L’indignation planétaire suite à l’homicide de George Floyd à Minneapolis allonge la longue liste des tragédies racistes qui frappent les Afro-Américains dans leur propre pays. Cet homme de 46 ans est mort le 25 mai, asphyxié par un policier blanc, Derek Chauvin, durant «8 minutes 46 secondes», alors qu’il était plaqué ventre à terre, sans arme, menottes aux poings, sous le regard de trois autres policiers.
Un acharnement des agents, mais aussi le passé tumultueux de Derek Chauvin, ont fait que cette bavure est perçue, ni plus ni moins, comme «un crime raciste».
«L’assassinat de Gorges Floyd, comme de tant d’autres africains-américains auparavant, n’est qu’un rappel à respecter la hiérarchie sociale en vigueur aux États-Unis. Quand on parvient à déceler la fiction et la réalité qui s’imbriquent dans le rêve américain, on voit bien que le système étatique –dont les policiers sont une composante– oppresse et soumet l’Africain-Américain, afin de l’inviter à rester à sa place originelle de citoyen de seconde zone», s’insurge le militant panafricaniste Adjimael Ibrahim Halidi, poète et sociologue comorien, joint par Sputnik à Nairobi, où il est en transit.
«Hollywood, l’inspiratrice!»
Le rêve perdu d’une Amérique juste, Adjimael Ibrahim Halidi tente d’en décortiquer les soubassements en le reliant au «mythe» d’Hollywood et à ses «avatars». Le militant panafricaniste fait aussi le lien avec l’égoïsme d’une certaine «élite noire» installée dans le confort et peu encline à regarder dans le rétroviseur.
«Hollywood et son système capitaliste, à travers les médias, puisent dans les rêves et actions de leaders comme Martin Luther King, James Baldwin ou Malcom X pour fabriquer des avatars ou figurants partout dans la société américaine. “Vous voulez des noirs, des femmes ou des gays libres, beaux intelligents, forts, puissants? En voilà dans ce film, dans ce magazine, dans ce championnat de basket, dans ce parti politique…” Figurant, tel est le rôle de l’avatar. Le “colonialisme interne” fait partie de la genèse de ce pays», analyse-t-il.
C’est pour cette raison que, nonobstant les dizaines de milliers d’Américains qui dénoncent le meurtre de Floyd à travers les États-Unis, cet acte est le produit, selon Halidi, d’un «système» inspiré par l’esprit Hollywood…
«La minorité d’Africains-Américains bourgeois et de la classe moyenne cache mal les millions d’autres Noirs qui végètent dans la pauvreté. Sous cet angle, Hollywood nous ment depuis des années, de même que la NBA [le puissant et médiatique championnat professionnel de basket américain, ndlr], Vogue Magazine, MTV!
La reconnaissance et la gloire des Africains-Américains dans le divertissement et le spectacle –et presque jamais au-delà– sont une ombre qui donne bonne conscience à l’élite blanche, une réalité du nègre comique et bon danseur qui divertit le maître et les siens comme durant l’esclavage.»
Est-ce à cause d’une prise de conscience de la supercherie décrite par l’intellectuel comorien que l’assassinat de George Floyd a indigné et ému l’Afrique? Pour un grand nombre d’Africains-Américains, ce continent est surtout considéré comme la terre ancestrale de plusieurs générations d’Américains noirs, de la période de l’esclavage à aujourd’hui.
À ce titre, la réaction ferme du patron de l’organisation politique continentale qu’est l’Union africaine, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, témoigne de la gravité de l’événement pour les Africains, choqués par «des pratiques discriminatoires persistantes à l’encontre des citoyens noirs des États-Unis d’Amérique».
«Le président de la Commission de l’Union africaine […] condamne fermement le meurtre de George Floyd, survenu aux États-Unis d’Amérique, aux mains d’agents des forces de l’ordre et présente ses plus sincères condoléances à la famille du défunt, ainsi qu’à tous ses proches», écrit le diplomate tchadien sur le site de l’UA.
«L’Amérique, une triple infidélité coupable»
C’est en conscience du lien qui unit l’Afrique aux Africains-américains que le poète-écrivain Amadou Lamine Sall, disciple prestigieux de Léopold Sédar Senghor, instruit le procès d’une Amérique qui se voudrait le cœur battant du monde, son miroir, le porteur de ses pulsions.
Mais l’Afrique ne saurait être cet ensemble de «shithole countries» auquel Donald Trump l’a assimilé. Secoué par l’ampleur de la tragédie de Floyd, Sall tient des propos qui interpellent par leur rare violence.
«L’Amérique est infidèle à ses rêves. Infidèle à l’idéal d’humanité. Infidèle au siècle qui l’accueille. Ce pays n’est pas un pays. C’est la mort. C’est une tragédie. Obama n’y a rien changé. Il a subi. L’Amérique est libre, mais sauvage, sèche, cruelle, injuste et laide», écrit-il sur son compte Twitter.
«Étrangers et exilés dans leur propre pays»
Élaborée par Robert Blauner, entre autres sociologues, la théorie du «colonialisme interne» qui fait des Noirs, Hispaniques ou Asiatiques de nationalité américaine des étrangers et exilés dans leur propre pays est «malheureusement peu perceptible», regrette pour sa part l’intellectuel comorien Adjimael Halidi.
«Elle a créé une “double conscience” chez les noirs pour mettre des œillères à “l’élite africaine-américaine” et l’empêcher de s’apercevoir de sa condition réelle. C’est ce mécanisme qui fait que la violence contre les minorités et les pauvres est un ressort de la structuration sociale de ce pays.»
Les quatre policiers ont été exclus de la police municipale de Minneapolis et le tueur Derek Chauvin inculpé pour meurtre «au troisième degré». Mais la question qui taraude les esprits est: à quand la prochaine victime noire?