Ils espéraient une convergence des luttes. Ils voulaient aider. Cette nuit-là, entre le 21 et le 22 avril à Villeneuve-la-Garenne, une vingtaine d’antifas ont voulu apporter aux émeutiers des zones sensibles leur connaissance des confrontations avec les forces de l’ordre. «Nul besoin d’être un expert en mouvements sociaux pour les distinguer», précise le Bondy blog pour Mediapart: «Ils sont blancs pour la plupart, globalement plus âgés que les jeunes à la manœuvre, et tout dans leur attitude et leur équipement trahit une certaine habitude de la révolte de rue.»
«Morts aux porcs», scandent les jeunes de banlieue aux policiers, une insulte propre aux cultures musulmanes. Les antifas la crient à leur tour, mais les banlieusards et les militants de la gauche radicale ne parviendront pas à s’entendre. Un leader leur reproche d’aller au contact avec les forces de l’ordre. On leur reproche d’être des journalistes. L’incompréhension et le ton montent. Déçus, les antifas quittent alors le champ de bataille. L’histoire semble tirée d’un roman de Laurent Obertone, mais les faits sont pourtant bien réels.
Déception amoureuse?
Certes, l’événement est marginal. Mais il en dit long sur l’attirance de la gauche radicale pour les émeutiers des zones sensibles. D’ailleurs, le 24 avril, une trentaine d’organisations politiques de cette frange publiait une tribune afin de reconnaître que «ces révoltes sont l’expression d’une colère légitime, car les violences policières ne cessent pas», et d’appeler au combat contre «les inégalités et les discriminations.» Parmi les signataires cohabitaient la CGT, le NPA, Solidaires ou encore le comité Adama. Mais l’entente sur le papier ne trouve pas d’écho dans les rues des territoires perdus de la République.
Une affaire qui n’a guère étonné Anne-Sophie Nogaret, ancienne enseignante de philosophie en ZEP, qui a signé avec Sami Biasoni l’essai Français malgré eux. Racialistes, décolonialistes, indigénistes: ceux qui veulent déconstruire la France (L’Artilleur, 2020). «Les antifas restent des bourgeois blancs extérieurs à la cité», rappelle l’essayiste, qui souligne d’emblée l’importance des perceptions ethnoculturelles dans les zones sensibles:
«Ils méprisent les blancs, et de surcroît les antifas sont souvent d’origine bourgeoise.»
L’ennemi commun qu’est la police n’a alors plus la moindre importance. L’antagonisme avec la «population blanche» semble trop puissant: l’antifa sera toujours davantage «un blanc» qu’un possible allié de circonstance.
«Ils sont complètement paranoïaques!»
«Ça ne peut pas marcher. Les indigénistes ont un mode d’action destructif, ils sont dans une optique d’opposition systématique», répond l’essayiste sans hésiter.
Dès lors, la mésentente ne manque jamais d’advenir. Les précédents sont d’ailleurs nombreux, notamment celui de la France insoumise: «au niveau local, la tentative d’alliance avec LFI n’a pas marché. Corbière et Garrido ont été accusés de racisme, ils ont repris leurs billes.» Autre anecdote: le militant des banlieues Taha Bouhafs, remarqué pour ses vidéos contre la police sur les réseaux sociaux, était candidat aux élections législatives en 2017 (en Isère) pour le parti de Jean-Luc Mélenchon, avant de quitter LFI en février 2019.
Un discours victimaire?
Anne Sophie Nogaret ironise: dans l’absolu, rapprocher une gauche traversée par le militantisme LGBT et des indigénistes, qui le sont par l’islamisme, reste pour le moins «acrobatique.» Rien de neuf après tout, diraient les historiens… la logique de la révolution permanente ne manque jamais de dévorer les enfants qu’elle engendre:
«Ils sont complètement paranoïaques, ils ont toujours besoin d’un persécuteur. S’il n’y en a pas, leur logique s’effondre. Alors il faut constamment en créer un. Et c’est ainsi que les alliés d’un jour peuvent devenir à leur tour les persécuteurs à combattre.»
Pourtant, l’indigénisme n’en est pas moins dangereux selon elle, tant cette pulsion destructrice se marie sans peine avec le discours victimaire omniprésent dans les «banlieues populaires».
Pacifier les zones sensibles, est-ce possible?
«Il n’est pas difficile de les convaincre un public jeune et en déshérence que c’est à cause du méchant État raciste s’ils en sont là…», estime-t-elle. Or, prétendre que l’État est coupable reviendrait à fermer les yeux sur d’autres maux:
«Quand on parle avec les gens de ces quartiers, ils se passeraient bien des islamistes, des trafics de drogue ou des indigénistes… ils sont contraints de les supporter et de s’écraser.»
À Villeneuve-la-Garenne, la convergence des luttes n’a pas eu lieu. Rappelés au secours alors que les mesures sanitaires avaient provoqué l’arrêt de leur activité, les médiateurs auraient permis un retour au calme:
«Ce n’est pas la police qui intervient, ce sont les médiateurs, et il faut dire que ça fonctionne. Les grands frères calment les petits.»