À crise inédite, réponses inédites. Les milliards coulent et avec eux les interrogations. La terrible pandémie de coronavirus qui frappe depuis plusieurs mois la planète, désormais responsable de plus de 191.600 décès et d’une quasi-mise à l’arrêt de l’économie mondiale, a poussé les États européens à voter des plans de relance colossaux. Des dizaines, voire des centaines de milliards d’euros vont être mis sur la table par la France, l’Italie ou encore l’Allemagne.
Le nord contre le sud
De nombreux États européens sont très endettés. Avant la crise actuelle, Paris et Rome devaient déjà composer avec des ratios dettes/PIB supérieurs à 100%. Sans parler de pays comme l’Espagne ou la Grèce. De quoi soulever des inquiétudes, pour certains observateurs. C’est notamment le cas de l’économiste en chef de l’entreprise de conseil britannique The Economist Intelligence Unit Simon Baptist, qui faisait récemment part de ses préoccupations sur CNBC: «Je pense que nous verrons prochainement une crise de la zone euro revenir avec des pays comme la Grèce ou l'Italie.»
Pour Christophe Ramaux, économiste et maître de conférences à l’université Paris I, l’augmentation des dettes publiques n’est pourtant pas le principal danger que court la zone euro:
«De mon point de vue, qui est très keynésien, l’augmentation des dettes publiques n’est pas un problème. Le Japon vit avec un ratio dette/produit intérieur brut qui dépasse les 200% et cela ne lui pose pas plus de problèmes que cela. Ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi. L’important est que la dette soit viable. Dès lors que vous avez de la croissance, de l’inflation et que les riches sont plus taxés afin d’augmenter vos rentrées, la dette est soutenable.»
Le 23 avril, au terme d’un sommet européen en visioconférence, le Président Emmanuel Macron a appelé à «aller plus loin, plus fort» vers une «souveraineté européenne». «Sur la souveraineté, en particulier économique, industrielle, stratégique, militaire, technologique, environnementale, les choses sont en train d'avancer fortement et, là-dessus, l'Europe est au rendez-vous de l'Histoire», a notamment lancé le locataire de l’Élysée.
Selon Christophe Ramaux, il est clair qu’il ne faut pas aller vers plus de fédéralisme pour sauver l’Europe:
«L’Europe a un grave problème de vision. Il y a une déconnexion entre des politiques budgétaires qui resteront nationales, quoi qu’en disent les fédéralistes, et une monnaie qui est unique. À quoi sert le budget de l’État? À payer les fonctionnaires, les retraites, à financier les aides sociales, etc. Vous n’aurez jamais de retraites européennes, de policiers et d’infirmières européens ou d’allocations familiales européennes.»
Afin de faire face à la crise du coronavirus, Paris milite pour un plan de relance au niveau européen d’un montant compris entre 800 et 1.600 milliards d’euros. Comme évoqué précédemment, Emmanuel Macron veut aller loin et fort.
Il souhaite notamment l’émission de dettes avec «une garantie commune» dans le but de financer «des transferts budgétaires vers une région ou un secteur particulièrement touchés, avec des règles et une gouvernance très claires et acceptées par tous». Un pas vers une solution défendue de longue date par les partisans d’un meilleur équilibre au niveau des richesses de la zone euro?
Cette solution n’est du goût des pays du nord qui s’accrochent bec et ongles à une certaine orthodoxie budgétaire. En mars dernier, l’idée d’une émission de Coronabonds, des emprunts obligataires communs aux 27, défendue par plusieurs pays dont l’Italie et la France, s’est heurtée au refus catégorique de l’Allemagne et des Pays-Bas. Ces États y verraient notamment un danger pour leurs finances et l’euro.
«L’euro bénéficie aux pays du nord de l’Europe, notamment à l’Allemagne car les gains de productivité y sont plus importants. Ce n’est pas que les Allemands travaillent plus que les Italiens, les Grecs ou les Espagnols, mais ils bénéficient de l’appareil industriel allemand et de ses nombreuses grandes entreprises où les gains de productivité sont historiquement plus grands. Les règles sur la libre concurrence étant ce qu’elles sont au sein de l’Union européenne, ce tableau donne les écarts colossaux de compétitivité qui existent entre les pays du nord et du sud», analyse Christophe Ramaux.
De l’aveu même d’Emmanuel Macron, il n’y a pour le moment «pas de consensus» entre les 27 concernant d’éventuels transferts budgétaires vers «les régions et les secteurs» les plus touchés par la crise actuelle. Pourtant, le locataire de l’Élysée estime que «si on laisse tomber une partie de l'Europe, c'est toute l'Europe qui tombera».
La BCE en sauveur?
Le déséquilibre nord-sud est au cœur du problème de la zone euro pour Christophe Ramaux: «L’Allemagne a délaissé la demande intérieure pour tout miser sur les exportations, ce qui lui a permis de dégager des excédents commerciaux totalement délirants, même supérieurs à ceux de la Chine en termes de pourcentage car cette dernière a fait en sorte d’augmenter sa demande intérieure en relevant les salaires et autres prestations sociales. L’Allemagne a fait le contraire et s’est imposé une cure d’austérité dans les années 2000.» L’économiste et chercheur poursuit:
«Le seul moyen de sauver de l’euro serait que les pays du nord qui dégagent des excédents commerciaux soient obligés de dépenser plus de manière à créer de l’inflation interne et ainsi équilibrer la balance avec les pays du sud. Et c’est là tout le problème. L’Allemagne est encore traumatisée par l’arrivée au pouvoir d’Hitler qu’elle explique par la crise hyperinflationiste qui a frappé la République de Weimar dans les années 20. Reste que si l’on ne remet pas tout le fonctionnement économique de l’Europe à plat, nous irons de crise en crise. Et l’euro, décidément mal conçu, pourrait très bien ne pas y survivre.»
Quid du rôle de la Banque centrale européenne dans cette crise? «Primordial», selon Christophe Ramaux pour qui l’institut basé à Francfort se doit de garantir les emprunts des États, notamment ceux les plus en difficultés.
Le 12 mars, la présidente de la BCE Christine Lagarde créait la panique sur les marchés avec des déclarations interprétées comme frileuses sur la réponse à donner à cette crise. Depuis, le «programme d’achat urgence pandémique» ou (PEPP) a vu le jour et a porté les capacités d’achats de titres de la BCE à un trillion d’euros, en d’autres termes: 100 milliards par mois d’ici à décembre.
Pour Christophe Ramaux, la Banque centrale européenne jouera son rôle:
«La BCE a mis beaucoup d’eau dans son vin libéral, notamment au moment de la crise grecque en 2012 où elle a bien compris que si elle persistait à suivre son dogme libéral, la Grèce sortirait de l’euro, la zone euro risquerait d’exploser et avec elle la BCE. Je pense qu’elle n’aura pas d’autre choix que de garantir d’une façon ou d’une autre les emprunts d’État, notamment italiens.»