Entre Donald Trump et les institutions internationales liées à l’Onu, la relation a toujours été compliquée, mais elle vient de franchir un nouveau seuil d’hostilité avec l’annonce de la suspension du financement de l’Organisation mondial de la santé (OMS) par les États-Unis. Une décision unanimement condamnée par les chefs d’État et les dirigeants d’institutions internationales de tous les continents.
Pourquoi donc cette décision? Philippe Moreau-Defarges, ancien diplomate et spécialiste des relations internationales, qui a publié en janvier Une histoire mondiale de la paix (Éd. Odile Jacob), livre son analyse au micro de Sputnik:
«Les raisons qui ont motivé cette suspension de financement sont des raisons “trumpiennes”. Donald Trump est toujours dans la logique de chercher un bouc émissaire. Ça peut-être un adversaire politique, mais en l’occurrence, c’est une instance internationale et l’OMS, qui est une bureaucratie internationale, se prête totalement à ce rôle.»
Pour le Président des États-Unis, l’OMS est responsable de la mauvaise gestion de la crise sanitaire et a participé à dissimuler sa propagation, notamment depuis la Chine. Il a donc commandé une étude pour examiner le rôle de l’OMS dans cette crise et déterminer si l’institution méritait toujours le financement américain.
L’OMS, bouc émissaire idéal?
Pris dans la tourmente au niveau national, Donald Trump est engagé dans une course contre la montre pour la présidentielle de 2.020 et le coronavirus se révèle un adversaire aussi redoutable qu’inattendu. Comme l’explique Philippe Moreau-Defarges, «on voit bien que Trump essaye de détourner l’orage qui frappe actuellement les États-Unis vers un autre coupable que lui.»
«Si l’OMS avait fait son travail et envoyé des experts médicaux en Chine pour étudier objectivement la situation sur le terrain, l’épidémie aurait pu être contenue à sa source avec très peu de morts», a affirmé le Président américain lors d’un point presse.
Une décision qui reste pour le moins surprenante, compte tenu du contexte de crise sanitaire actuel. En effet, partout dans le monde, des milliers de personnes meurent tous les jours du Covid-19 et couper les vivres à l’organisation internationale considérée comme la plus apte à lutter contre l’épidémie échappe à la logique de beaucoup d’acteurs et d’observateurs.
Pourtant, cette politique est toutefois fidèle au slogan «America first» (l’Amérique d’abord) de Donald Trump, qui ne manque jamais une occasion de critiquer les différentes instances internationales et en particulier celles rattachées à l’Onu.
«Le rapport entre Donald Trump et le système onusien a toujours été mauvais. L’Onu est un enfant des États-Unis, mais c’est un enfant rebelle, difficile, et à une époque, l’administration de Donald Trump a même envisagé le retrait des États-Unis de l’Onu», rappelle l’expert.
Une hostilité qui n’est pas sans risque, car bien qu’il «y a quand même chez Donald Trump une forme de prudence masquée» du fait qu’il n’est pas arrêté, mais suspendu les paiements, le message est passé. Héritées de la Seconde Guerre mondiale, ces institutions internationales, que les États-Unis financent plus que les autres pays, sont souvent perçues comme des instruments du Soft Power américain.
La Chine en embuscade pour combler le vide?
En s’éloignant d’institutions comme l’OMS, ou l’Unesco, que Donald Trump a quitté, ce dernier ouvre la porte à de nouvelles puissances, qui pourraient prendre ce rôle. En premier lieu, la Chine, qui déploie d’importants efforts pour apporter son assistance au monde durant cette crise.
«La nature a horreur du vide et Trump ouvre la porte au Soft Power chinois en attaquant l’OMS. La Chine va se présenter comme la grande protectrice de l’OMS. Néanmoins, nous sommes dans un monde “mondialisé”, avec des courants d’opinions très forts. Si l’OMS apparaît trop comme un outil de la Chine, il y aura un choc en retour et l’OMS sera terriblement décrédibilisée. Le jeu va être très compliqué, mais je ne pense pas qu’à terme la Chine puisse prendre le rôle des États-Unis à l’OMS», temporise Philippe Moreau-Defarges.
D’autant que si l’opinion internationale condamne quasiment unanimement cette décision, cette même opinion reconnaît des dysfonctionnements dans la gestion de la pandémie par l’OMS: «Ces critiques sont en partie pertinentes. Comme souvent avec Trump, ces critiques ont toujours un fond de vrai. Une mission de l’OMS en Chine a été un raté et peut être dénoncée comme une mission manipulée par la Chine», souligne l’expert.
«Néanmoins, les États-Unis ont eux-mêmes leur part de responsabilité: l’OMS a un système de tests qu’elle a mis à disposition de tous les États, mais les États-Unis ont refusé et ont préféré utiliser leur propre système de tests, ce qui a pris du temps et entraîné pas mal de cafouillages», poursuit l’ancien diplomate.
La contribution de 400 millions de dollars par an des États-Unis, de loin la plus importante, ne devrait toutefois pas paralyser l’organisation à court et moyen terme. Comme l’explique Philippe Moreau-Defarges,
«L’OMS peut fonctionner sans le financement américain. Tout d’abord, ces organisations sont habituées à ces retards de paiements par les États. Aussi, beaucoup d’organisations de ce type, comme l’Unesco par exemple, savent d’ailleurs l’hostilité que leur porte Donald Trump et s’y sont préparées. Il y a également une émergence de donateurs privés, notamment celle de la fondation Gates, donc non, la survie de l’OMS n’est absolument pas menacée.»