Le gouvernement a-t-il fermé l’accès des salles de réanimation aux «personnes les plus fragiles»?

Une circulaire du ministère de la Santé en date du 19 mars, évoquée par le Canard enchaîné, aurait conseillé de «limiter fortement» l’admission en réanimation des «personnes les plus fragiles». Une information qui ne trouve pas encore d’écho dans la presse, à l’heure où le tri des patients durant la crise du Covid-19 ne fait pourtant plus de doute.
Sputnik
«Nous faisons tout pour être en mesure d’y échapper, mais […] je ne peux pas vous dire les yeux dans les yeux que ce type de situation ne peut pas arriver, même dans un pays comme la France», déclarait Olivier Véran, ministre de la Santé, le 22 mars au micro de RTL.

Une interview qui survient alors que depuis quelques jours, la presse française s’est emparée de la thématique du risque de tri des malades dans les hôpitaux. Nous sommes alors mois d’une semaine après qu’Emmanuel Macron a annoncé le déploiement d’un hôpital de campagne à Mulhouse. Le Bas-Rhin dont les capacités de réanimation sont alors décrites par le préfet de la région Grand-Est comme «saturées», avec 688 cas de coronavirus recensés dans le département, voit alors les premières évacuations sanitaires de malades du coronavirus.

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Néanmoins, trois jours avant ces déclarations d’Olivier Véran à la radio luxembourgeoise, son ministère «suggérait de limiter fortement l’admission en réanimation des personnes les plus fragiles» à travers une circulaire dont le Canard enchaîné révèle l’existence dans son édition du 22 avril. Un «conseil» motivé par le souci d’éviter l’acharnement thérapeutique et la crainte de manquer de lits pour des patients plus jeunes, qui «semble avoir été appliqué de manière un peu trop systématique», développe le palmipède, qui présente quelques chiffres issus d’un «tableau de bord” de l’Assistance publique de Paris». Si le 21 mars, les plus de 75 ans et plus de 80 ans représentent respectivement 19% et 9% des patients en réanimation, deux semaines plus tard, au plus fort de l’épidémie, ils n’occupent plus que 7% et 2% des lits.

S’interrogeant sur à l’impact potentiel de cette circulaire gouvernementale sur le bilan macabre du Covid-19 chez les patients les plus âgés, Le Canard enchaîné rappelle que ces deux semaines de baisse drastique observées concernant la proportion des patients âgés dans les services de réanimation des hôpitaux publics ont surtout été marquées par une «explosion» des contaminations dans ces deux catégories d’âge, les patients de 80 ans représentant la moitié des décès dus à l’épidémie de Covid-19.

​Des révélations qui ne trouvent encore aucun écho ni dans la presse nationale ni parmi les hommes politiques, exception faite de Nicolas Dupont-Aignan, qui s’en est indigné dans une courte vidéo.

Le «tri» des patients resterait-il en France un non-dit tant politique que médiatique? Pourtant, dès le 19 mars, soit au même moment où cette circulaire paraît, des «choix douloureux» entre des malades du Covid-19 sont relatés dans le Grand-Est, la région prenant alors de plein fouet la vague épidémiologique. Certains de nos confrères souligneront notamment que là où le grand public a pu entendre «mobilisation» dans les propos d’Emmanuel Macron lorsqu’il répète dans son discours du 16 mars que «nous sommes en guerre» contre le virus, certains soignants y ont, eux, entendu un avertissement:

«En temps de guerre, on trie les malades. Deux questions s’imposent à vous: “Qui?” et “Pourquoi?”. Qui: ceux qui ont une chance de guérir. Pourquoi: pour sauver et ne pas engager des ressources en vain», commentait auprès de L’Opinion, Renaud Hammoud, chirurgien hospitalier à Bagnolet.

Dans cet article publié le 20 mars, le médecin évoquait une logique de «médecine de guerre». Préférant le terme de «médecine de catastrophe», le docteur Jean-François Corty, ancien directeur des opérations de Médecins du Monde, confirmera auprès de la rédaction du Huffington Post que la «logique de tri» est bien en vigueur dans les établissements franciliens depuis la mi-mars.

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«Trier les patients par l’âge est inconcevable», déclarait la veille de ce témoignage un autre médecin, Philippe Juvin. Chef des urgences de l’hôpital européen Georges Pompidou, il insistait auprès de nos confrères d’Europe1 sur le fait que «l’âge seul ne veut rien dire», estimant que la décision de donner ou non un respirateur à un patient s’effectuerait sur des «critères multiples». Du côté des politiques, le sujet est sensible, à l’image d’Olivier Véran qui lors de cette interview du 22 mars énumérera pendant près de deux minutes l’ensemble des mesures mises en place pour faire face à l’afflux de patients graves dans les établissements de santé. Face à un journaliste visiblement agacé, le ministre finira par déclarer:

«J’ai demandé à ce que des cellules éthiques soient mises en place dans tous les hôpitaux pour pouvoir accompagner les soignants dans ce type de décision si elles venaient à se poser.»

Notons qu’à l’inverse de certains médecins qu’ils interviewent, nos confrères tricolores font preuve d’une grande prudence pour évoquer ce phénomène cru, mais réel (un peu comme pour les actes de terrorisme en France), parlant principalement d’une crainte, d’un «point de bascule redouté». Rares sont ceux qui parlent ouvertement de tri des patients, préférant à ce terme celui de «dilemme moral» ou encore d’un «choix éthique».

Dans des articles se voulant généralement pédagogiques, les chances de survie du patient à la ventilation artificielle ainsi que ses pathologies ou maladies associées sont les arguments récurrents avancés pour motiver le refus de médecins de placer un malade du Covid-19 sous respirateur. Reste à savoir si les personnes âgées ne souffrant d’aucune pathologie chronique sont nombreuses.

Premier pays européen frappé parla pandémie, l’Italie avait marqué les esprits quand elle avait dû recourir au tri des patients. Le 12 mars, des journalistes français et francophones suivant la situation sanitaire dans la péninsule avaient dans une tribune demandé à Paris de «prendre la mesure du danger». Des voisins italiens qui, d’ailleurs, n’avaient pas apprécié ce qu’ils avaient perçu comme une certaine «arrogance» de l’exécutif français à leur égard dans la gestion de la crise. «Leur système hospitalier n’est pas dans le même état que le nôtre» expliquait au Monde un conseiller d’Emmanuel Macron, «notre stratégie est la bonne […] notre hôpital tient le choc», assurait quelques lignes plus bas un proche du Président, dans un article publié le même jour que la tribune des journalistes.

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Pour autant, pas besoin d’aller jusqu’à l’hôpital pour se voir refuser l’accès aux lits de réanimation. Comme évoqué dans un article où nous abordions le cas d’un décret publié le 29 mars autorisant le recours au Rivotril (un puissant anxiolytique habituellement utilisé dans le traitement de l’épilepsie) afin d’effectuer des soins palliatifs dans les Ehpad et à domicile auprès de malades refusés en réanimation, la décision de ne pas hospitaliser les patients les plus âgés semble couper court à la polémique de l’épineux «tri» des patients au sein du milieu hospitalier.

Début avril, deux associations (Corona victimes et Comité anti-amiante Jussieu) déposaient un référé auprès du Conseil d’État, dénonçant une «rupture d’égalité». Elles réclamaient au gouvernement des règles fixes afin d’encadrer l’accès aux soins des personnes âgées malades du Covid-19. Mais plus que des décisions gouvernementales, les patients âgés ne seraient-ils finalement pas les victimes d’un refus des politiques, des journalistes, et donc finalement des Français, de voir la vérité en face?

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