Lutte contre Boko Haram: la pression du Tchad sur ses voisins

Après l’expédition punitive du Tchad contre Boko Haram, Idriss Déby Itno a dénoncé l’inaction de ses voisins et menace de ne plus envoyer de forces armées dans les opérations extérieures. Alors que la secte islamiste poursuit ses attaques dans la région, quelles pourraient être les conséquences d’un retrait de l’armée tchadienne?
Sputnik
«Nos soldats sont morts pour le lac Tchad et pour le Sahel. À compter d'aujourd'hui, plus aucun soldat tchadien ne participera à une opération militaire en dehors du Tchad», a déclaré le Président Idriss Déby Itno à la télévision tchadienne le 10 avril dernier.

Cette annonce intervient au terme d'une opération lancée contre la secte islamiste à la suite de l'attaque meurtrière contre une base de l'armée tchadienne qui avait fait une centaine de morts fin mars parmi ses soldats. Dans la même déclaration, le Président tchadien affirme que plus de 1.000 combattants de Boko Haram ont été tués lors d'une grande offensive près de la région du lac Tchad. Une expédition punitive au cours de laquelle le pays a également perdu 52 hommes.

«Nous nous sommes battus seuls aux confins du lac Tchad sans l'apport des pays censés nous aider», a déploré le chef de l'État tchadien.

Ainsi, Idriss Déby Itno dénonce «l’inaction» de ses voisins, pourtant tout aussi concernés par la menace de Boko Haram, et il met par la même occasion la pression sur ses partenaires en annonçant que son armée allait cesser de participer à des opérations militaires contre les djihadistes, notamment autour du lac Tchad et au Sahel. 

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Les plaintes de N’Djamena sont-elles fondées? Pour Frank Ebogo, expert en relations internationales et études stratégiques à l'université Yaoundé 2, «il est faux de dire aujourd'hui que le Tchad se retrouve seul et abandonné sur le théâtre des opérations. En réalité, toutes les armées de la sous-région sont engagées à des degrés différents dans la lutte contre Boko Haram». Néanmoins, il nuance:

«Même si, dans la dernière opération conduite par Idriss Déby, on a bien vu que l'armée tchadienne était isolée. Elle a très peu bénéficié du soutien des pays de la sous-région.»

À Yaoundé, une source militaire souligne qu’une telle opération ne saurait se dérouler sans que les États voisins n’en soient préalablement informés. Cependant, elle n’a pas voulu s’exprimer sur la non-participation des pays frontaliers dans la dernière expédition.

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Alors que la secte islamiste est loin d’être défaite dans la région, cette déclaration d’Idriss Déby, pense Frank Ebogo, vise plutôt «à réveiller les pays de la sous-région, puisqu'on a vu que les djihadistes qui ont attaqué les territoires frontaliers du Tchad venaient pour la plupart du Nigeria et du Niger».

Une menace, poursuit l’analyste, qui n’est pas nouvelle car le Président tchadien a déjà, par le passé, engagé des bras de fer avec ses partenaires, faisant de son armée, réputée très efficace, un instrument d'influence dans la région et auprès de ses partenaires internationaux.

«Vous vous souvenez qu'il y a quelques mois, il avait menacé de se retirer de la Minusma (intervention onusienne au Mali) et de toutes les opérations en Afrique dans lesquelles l'armée tchadienne était engagée», rappelle Frank Ebogo.

Conséquences dans le bassin du lac Tchad

Dans le cadre de la lutte contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, l’armée tchadienne participe à la Force multinationale mixte (FMM), constituée des forces militaires du Bénin, du Cameroun, du Niger et du Nigeria, qui combat depuis 2015 le groupe terroriste. 

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Alvin Ateba, expert des questions internationales, considère que l’hypothèse d’un retrait du Tchad des opérations extérieures aurait nécessairement des répercussions au niveau de la région. «Le Nigeria, le Cameroun et le Tchad, du fait de leur position géographique, créent une situation de triangulation autour de Boko Haram qui atténue déjà sérieusement les activités de cette secte», estime-t-il. Cet éventuel repli du Tchad mettrait ses partenaires, au sein de la FMM, en porte-à-faux.

«Et en plus, le Tchad est le seul pays à maîtriser le combat dans les espaces sahéliens au vu de son expérience militaire», poursuit-il au micro de Sputnik.

En manifestant son agacement, le Président tchadien cherche-t-il à remobiliser ses partenaires autour de la cause commune ou montre-t-il des signes d’épuisement? Si, pour Frank Ebogo, le Président tchadien exprime seulement «un ras-le-bol», dans un contexte où son pays vient de payer un lourd tribut après la dernière attaque meurtrière, Alvin Ateba y voit, a contrario, des signes d’essoufflement. Pour l’expert, le leadership du Tchad dans la lutte contre Boko Haram commence à lui peser, «avec notamment l'assouplissement de l'engagement militaire de pays partenaires comme le Cameroun et le Nigeria», préoccupés par des questions de sécurité interne.

«On peut citer par exemple le cas du Cameroun, avec la crise sécessionniste en zone anglophone. Le partenariat nigérien s'est également affaibli du fait de problèmes internes dus notamment à une rébellion Touareg repoussée depuis les frontières troubles du Mali», poursuit l’analyste.

Poursuivant son offensive contre la secte dans le bassin du lac Tchad, le Président Idriss Déby a aussi prévenu le Niger et le Nigeria que ses troupes quitteraient les bases prises aux djihadistes le 22 avril prochain, que leurs armées prennent le relais ou non. Cinq ans après la création de la FMM, les pays membres n’ont toujours pas repris le contrôle de la région comme en témoigne, encore, le double attentat kamikaze qui a frappé Amchidé, dans l’Extrême-Nord du Cameroun, dimanche 5 avril, tuant sept civils.

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