Jeudi 23 avril, à la cour d’appel de Paris. Les couloirs sont déserts, mais les dossiers de demande de libération s’accumulent sur les bureaux des magistrats. Parmi eux, celui d’un individu accusé d’avoir violé une jeune femme. Cet homme attend son procès depuis novembre 2017. L’avocate générale rappellera les huit mentions au casier judiciaire, dont deux agressions sexuelles. La dangerosité du prévenu semble trop forte aux magistrats: Monsieur C. restera à Fleury-Mérogis, malgré les risques de contagion. Pourtant, d’autres sont passés à travers les mailles du filet.
La chancellerie se félicite d’avoir résolu le problème carcéral
Pour endiguer la propagation du virus dans les maisons d’arrêt, notamment après de nombreuses et violentes mutineries, Nicole Belloubet a procédé à la libération anticipée de détenus en fin de peine. Les chiffres n’ont pas cessé de croître durant les premières semaines du confinement: 3.500 détenus ont été libérés fin mars, 8.000 au 8 avril, près de 10.000 au 15 avril… et sans doute bien davantage alors que mai approche.
Balayant les craintes de récidive ou les accusations de laxisme, le ministère de la Justice claironnait alors: le problème de la surpopulation carcérale était selon lui réglé en France. Celle dernière a en effet drastiquement baissé depuis le 1er mars, passant de 119% au 1er mars (avec 72.400 détenus) à 103% au 15 avril (avec 62.650 détenus). Bien sûr, cette moyenne nationale masque des problèmes locaux persistants. En Bretagne à Saint-Brieuc par exemple, la surpopulation carcérale s’élevait toujours à 161% au 24 avril. Mais la moyenne nationale qui décline, conséquence inattendue de la pandémie, reste à n’en pas douter à mettre au crédit de Nicole Belloubet.
Et pour quelles conséquences sur le terrain? Depuis, la divulgation des statistiques de la décrue du nombre de prisonniers, aucune annonce de la Chancellerie. Silence gêné de la Garde des Sceaux? Pour l’heure, les récidives se font remarquer, mais dans la seule presse régionale.
Retours à la case prison
Ainsi dans la Loire, un homme de 49 ans, condamné 46 fois, avait-il bénéficié d’une libération anticipée le 31 mars. À peine 17 jours plus tard, il errait, ivre, dans les rues de Saint-Étienne. Interpellé par les forces de l’ordre, il a craché sur les agents, les menaçant de leur transmettre le Sida. Jugé en comparution immédiate, il a écopé de 18 mois de prison ferme.
Dans le Tarn-et-Garonne, un jeune individu de 26 ans est rapidement retourné à la maison d’arrêt de Montauban. Libéré lui aussi le 31 mars, il a de nouveau été condamné à 10 mois ferme le 17 avril. La cause? Outrages, rébellion et menaces contre des gendarmes. «Il va y avoir d’autres détenus éligibles aux assignations à domicile. Votre exemple va rendre plus difficile l’attribution de ces mesures pour les autres…» a déclaré Laurent Czernik, procureur de la République de Montauban.
Un individu de moins de 20 ans, libéré le 20 mars, a été jugé le 23 avril par le tribunal correctionnel de Vannes (Morbihan) pour outrage à gendarmes, rébellion et récidive de violences en état d’ivresse. Il faut dire qu’il avait ingurgité deux à trois litres de bière, bousculé sa mère et frappé son frère qui voulait s’interposer. À 3h du matin, c’est celle-ci qui appellera finalement la maréchaussée. L’intervention est sportive: l’individu résiste, insulte les militaires et blesse l’un d’entre eux à la main. Les agents apprendront qu’il avait de surcroît volé de l’alcool, un téléphone portable chez un voisin et de l’argent chez une connaissance de boisson. Il sera condamné à 18 mois de prison, dont 9 avec sursis
Pas de «serial killers», mais des radicalisés?
Bien sûr, ces trois cas sont loin d’être les seuls –Sputnik France en avait déjà relevé d’autres. L’institution judiciaire essaie toutefois de rassurer:
«Ce ne sont pas les serial killers que l’on remet en liberté», affirmait Ivan Guitz, magistrat à Bobigny (93) et vice-président de l’association nationale des juges de l’application des peines.
Les personnes impliquées dans des affaires de terrorisme devaient aussi théorie rester derrière les barreaux… du moins jusqu’aux révélations du journaliste du Point Aziz Zemouri. Parmi les milliers de détenus libérés, 130 avaient de quoi inquiéter, avançait-il, citant une source au sein des renseignements. En réponse, le ministère de l’Intérieur a nié que ce contingent comptât de véritables djihadistes, qui resteraient «hors champ des mesures de libération.» En réalité, ces 130 anciens prisonniers auraient été radicalisés durant leur peine, échappant aux restrictions en l’absence de tout passage à l’acte terroriste.
«Il n’y a pas de détenus dangereux ou radicalisés qui auraient été libérés», déclarait le 23 avril sur Europe 1 Rémy Heitz, procureur de la République de Paris, dans ce qui semblait être une opération de rattrapage. Soulignant que 2.000 détenus avaient profité de la mesure en Île-de-France, il insistait: «ce sont des détenus qui ont bénéficié de réduction de peine, d’autres ont été assignés à domicile.»
Une fausse solution? En effet, un Lyonnais de 38 ans, libéré le 10 avril, a été assigné à résidence. Mais il a été rappelé à l’ordre dès le 21 avril pour une altercation avec l’agent de sécurité d’une grande surface, avant de déclencher une bagarre quelques heures plus tard dans un bureau de tabac et de cracher au visage des policiers lors de sa garde à vue. Cinq agents porteront plainte et l’individu a été jugé en comparution immédiate. Verdict: six mois de prison et la révocation de son sursis de quatre mois. Après deux semaines en liberté, il a été de nouveau incarcéré à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas.
Sortir du «tout carcéral», c’est sortir les délinquants de prison
Pour l’avocat Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut pour la Justice, un tel plan demeure une solution de facilité. Il a tiré la sonnette d’alarme au micro de Sputnik, soulignant un précédent historique pour le moins inquiétant:
«En 1981, la libération anticipée à la faveur d’un décret de grâce et d’amnistie de plus de 5.000 détenus s’est traduite l’année suivante par un bond de 20% du taux de criminalité, qui est passé de 53,5 à 63 pour mille.»
Nicole Belloubet a-t-elle fait prendre à la France le même chemin?