Les Yéménites vont-ils connaître un peu de répit dans la «guerre civile» qui fait rage depuis cinq ans et qui a déjà causé au moins 100.000 morts? Sur fond de pandémie de Covid-19, Riyad a déclaré unilatéralement, sans négociations préalables avec la partie adverse, un cessez-le-feu de deux semaines dans le conflit qui les oppose aux Houtis, armée insurrectionnelle chiite proche de Téhéran.
Problème, les forces Houtis n’ont absolument pas consenti à cet arrêt des hostilités. Au contraire, leurs représentants ont confirmé publiquement que les combats continueraient tant que Riyad n’aura pas accédé à leurs demandes.
«Tant que le siège n’aura pas été levé, nous avons tous les droits d’utiliser nos systèmes de missiles, nos défenses aériennes et maritimes, y compris les drones. Nous continuerons de cibler leurs installations militaires et leurs sites industriels. Ce n’est rien d’autre que la continuation de la guerre. La coalition menée par l’Arabie saoudite ne fait que manipuler des mots», a expliqué l’un des porte-parole Houtis à la chaîne Al-Jazeera.
Les Houtis ont pour leur part présenté un plan de paix un jour avant celui proposé par l’Arabie saoudite, qui relève plus d’une capitulation saoudienne qu’autre chose. Document que Riyad ne peut donc pas se permettre de signer. Ces derniers ont donc sorti une parade diplomatique qui pourrait leur donner un temps précieux, explique au micro de Sputnik Fayçal Jalloul, chercheur à l’académie géopolitique de Paris et spécialiste du Yémen:
«Ce cessez-le-feu ne correspond pas à une capitulation. En implantant ce cessez-le-feu, Riyad se donne du temps pour traiter chez elle l’épidémie grandissante. De plus, les États-Unis, le plus important soutien saoudien, sont empêtrés dans cette même crise et ne peuvent apporter le même niveau de soutien qu’auparavant. Cela pousse l’Arabie saoudite à temporairement suspendre ses opérations au Yémen.»
Depuis un peu plus de cinq ans d’engagement, Riyad et ses alliés ne sont pas parvenus à venir à bout de rebelles Houtis, équipés et entraînés en grande partie par leur parrain iranien. À ce jour, les Houtis contrôlent toujours la capitale, Sanaa, certains grands centres urbains et la plupart des régions les plus peuplées. Cela pousse certains observateurs à considérer ce cessez-le-feu, sinon comme une capitulation, au moins comme un aveu de faiblesse de Riyad.
Le coût de cette guerre était tout de même très important pour le royaume saoudien, qui a investi à coups de milliards de dollars dans du matériel militaire qu’il n’avait pas l’expérience d’utiliser. Riyad a donc profité de l’appel lancé le 25 mars par Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies (Onu), à suspendre les hostilités, au moins durant le temps de la pandémie de Covid-19.
Premier cas de coronavirus officialisé au Yémen
Une perche qui tombe à pic pour les dirigeants saoudiens, qui ne peuvent temporairement pas rester empêtrés dans les sables mouvants yéménites. D’autant que, comme le rapporte le New York Times, 150 membres de la famille royale auraient contracté le Covid-19. Un problème majeur, car les postes clés du pays sont occupés par des Saoud. Néanmoins, l’Arabie saoudite n’a pas totalement renoncé à ses objectifs yéménites. Comme l’explique Fayçal Jalloul, le Yémen est de la plus haute importance stratégique pour le royaume:
«Le père fondateur de la dynastie Saoud, Abdelaziz Ibn Saoud, disait à sa descendance: “votre bien vient du Yémen, et votre mal également.”»
Selon l’expert donc, ce cessez-le-feu ne devrait être qu’une courte parenthèse et les combats devraient reprendre une fois l’épidémie passée. D’une part, parce que le Yémen est un pays dans la zone d’influence directe de l’Arabie saoudite et qu’elle ne peut se permettre qu’une autorité hostile contrôle le pays, mais aussi, car ce pays se pose en puissance régionale et que sa crédibilité militaire est en jeu. Le Royaume ne peut s’avouer vaincu face à une guérilla infiniment moins bien équipée que lui. Le conflit que l’Onu a qualifié de «plus grave crise humanitaire au monde» n’est donc très certainement pas près de s’achever et le calvaire que vivent les civils yéménites depuis cinq ans non plus.