Agacée par la vague de déclarations et d’accusations dans cette affaire, l’armée dans son communiqué crie à la manipulation et rétorque qu’il s’agit d’un «nouvel épisode de diabolisation», des militaires camerounais. Alors que la pression sur Yaoundé est loin d’être retombée, Christophe Guilhou, ambassadeur de France, au sortir d’une rencontre avec Paul Biya, vendredi 5 juin, a annoncé à la télévision nationale que le Président camerounais, «allait diriger une enquête» à ce sujet. Cette enquête n’a du reste pas été confirmée par aucune source officielle camerounaise.
Dans un rapport publié en mai 2019, Human Rights Watch dénonçait déjà le «recours régulier à la torture et à la détention au secret» contre des séparatistes anglophones.
L’organisation de défense des droits de l’Homme avait condamné l'ensemble des «exactions» commises sur des personnes suspectées de faire partie des séparatistes anglophones impliquées dans la violente crise sécessionniste qui secoue les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun depuis plus de trois ans. Des pratiques également bien connues et décriées par Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC), qui l'attestait déjà dans un entretien à Sputnik, remontant à mai 2019.
«Le RHEDAC confirme qu'il y a bel et bien au Cameroun des tortures et des détentions secrètes. C'est une pratique innée chez les autorités camerounaises», s'insurgeait-elle.
De son côté, Yaoundé, à coup de communiqués et déclarations, a toujours riposté pour dédouaner l’armée et crier au complot. Pour rappel, le dernier cas de journaliste mort dans une prison camerounaise remonte au 22 avril 2010. Selon la version officielle, Bibi Ngota, directeur de publication de Cameroun Express, était décédé «des suites d'infections opportunistes liées au VIH». Une version officielle à laquelle n’a jamais cru sa famille qui estime que le journaliste a été privé de soins appropriés pour son asthme et son hypertension. En 2020, le Cameroun a perdu trois places et occupe désormais la 134e position sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.