El Manchar (la scie, en arabe) s’est tu dans la soirée du mercredi 13 mai. Après cinq années de parodies, d’infos détournées et de fous rires, le journal électronique satirique a fini par baisser le rideau.
Les réseaux sociaux se sont enflammés en quelques minutes. Beaucoup ont pensé à une énième blague de l’équipe menée par son initiateur, Nazim Baya. Puis sur le site, les internautes ont découvert le message suivant: «El Manchar, c’est fini. On se retrouve bientôt dans une Algérie meilleure. Ou Pas.» Finalement, la seule information vraie et confirmée par le site depuis sa création aura été celle qui annonçait sa suspension.
La stupeur a vite laissé place à la colère.
«Je ne croyais pas créer une telle panique en annonçant la suspension d'El Manchar. À tous ceux qui s'inquiètent pour moi, je vous dis que je vais bien. Comme disait Baudelaire, tout être humain a au moins deux droits: celui de se contredire et celui de s'en aller. J'use du second, en mon âme et conscience. Respectez ce choix. Merci», a écrit Nazim Baya dans le courant de la soirée.
«Climat de répression des libertés»
Ce n’est que le lendemain que la rédaction d’El Manchar a décidé de donner quelques pistes sur les raisons de cette éclipse précipitée.
«Nous n’avons pas été censurés ou bloqués par les autorités. Cette décision a été prise par l’équipe de rédaction. Le climat de répression des libertés, les incarcérations de citoyens à la suite de leurs activités sur les réseaux sociaux nous ont conduits à réfléchir sur les risques que nous encourons. Nous avons vécu des moments de peur et nous avons résisté pendant cinq ans en essayant de contribuer à notre manière, par la satire, aux difficultés que notre pays et nos citoyens traversaient. Nous ne pensions pas en arriver là», indique un autre communiqué.
L’opinion publique n’en saura pas plus. En cinq années d’activité, le journal satirique avait pourtant réussi quelques coups de maître. En juin 2015, il attribuait à Saïd Sadi, ex-président du Rassemblent pour la culture et la démocratie (RCD), une lettre adressée au ministère algérien des Affaires religieuses pour exiger une réforme du mois du ramadan afin de le réduire de 13 jours au lieu de 30. L’affaire avait provoqué une tempête dans la presse algérienne et internationale.
En mai 2018, c’était au tour de Marine Le Pen d’être prise pour cible par El Manchar après l’acte héroïque d’un migrant subsaharien qui avait sauvé un enfant accroché à un balcon à Paris.
L’hommage du Gorafi
Reconnu par ses pairs, le journal satirique algérien a eu droit à un dernier hommage de la part de son confrère français Le Gorafi.
«Coupant court aux rumeurs sur son état de santé, le pouvoir algérien a réaffirmé que El Manchar était en parfaite santé et doué de la totalité, voire de l’absolue majorité de ses capacités intellectuelles et physiques, voire plus, si besoin», a écrit Le Gorafi.
Pour leur part, les lecteurs algériens retiendront qu’El Manchar est né et à grandi durant les années les plus sombres du Président Bouteflika avant de mourir aux premiers mois de l’ère de «l’Algérie nouvelle», présentée par ses promoteurs comme étant celle des «libertés retrouvées».