Au Québec, les centres d’hébergement pour aînés sont maintenant l’épicentre de la pandémie de Covid-19.
Ces derniers jours, des dizaines de résidents infectés par le coronavirus ont perdu la vie dans des établissements pour personnes âgées, ce qui a poussé le Premier ministre québécois, François Legault, à consacrer toute son énergie à cette situation. Il a même évoqué l’intervention de l’armée pour faire face à la crise dans ces résidences.
Le 15 avril, pour témoigner de sa bonne foi dans ce dossier, le gouvernement Legault a accepté de publier la liste des 145 établissements dans lesquels au moins un résident était infecté.
Covid-19: un carnage chez les personnes âgées
Pour Judith Gagnon, présidente de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées, la crise actuelle aura au moins eu l’utilité de lancer une grande réflexion sur le sort réservé aux personnes âgées.
Elle estime toutefois que des morts auraient pu être évitées si Québec avait décidé de revoir en amont son système d’hébergement. De fait, le manque criant de ressources et de vigilance dans les Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) y explique en bonne partie la multiplication des complications dues au Covid-19, selon de nombreux experts.
«Dans les dernières années, on a quand même beaucoup parlé de la situation dans les CHSLD. Par contre, on se souciait très peu de revoir le système. Beaucoup de choses ont été dites, mais la refonte du système d’hébergement n’a jamais été la priorité des gouvernements qui se sont suivis. Le gouvernement a autant laissé la situation se dégrader dans les CHLSD publics que dans les CHSLD privés [...] Malheureusement, il aura fallu une crise pour révéler tout ça. Si des actions avaient été prises avant la crise, il y aurait moins de décès», s’indigne Mme Gagnon à notre micro.
Les Québécois ont récemment appris que 31 personnes âgées avaient perdu la vie en moins d’un mois au CHSLD Herron de Dorval, dans l’Ouest de Montréal. Cinq de ces personnes sont officiellement décédées de complications dues au Covid-19. Selon de nombreux témoignages, plusieurs résidents ont été laissés jusqu’à quatre jours dans leurs excréments et leur urine avant que l’histoire n’éclate au grand jour. Le scandale du CHLSD Herron restera à jamais gravé dans la mémoire québécoise.
«L’histoire du CHSLD Herron, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Lorsque la crise sera terminée, l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées voudra prendre part à la refonte du système qu’a annoncée le Premier ministre Legault.
Cette fois, nous aimerions que les aînés soient écoutés et pas seulement des gens qui se disent experts. Ce sont les aînés qui sont les personnes concernées [...] Nous ne pouvons pas continuer comme ça. C’est un problème structurel et collectif que nous devons régler», poursuit Judith Gagnon.
Pour en rajouter, le journal La Presse a révélé le 15 avril que le président du groupe financier possédant la résidence Herron, Samir Chowieri, avait déjà été condamné par la justice pour des affaires d’importation de drogue et de fraude. M. Chowieri a aussi été condamné pour des infractions fiscales et désigné par un juge comme ayant participé à une «magouille» immobilière.
Crime organisé et résidences pour aînés
Selon Maria Mourani, criminologue québécoise réputée, des membres ou des ex-membres du crime organisé peuvent sans problème investir dans les résidences pour aînés dans la Belle Province.
«Oui, des membres d’organisations criminelles ou de cliques mafieuses roulent [font marcher, ndlr] des affaires légales tout à fait impunément au Québec... Cela leur permet de blanchir de l’argent. Ils sont dans la restauration, la construction, l’hôtellerie, les résidences pour aînés, le jeu, l’automobile, la bourse, les clubs, les bars, les boutiques, etc.», explique Mme Mourani au micro de Sputnik.
Le 13 avril, l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées a publié une lettre ouverte au Premier Legault pour lui demander d’honorer sa promesse de revoir en profondeur le système d’hébergement des personnes âgées après la crise. «Nous sommes attristés, outrés, horrifiés, parce qu’à plusieurs reprises, nous avons dénoncé haut et fort les situations que nous vivons présentement», peut-on notamment y lire.
«Nous réclamons que se tiennent des états généraux sur la situation des aînés [...] Le Québec est l’une des sociétés qui le vieillissent le plus vite dans le monde. Les cas sont de plus en plus lourds et le personnel est manquant. Il y a moins de préposés disponibles qu’auparavant. Les besoins et les changements sont urgents», constate la présidente de cette association regroupant plus de 24.000 personnes âgées au Québec.
Au soir du 15 avril, 14.860 cas d’infection avaient été recensés dans la Belle Province. 487 décès liés au Covid-19 y ont été enregistrés. La grande majorité des victimes sont des personnes âgées vivant dans des CHSLD.