Centrafrique: Qui a peur du retour politique de François Bozizé?

Depuis son retour à Bangui, l’ancien Président centrafricain François Bozizé affiche son intention de revenir aux affaires. Alors que l’élection présidentielle dans le pays est prévue pour décembre prochain, l’ex-chef d’État se dit victime d’une «chasse aux sorcières» et dénonce des manœuvres visant à disqualifier sa candidature.
Sputnik

C’est une allocution au vitriol rappelant celles dont il était accoutumé du temps où il était le locataire du Palais de la Renaissance. La résidence des chefs d’État centrafricains, située dans le premier arrondissement de la capitale Bangui, François Bozizé la connaît très bien pour y avoir passé une dizaine d’années.

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Une longévité somme toute honorable dans ce pays où mutineries et coups d’État ne laissent guère de répit aux hommes forts de Bangui,  aussi pères de l’indépendance ou empereurs fantasques qu’ils puissent être.

Si bien que ce 24 avril, dans une vidéo d’une trentaine de minutes, tout en faisant le tour de l’actualité nationale et s’attardant longuement sur la prochaine échéance présidentielle prévue à la fin de l’année, François Bozizé n’a laissé planer aucun doute sur ses intentions: revenir aux affaires. Pour déblayer la route, l’ancien président s’est dit victime de «toutes sortes d’accusations graves et fantaisistes», colportées contre sa personne et sa formation politique dans le seul but de le disqualifier politiquement.

«En réalité, ma popularité dérange et, de ce fait, d’aucuns ont donc décidé de me liquider, aussi bien politiquement que physiquement. C’est pourquoi mon entourage et moi-même sommes l’objet d’un harcèlement constant, destiné à nous pousser à la faute et permettant de justifier, le cas échéant, mon assassinat planifié qui serait déguisé en simple bavure», affirme-t-il dans sa déclaration filmée.

Bozizé, plus une menace politique qu’une menace sécuritaire

Depuis son retour discret au pays, en décembre 2019, au terme de six ans d’exil en Ouganda, des rumeurs de coup d’État en préparation se multiplient. «Accusations fantaisistes», clame l’ancien Président dans son allocution du 24 avril, rappelant que depuis son retour d’exil, il n’a eu de cesse «d’agiter le mouchoir blanc».

Mais pour Kag Sanoussi, président de l’Institut international de gestion des conflits dont le siège est à Lille, joint par Sputnik, tant la récente arrestation de personnes accusées de vouloir déstabiliser le pays que le passé de François Bozizé, arrivé au pouvoir à la suite d’une troisième tentative de coup d’État, feraient craindre à certains pareil scénario.

«Il n’est pas surprenant que des acteurs, politiques ou non, puissent envisager qu’il [François Bozizé, Ndlr] menace le pouvoir du Président Touadéra», conclut-il.

«Le retour de ce dernier est évidemment une menace pour le pouvoir en place», abonde dans une déclaration à Sputnik le spécialiste camerounais de la politique régionale, Éric Yombi. «Reste à savoir si c'est une menace importante ou une menace relative», nuance-t-il. En d’autres termes, s’il s’agit d’une menace sécuritaire ou politique. 

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«Les circonstances aujourd’hui ne sont plus les mêmes [que du temps de Bozizé] et le peuple centrafricain a évolué et ne tolérera pas une aventure qui l’a conduit au désastre qui se poursuit», relève, quant à lui, Kag Sanoussi. Les temps ont changé, tempérant certainement les ardeurs du putschiste récidiviste qu’a été Bozizé, comme en témoignent les indices prêchant nettement en faveur d’un retour exclusivement politique entrepris il y a cinq mois. Comment, sinon, cet ancien chef d’État en exil faisant l’objet de sanctions onusiennes et africaines aurait-il pu retourner chez lui sans avoir apporté, au préalable, des garanties suffisantes quant à sa future bonne conduite aux différents partenaires engagés dans la pacification du pays?

En choisissant, par ailleurs, la date du 15 décembre 2019 pour rentrer au pays, démontrait-il autre chose que la volonté de donner à son entreprise un caractère purement politique? Le code électoral centrafricain exige, en effet, de tout candidat au scrutin présidentiel qu’il justifie d’une résidence effective de douze mois au moins sur le territoire national. En outre,  le parti politique qu’il dirige –le Kwa Na Kwa, particulièrement implanté dans le pays– était curieusement passé dans l’opposition quelques mois seulement avant son retour d’exil.

Et c’est en toute logique que Bozizé conclut que l’inimitié du régime est liée au projet politique qu’il nourrit, qu’il n’avouait pourtant pas encore franchement. «Mon crime, disait-il encore dans sa vidéo, c’est de ne pas avoir donné la suite [favorable] que l’on exigeait de moi, lorsque de nombreux émissaires sont venus me demander de renoncer à être candidat à la prochaine élection présidentielle et d’apporter mon soutien ainsi que celui du Kwa Na Kwa au Président de la République dans sa quête de réélection.»

Le Président de la République qui entendrait se représenter, c’est Faustin-Archange Touadéra (FAT). Au pouvoir depuis 2006, voudrait-il écarter Bozizé d’une course à la présidentielle? «Possible», répond Éric Yombi, au regard du traitement peu élogieux réservé à l’ancien chef d’État depuis son retour à Bangui.

«Il a fallu que la diplomatie s'implique pour qu'il puisse être reçu par Touadera. On peut également relever le fait que le Président Bozizé n'a pas été traité avec les égards qui conviennent à un ancien Président de la République, notamment en ce qui concerne sa garde rapprochée», poursuit l’expert, visiblement bien informé.

Cependant, plusieurs en appellent à un consensus visant à permettre à toutes les parties prenantes ou alors tous les acteurs du jeu politique centrafricain de pouvoir prendre part au scrutin de décembre 2020. 

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Néanmoins, pour Kag Sanoussi, «il y a en RCA une Cour constitutionnelle et une Autorité nationale des élections (ANE). C’est à elles de se prononcer le moment venu sur l’éligibilité des candidats. À ce jour, je n’ai pas connaissance d’une initiative contre une éventuelle candidature de François Bozizé», précise le spécialiste en gestion des conflits.

Autant dire que l’invalidation de sa candidature est une véritable épée de Damoclès qui pèse sur François Bozizé. Serait-ce pour dissuader le pouvoir de toute manœuvre dans ce sens que Bozizé ne cesse de monter au créneau, s’en prenant jusqu’au projet de révision de la Constitution cher au chef de l’État?

Une autre menace au processus de paix?

Le prochain amendement de la Constitution aurait simplement pour objectif, soutient Bozizé, de maintenir FAT au pouvoir au-delà de la limite de son mandat. Pour la majorité présidentielle, qui s’était prononcée en avril en faveur de cette révision constitutionnelle, celle-ci devrait permettre, au regard de la crise sanitaire qui prévaut dans le monde et en RCA, de reporter le scrutin. 

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Pour Bangui, il ne s’agit en aucun cas de rallonger le mandat du Président, encore moins d'augmenter le nombre de mandats fixé par la Constitution, mais simplement de parer à la vacance du pouvoir si jamais la présidentielle ne pouvait se tenir à la date prévue à cause de l'épidémie de Covid-19.

«Pouvons-nous politiquement penser que le Président en exercice cherche à proroger son quinquennat? C’est son premier mandat et la Constitution lui donne droit à un second, s’il est élu. Ce n’est donc qu’au bout de son éventuel second quinquennat que cette question peut se poser», souligne, pour sa part, le spécialiste des conflits Kag Sanoussi.

Mais François Bozizé n’a cure des arguments des pro-FAT. Cette manœuvre peut être «porteuse d’incertitudes et de germes d’instabilité». Des propos qui sonnent comme une menace et font redouter un autre front dans un pays déjà déchiqueté par de multiples conflits. «Ce projet de révision ne peut servir de prétexte pour relancer une campagne de violence en République centrafricaine. Tous les acteurs politiques aimant leur pays doivent utiliser les règles du droit, s’il y a matière à contester», plaide pour sa part Kag Sanoussi.

Depuis 2013, la Centrafrique est le théâtre d’affrontements entre groupes armés et milices, qui commettent d’innombrables violences et exactions. Le 6 février 2019, les protagonistes de la crise qui secoue la République centrafricaine depuis 2013 ont signé un nouvel accord pour le retour à une vie normale dans le pays. Plus d’un an après, les violations du huitième accord de paix sont encore nombreuses sur le terrain. La prochaine présidentielle et le retour de Bozizé sont, de toute évidence, une autre paire de manches.

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