Burkina Faso: la bavure de trop?

Human Rights Watch a accusé les forces de l’ordre burkinabè d’avoir exécuté 31 personnes à Djibo, au Burkina Faso. La dénonciation de ce nouveau drame met en lumière la situation délétère et chaotique à l’intérieur de ce pays comme au sein de l’armée dans un contexte social très tendu. Analyse pour Sputnik de Leslie Varenne, directrice de l’Iveris.
Sputnik

Pendant que toute la planète a les yeux rivés sur la pandémie de Covid-19, au Burkina Faso, les drames continuent.

Les faits

Selon les témoignages recueillis par Human Rights Watch à Djibo, ville située dans la région du Sahel burkinabè, le 9 avril dernier, 31 personnes, toutes appartenant à la communauté peule, auraient été victimes d’exécutions arbitraires et sommaires. L’ONG écrit: «Des dizaines de membres des forces de sécurité ont été impliqués dans l’opération du 9 avril, qui a débuté vers 10 heures avec des arrestations pour s’achever vers 13h30 lorsque plusieurs coups de feu ont été entendus.» Les victimes n’étaient pas armées, elles vaquaient tranquillement à leurs occupations. Elles amenaient leur bétail à l’abreuvoir ou étaient assises devant leurs abris, voire même marchaient paisiblement dans la rue. 

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Toujours selon les témoignages recueillis par l’ONG, «la plupart des membres des forces de sécurité étaient vêtus d’une tenue militaire et d’un gilet pare-balle. D’autres étaient habillés de noir ou portaient un mélange de tenues militaire et civile». Ces tenues laissent à penser que les Forces de défense et de sécurité étaient accompagnées par le groupe dit «d’autodéfense» koglweogo et par des Volontaires. Les Volontaires de la défense de la patrie sont de jeunes civils recrutés et armés par le ministère de la Défense qui servent, depuis janvier 2020, de supplétif aux forces de l’ordre.

Cette opération, qui aurait été menée par le Groupement des forces armées antiterroriste (GFAT), montre une nouvelle fois que les Peuls sont sans discernement, sans autre forme de procès, assimilés aux terroristes. Et ceci alors que les victimes faisaient partie des populations qui avaient déjà quitté la zone du Nord et du Centre-Nord et s’étaient réfugiées à Djibo précisément pour fuir l’insécurité qui sévit dans leurs villages.

Le chaos déconstructeur…

La dénonciation des événements de Djibo par Human Rights Watch, une ONG très écoutée par les chancelleries et les institutions internationales, est un coup dur pour le gouvernement burkinabè et son ministre de la Défense, Cheriff Sy. 

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D’autant que ce n’est pas la première fois que de tels faits se produisent. En février 2019, quelques jours seulement après la nomination de Cheriff Sy, l’armée avait revendiqué une grande victoire en affirmant avoir «neutralisé 146 terroristes» dans les localités de Kain et Bhan. En réalité, après l’enquête d’une organisation des droits de l’homme burkinabè (MBHDP), il s’était avéré que 60 civils innocents, tous peuls, avaient été exécutés sommairement. Le mois dernier, une autre ONG, International Crisis Group, a alerté sur «les abus des forces de l’ordre» et le fait que les opérations antiterroristes donnaient lieu «à l’élimination des suspects plutôt qu’à leur arrestation». Elle tirait également la sonnette d’alarme sur l’armement des volontaires et les capacités de nuisance des Koglweogos: «La réponse essentiellement militaire du gouvernement et le recours à des civils armés sur lesquels il n’exerce qu’un contrôle limité ont conduit à des abus favorisant les recrutements djihadistes et leur basculement dans une violence aveugle.»

Le gouvernement burkinabè voudrait donner corps aux inquiétudes du chef d’État-major des armées français, le général Lecointre, qui déclarait lors d’une audition au Sénat qu’il fallait «éviter que la population peule ne bascule définitivement dans les rangs ou en appui de l’EIGS*», qu’il ne s’y prendrait pas autrement…

Outre le fait que tous ces crimes renforcent les terroristes, cela crée de profondes déchirures dans le tissu de la cohésion nationale. Une situation de chaos règne dans toute la partie septentrionale comme à l’est du pays. Tout cela sur fond de défiance vis-à-vis du gouvernement et de tensions sociales liées aux mesures prises pour lutter contre la pandémie de coronavirus.

Le grand malaise de l’armée

Les événements de Djibo ne redorent pas non plus le blason d’une armée burkinabè déjà bien à la peine. En vertu d’une loi de mai 2018 qui punit de un à dix ans de prison et à une forte amende toute personne qui «en temps de paix, participe en connaissance de cause à une entreprise de démoralisation des forces armées de nature à nuire à la défense nationale», les journalistes ne peuvent plus écrire sur l’état du moral des troupes ou sur des faits concernant l’armée.

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Pour autant, ce n’est pas parce que les problèmes ne sont pas exposés sur la place publique qu’ils n’existent pas. Ouagadougou reste un village où tout se sait. Ainsi, depuis des mois, les milieux politiques et militaires font état des nombreuses désertions au sein de la grande muette. Jusqu’en novembre 2019, les militaires sollicitaient leur radiation ou une mise en disponibilité. Devant la recrudescence de ces demandes, l’État burkinabè a suspendu tous les départs volontaires. Depuis cette date, les militaires du rang, las d’être envoyés au front parfois pendant de longs mois, avec le risque de mourir ou d’être blessés, sans moyens adaptés, sans stratégie, sans chef, mais avec une hiérarchie pléthorique qui reste dans les bureaux, n’ont plus d’autre choix que de fuir vers le Ghana ou la Côte d’Ivoire. La majorité de ceux qui continuent à combattre a perdu confiance en elle, en ses supérieurs et est démoralisée.

Partage du territoire

C’est dans ce contexte que les deux mouvements djihadistes –Nusrat al-Islam (JNIM)* de Iyad Ghali et l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS)* de Walid Al-Sahraoui– se livrent bataille pour le partage du territoire dans le Sahel. Au cours de la semaine dernière, au Burkina Faso dans la région du Soum, à Arbinda et Nassoumbou, l’État islamique* a tué plus de 40 combattants du JNIM*. Depuis, Iyad Ghaly s’est vengé. Au cours de violents combats qui ont opposé les deux groupes dans le Soum et le Loroum le 20 avril dernier, Al-Sahraoui a perdu de nombreux éléments. Les attaques se poursuivent également côté malien: près de Gossi, là encore le JNIM* a pris le dessus.

Cette lutte n’est pas terminée et nul ne peut en prédire l’issue. Il semble néanmoins que Iyad Ghali prenne l’avantage et ceci au moment où il négocie avec l’État malien. Faute d’avoir anticipé, faute de stratégie, faute d’interlocuteur, avec une armée démotivée, le gouvernement burkinabè se retrouve totalement démuni, sans aucune prise sur les événements.

La faute à pas de chance?

Au tout début de son quinquennat, Emmanuel Macron avait endossé son habit de chef de guerre en se rendant à Gao au Mali. Pour sortir la France du bourbier sahélien, il a compté sur le renforcement des armées nationales mais trois ans plus tard, leurs forces et leur moral sont au plus bas. Même le Tchad, le meilleur allié, semble tenté par le règlement de la situation autour du lac Tchad en dehors des coalitions.

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Or, toujours dans le même esprit de soulager la France du poids de cette guerre qu’elle menait seule, le Président français s’est dépensé sans compter pour porter la force G5 Sahel sur les fonds baptismaux et lui trouver des financements pérennes. En vain. En décembre 2017, il «voulait des victoires en 2018»… En 2019, il appelait l’Europe à venir combattre aux côtés de la France au sein de la force Takuba, cela n’a pas soulevé l’enthousiasme et seuls quelques pays ont répondu présent. Cette nouvelle structure n’est d’ailleurs toujours pas opérationnelle et ne le sera pas avant 2021. Il est donc légitime de s’interroger sur une stratégie qui aboutit systématiquement à une impasse. La faute à pas de chance? 

Et voilà que les mesures prises pour lutter contre la pandémie de Sars-CoV-2 viennent encore un peu plus déstabiliser l’organisation des armées, suspendre les programmes européens dans le développement et la formation... Dans ces conditions, le «général Macron» n’aurait peut-être pas eu la faveur de Napoléon, grand connaisseur des chefs au combat, dont la première question sur un candidat au talent prometteur était: «Mais a-t-il de la chance?»

*Organisation terroriste interdite en Russie.

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