À quelque chose, malheur est bon. Si la Tunisie croise le fer, comme tous les pays du monde, avec le virus du Covid-19, la crise a néanmoins permis de révéler de jeunes talents. Portés par un élan national de solidarité, des étudiants ou des ingénieurs ont trouvé des solutions pratiques à des problèmes de désinfection des hôpitaux ou de manque de dispositifs médicaux. Ils ont fabriqué des robots, des tunnels de désinfection ou des visières pour le personnel médical, avec les moyens du bord.
Un robot téléguidé pour les hôpitaux à Jendouba
Originaire de Jendouba, dans le nord-ouest tunisien, un groupe d’ingénieurs et d’anciens étudiants des ISET (Instituts supérieurs des études technologiques) a fabriqué un robot téléguidé qui permet de désinfecter les chambres et les couloirs des hôpitaux et de distribuer de la nourriture et des médicaments aux patients contaminés par le Covid-19 dans les établissements médicaux, en évitant au personnel les risques de contamination.
Wael Abidi, 24 ans, ingénieur, fait partie de cette équipe dont la moyenne d’âge est comprise entre 24 et 28 ans. Il raconte à Sputnik comment a germé l’idée de la conception de ce robot.
«Nous étions six ingénieurs qui travaillaient dans une même usine, mis au chômage technique à cause du confinement et nous nous sommes mis à réfléchir à la manière d’aider notre région à faire face à la crise. Et c’est là qu’est venue l’idée de concevoir le robot», explique-t-il.
Le groupe, qui s’est élargi depuis à 11 personnes, a pu bénéficier du soutien du directeur de l’ISET Jendouba, qui a mis à sa disposition ses locaux et son matériel, et aussi de celui de quelques associations locales. Le robot est en phase de finalisation. D’après ses jeunes concepteurs, certaines organisations internationales auraient même manifesté leur intérêt pour soutenir cette initiative.
Mais le robot n’est pas le seul projet sur lequel le groupe est en train de plancher. Il a aussi conçu un respirateur et des visières pour le personnel médical.«Notre équipe est composée de personnes qui ont chacune leur spécialité: mécanique, électronique, informatique, etc. Cela nous aide beaucoup à travailler», souligne Wael.
Le seul problème, relève-t-il, c’est le manque de matières premières.
«Jusque-là, nous avons compté sur nos propres moyens pour se les procurer, en plus de l’aide de la société civile et des autorités locales, mais ce n’est pas suffisant. Nous aurions augmenté notre production si nous avions eu assez de matériels de fabrication», poursuit le jeune ingénieur.
Toutefois, le groupe ne se laisse pas dissuader et continue à travailler avec les moyens du bord.
Un tunnel de désinfection à Sidi Bouzid
Avec le même enthousiasme, 15 jeunes ingénieurs de Sidi Bouzid (centre de la Tunisie) se sont réunis pour fabriquer des tunnels de désinfection pour les hôpitaux. Diplômés de l’ISET Sidi Bouzid ou actuellement étudiants, leur moyenne d’âge varie entre 20 et 28 ans. Ils ont été regroupés par le directeur de l’ISET Sidi Bouzid pour créer, en mars 2020, Fablab ISET Sidi Bouzid, «un laboratoire de fabrication et un atelier mettant à la disposition du public des outils de façonnage d’objets assistés par ordinateur», comme on peut lire sur la page Facebook du groupe.
Parmi les volontaires qui travaillent à ce projet, Haythem M’salbi, 27 ans, ingénieur, explique à Sputnik le succès qu’a eu le prototype du tunnel désinfectant auprès du corps médical au niveau de la région.
«Nous avons conçu un prototype et nous l’avons présenté au personnel médical de l’hôpital régional de Sidi Bouzid. Il a remporté un franc succès auprès des médecins qui nous ont fourni la matière première pour en concevoir un autre. Aujourd’hui, nous avons installé deux tunnels pour cet hôpital, deux autres pour celui de la localité de Jelma et nous sommes en train d’en préparer deux pour un hôpital dans la ville de Regueb ».
Fort de ce succès, le groupe a décidé de se lancer dans la conception d’un robot qui utilise les rayons ultra-violets (UV) pour éliminer les virus et désinfecter les hôpitaux. «Mais nous avons un problème pour nous procurer les tubes UV car on n’en trouve pas à Sidi Bouzid», déplore Haythem.
En attendant, l’équipe continue à avancer sur d’autres initiatives telles que la création de visières grâce à des imprimantes 3D. Elle donne aussi des formations gratuites dans ce domaine à d’autres jeunes inventeurs du gouvernorat pour pouvoir en fabriquer.
Le groupe souhaite aujourd’hui s’élargir pour atteindre 20 personnes afin de faire face à la charge croissante du travail. «Notre objectif est d’assurer la continuité du Fablab, même après la crise.»
Des visières à partir de conduites d’eau en plastique à Béja
À l’École supérieure des ingénieurs de Medjez El Bab (ESIM), on s’active pour fabriquer des visières pour le personnel médical du gouvernorat de Béja (nord-ouest de la Tunisie). Et même si la matière première manque terriblement, pas de souci! L’équipe sur place, composée d’étudiants, de professeurs et d’employés, a trouvé la solution: utiliser des conduites d’eau en plastique et les adapter.
Hassen Kharroubi, le directeur de l’ESIM, indique à Sputnik l’origine de cette initiative:
«Nous avons voulu faire quelque chose d’utile pour notre région, alors nous avons sollicité de l’aide autour de nous. Un particulier nous a fourni une imprimante 3D et nous avons commencé à créer des visières avec les matériaux qui étaient à notre disposition, c’est-à-dire les conduites d’eau. Et finalement, nous avons pu en fabriquer 1.500.»
Le groupe de dix personnes, piloté par le directeur, a pu fournir sa production aux principaux hôpitaux de Tunis comme Charles-Nicolle et Rabta, en plus des hôpitaux régionaux du gouvernorat de Béja. Et les demandes n’en finissent pas!
Ces initiatives lancées par des ingénieurs volontaires et des directeurs d’écoles technologiques ne sont pas les seules en Tunisie. D’autres ont pu voir le jour, «à la faveur» de cette crise sanitaire. Attendaient-elles la catastrophe pour éclore? Hassen Kharroubi a son idée sur la question:
«En Tunisie, il y a toujours eu plusieurs compétences et des jeunes talentueux, sauf qu’il fallait leur donner les moyens pour exprimer leur talent. Par ailleurs, la bureaucratie et la ruée vers l’importation empêchaient la valorisation du potentiel humain national. J’espère qu’avec la crise, les décideurs prendront en compte cette réalité.»