Médecin engagé contre le Covid-19: «En temps de guerre, on n’attend pas que l’ennemi vienne frapper à sa porte»

Pas juste les infectiologues, les réanimateurs et les pneumologues: depuis le début de la pandémie de Covid-19, en Russie comme ailleurs, les soins aux malades ont engagé des médecins de différentes spécialités. Au micro de Sputnik, un chirurgien gynécologique affecté depuis avril à l’observation des patients parle de ses motifs dans la lutte.
Sputnik

Celui qui se présentait sur ses réseaux sociaux -où il répond aux questions de patients et partage des vidéos de vulgarisation médicale- comme «le gynécologue le plus barbu» est désormais rasé de près: rien ne doit gêner l’adhésion du masque. Sur son visage un peu tiré après de longues gardes, on note d’ailleurs des traces du masque et des lunettes médicales. Depuis plus d’un mois, le chirurgien Albert Maksoudov, riche de huit ans d’expérience, est engagé dans l’observation des patients hospitalisés avec des symptômes du Covid-19.

Médecin engagé contre le Covid-19: «En temps de guerre, on n’attend pas que l’ennemi vienne frapper à sa porte»

Infectiologie à partir de zéro

En effet, à partir du 1er avril, l’une des filiales du premier hôpital privé de Moscou, MEDSI, s’est entièrement reconvertie pour se spécialiser dans l’accueil de malades infectés par le nouveau coronavirus. En l’espace de quelques semaines, l’établissement situé dans la banlieue de la capitale s’est doté de l’équipement et des médicaments nécessaires, affirme son service de presse, et a érigé des sas censés diviser les locaux en zones «propres» et «sales». Proposant 300 lits, l’hôpital dit qu’en cas de besoin il peut en disposer de 100 supplémentaires, soit 400 au total, dont 32 en réanimation.

Au 29 avril, date de l’entretien, près d’un millier de patients étaient passés par cet établissement. Certes, tous n’ont pas été au bout du compte positifs au coronavirus. Mais le flux de malades continue, selon les données officielles disponibles au 15 mai, depuis le début de l’épidémie 160.989 cas ont été confirmés dans la capitale russe et sa région. Or, explique Albert Maksoudov, avant que la décision de se réorienter n’ait été prise, cette filiale du MEDSI, un immense centre hospitalier de neuf étages, ne disposait même pas de service d’infectiologie. Depuis, quelque 800 médecins et infirmiers ont suivi une formation*.

L'hôpital MEDSI qui accueille les patients avec le coronavirus
«Nous avons été préparés dans les plus brefs délais. Des sommités dans différentes disciplines ont été invitées chez nous pour nous transmettre tout ce qui était connu à ce moment-là au sujet de l’infection en question. Nous avons pris contact avec nos confrères chinois et européens», explique le médecin.

En se basant sur les informations acquises, un système d’accueil et de suivi des patients a été élaboré puis mis en place par l’établissement. Et, d’après Albert Maksoudov, à ce jour tout est «réglé comme une horloge» et les patients reçoivent un maximum d’aide médicale et même l’agence fédérale sanitaire a salué le niveau et l’efficacité de la réorganisation que l’établissement a connue.

«Certes, jusqu’à présent on apprend chaque jour quelque chose de nouveau au sujet du coronavirus et de ses manifestations», nuance-t-il pourtant.

«Avant tout médecin»

Si en journée, la garde dure six heures, celle de nuit s’étend de 20h00 à 8h00. Sur ces 12 heures, les médecins, vêtus de combinaison, portant des gants et le visage caché derrière un masque et des lunettes ne disposent que d’une seule pause pour quitter la zone sale, ôter en toute sécurité ce matériel et prendre un repas ou tout simplement boire. Autant dire rien, vu que certaines opérations durent jusqu’à 8 ou 10 heures, souligne le praticien.

Un nouveau symptôme clinique du coronavirus détecté chez des patients en Russie
La nuit, il faut faire le tour de toutes les unités, appeler en cas de besoin un réanimateur, surveiller la respiration des patients puisque la maladie affecte les poumons.

«Certes, la garde épuise. En combinaison, tu éprouves une légère hypoxie, moins d’oxygène pénétrant dans l’organisme en raison du masque. Donc, un certain inconfort est là. Mais tout cela n’est rien en comparaison avec les destins humains qui se trouvent entre tes mains. Tu réalises que tu n’es pas là pour rien, ta mission est très importante pour l’humanité dans son ensemble», décrit-il.

À la question de savoir si lui, spécialiste d’un domaine différent, avait hésité avant de prendre la décision de s’engager dans le soin à ces malades, il oppose un «niet» ferme.

 

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Il avoue que ni quand il était étudiant, ni déjà médecin en exercice, il ne s’attendait à ce qu’une pandémie pareille se manifeste. Mais au fur et à mesure de l’arrivée des inquiétantes nouvelles, d’abord de Chine puis de pays européens, il a pris conscience de l’envergure du problème, ce qui ne lui laissait pas d’autre choix que de rejoindre la lutte contre cette maladie.

Un médecin explique ce dont dépend l’immunité au coronavirus
«Rester à la maison et faire le pied de grue ce n’est pas dans mes habitudes. Je préfère l’action», insiste-t-il.

Et d’expliquer qu’outre l’intérêt purement scientifique, c’est son devoir de médecin qui ne lui laissait pas d’autre choix.

«Que je sois gynécologue ou chirurgien, je suis avant tout médecin et on doit partir de ce principe. Du moins, c’est ma perception des choses. Je dois y être aussi pour mes proches: en temps de guerre, on n’attend pas que l’ennemi vienne frapper à sa porte. Il faut rejoindre le front».

Compassion

Expliquant que d’habitude, après les opérations, ses patientes sont plutôt optimistes et disposées à échanger, il constate que les malades atteints de Covid-19 sont plutôt désespérés.

«La peur de la mort est la peur essentielle chez l’Homme. Lorsque la saturation en oxygène baisse, ça fait peur. Avec nos uniformes identiques et cachés derrière nos masques, les patients ne savent pas nous distinguer les uns des autres. Pour eux, on est tous pareils. Ils nous regardent à travers ces lunettes massives et dans leurs yeux on lit l’espoir, un très grand espoir. Ils placent leur espoir en nous», raconte Maksoudov.

Certes, des psychologues sont à pied d’œuvre mais, avoue le médecin, la volonté de les réconforter moralement ne quitte pas le personnel médical. «J’éprouve encore plus de compassion», confie-t-il.

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Où lui-même puise-t-il l’énergie pour tenir le coup? Il n’a pas de réponse. Il se contente de dire qu’il avait toujours su qu’il deviendrait un jour médecin. «Peut-être que c’est ma mission. Je sais que ce métier ne m’apportera pas beaucoup d’argent, mais les patients restent ma priorité absolue».

Se disant croyant, il perçoit comme une épreuve la pandémie à laquelle l’humanité est actuellement exposée et estime qu’elle rendra l’Homme encore plus fort. «Je souhaite donc qu’on trouve de la force et ne cède pas à la panique, cette dernière n’étant pas un remède contre le coronavirus», conclut-il.

*Au moment de l’entretien, sept d’entre eux ont été contaminés.

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