«Dans un hôpital public d’Île-de-France –des documents en possession du “Canard” en attestent–, aucun patient de plus de 70 ans n’a été admis en réa durant les six jours les plus critiques de la crise. Un “tri” que personne ne semble prêt à assumer aujourd’hui…»
Le constat dressé par le Canard enchaîné est sans appel. Une semaine après ses révélations concernant l’existence d’une «circulaire» en date du 19 mars qui «suggérait de limiter fortement l’admission en réanimation des personnes les plus fragiles», le palmipède en remet une couche dans son édition du 29 avril, en réponse au démenti du ministère de la Santé.
«Il n’y a pas de circulaire concernant la prise en charge des résidents d’Ehpad publiée à cette date. Nous ne savons pas de quel document il est question», répondait au Figaro le ministère de la Santé, dans un article paru le 23 avril.
Chiffres de l’Assistance publique de Paris à l’appui, l’auteur du papier soulignait ainsi qu’en une quinzaine de jours– à compter du 21 mars –, la part des patients de plus de 75 ans et de plus de 80 ans dans les services de réanimation avait fondu, passant respectivement de 19% à 7% et de 9% à 2%, alors qu’au même moment, l’épidémie «a explosé dans ces tranches d’âges élevées.»
«Son cabinet [d’Olivier Véran, ndlr.] joue sur les mots. Le Palmipède a improprement qualifié de circulaire un texte de recommandations régionales», répond cette semaine le «Canard», qui cette fois-ci, lâche les références exactes du fameux document, publié par l’Agence Régionale de Santé (ARS) d’Île-de-France «avec le visa du ministère, évidemment».
«Échelle de fragilité clinique»
Fort de ces informations, ce document disponible en ligne, qui «s’adresse particulièrement aux médecins», vise à apporter «un soutien conceptuel» aux équipes soignantes «sursollicitées» confrontées –dans le «contexte d’exception» d’une crise sanitaire où «les ressources humaines, thérapeutiques et matérielles pourraient être ou devenir immédiatement limitées»– à «des choix difficiles et des priorisations dans l’urgence concernant l’accès à la réanimation» et qui «ne sont pas nécessairement habituées à la démarche réflexive des limitations des traitements.»
Six puces détaillent les «principes d’une décision d’admission en unité de soins critiques» [services de soins intensifs, de réanimation, ndlr]. Le document commence par la collégialité de la procédure, «définie par voie réglementaire au décours de la loi Clayes-Leonetti», et rappelle «la garantie d’un accompagnement et de soins pour tous, respectueux de la personne et de sa dignité». Le «respect des volontés et valeurs» du patient, «l’évaluation du nombre de défaillances d’organes au moment de la prise de décision», ainsi que la «prise en compte de l’état antérieur» de ce dernier figurent parmi les critères énumérés.
Silhouettes de personnes voûtées équipées de canne ou de déambulateur à l’appui, cette «échelle» illustrée classe les individus en neuf catégories, allant des «très en forme», à savoir des personnes «actives et motivées» à celles en «phase terminale», en passant par le stade «vulnérable», qui concerne les personnes non dépendantes, mais qui «se plaignent souvent d’être au ralenti ou fatiguées durant la journée», ainsi que les «très sévèrement fragiles» qui «habituellement, ne se remettraient pas même d’une maladie bénigne.» À partir du stade 5, tous sont dépeints comme étant des individus plus ou moins «fragiles».
«Démarche réflexive des limitations des traitements»
Le document canadien repris par l’ARS dresse un récapitulatif complémentaire, celui des «scores de fragilité» concernant les patients souffrant de troubles cognitifs. «Démence légère» pour ceux qui «oublient des détails d’un évènement récent» sans avoir oublié l’évènement lui-même, «modérée» pour une mémoire à court terme «très altérée» et un troisième et dernier niveau, qualifié de «sévère» pour les personnes nécessitant une aide pour effectuer leurs soins personnels. Un panel d’éléments censé aider les soignants à prendre leur décision d’accepter ou non de patients d’un certain âge en réanimation, dans le cas où ils ne refuseraient pas d’eux-mêmes d’y rentrer ou si l’absence de signe de gravité de la maladie justifierait un tel refus.
«Une telle admission risquerait aussi de priver un autre patient d’une prise en charge en réanimation, alors qu’elle/il aurait plus de chance d’en bénéficier. Ainsi, nous considérons licite de ne pas admettre un patient en réanimation dès lors qu’il s’agit d’une obstination déraisonnable, y compris si une place de réanimation est disponible», souligne le document de l’ARS d’Île-de-France.
En somme, les malades sont mis sur une voie de garage pour laquelle la mort semble être la seule issue envisagée.
«Un "tri" que personne ne semble prêt à assumer aujourd’hui»
Des malades refusés en réanimation pour lesquels un décret publié le 29 mars autorisait jusqu’à la mi-avril le recours au Rivotril (un puissant anxiolytique habituellement utilisé dans le traitement de l’épilepsie) afin de prodiguer des soins palliatifs. D’ailleurs, le tableau méthodologique concluant la note de l’ARS, qui évoque la nécessité pour les familles «d’anticiper» avec les médecins un éventuel recours à des soins palliatifs pour leurs proches en Ephad et en USLD (unités de soins de longue durée), rappelle ceux des fiches de «recommandations» adressées au personnel soignant vers lesquelles renvoyait le fameux décret du 29 mars.
Document qui fut dénoncé en son temps par plusieurs députés, l’un d’eux fustigeant un «passeport pour la mort douce», un autre s’interrogeant: «ne risque-t-on pas de passer de la sélection des patients à une euthanasie massive qui ne dit pas son nom?»