«Il n’est pas le général de Gaulle», Macron est-il à la hauteur face au coronavirus?

Alors que le chef de l’État s’adressera à nouveau à la Nation le 9 avril, sa gestion de la crise du coronavirus est de plus en plus critiquée. Dans son propre camp, certains de ses proches l’accusent de «trop parler». Le politologue Yves Sintomer livre une analyse sans concession à Sputnik France.
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«Il n’est pas lui-même. Il n’est pas le général de Gaulle.»

Cette saillie relatée récemment par Le Parisien ne vient pas d’un opposant à Emmanuel Macron, mais bien d’un communicant du gouvernement. Le locataire de l’Élysée s’adressera le 9 avril à la nation pour la quatrième fois depuis le début de l’épidémie de coronavirus qui frappe durement le monde et la France. Certains, au sein même de son propre camp, s’inquiètent de le voir «trop parler».

«Sans faire partie du cercle rapproché du Président de la République, nous pouvons avoir la même impression. C’est-à-dire celle d’un Emmanuel Macron qui se pose en sauveur de la Nation, tels de Gaulle ou Clémenceau, tout en ayant du mal à en endosser l’habit», analyse Yves Sintomer, politologue et membre de l’Institut universitaire de France.

Le Président de la République est sur tous les fronts. Depuis plusieurs semaines, il multiplie les visites d’hôpitaux et d’Ephad.

Sa venue le 7 avril à Pantin, en Seine-Saint-Denis, dans le but de soutenir les soignants a fait couler beaucoup d’encre. Elle a en effet provoqué des attroupements. Pas vraiment recommandé en période de confinement.

Le 31 mars dernier, lors d’une visite d’une usine de masques à proximité d’Angers, il est apparu devant les caméras revêtant… masque et charlotte. Le tout alors que quelques jours avant, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye déclarait: «Il n’y a pas besoin d’un masque quand on respecte la distance de protection vis-à-vis des autres.»

​Cette visite a eu le don d’agacer autour de lui. «La prochaine fois qu’il parle, ce doit être pour dire des choses fortes. Qu’est-ce qu’il a été faire dans cette usine avec son masque sur le nez?» confiait un «vieil ami» du Président au Parisien. Un autre communiquant de l’Élysée, toujours interrogé par le quotidien de la capitale, n’y est pas allé de main morte: «Son problème, c’est qu’il adore les déguisements: en militaire, en aviateur, etc. Il ne faudrait pas que les Français finissent par croire qu’il s’est déguisé en Président!»

Manque d’autocritique?

Ce sont ces mêmes masques dont la France manque cruellement qui sont à l’origine de nombreux reproches faits à Emmanuel Macron dans sa gestion de la crise. Le 18 mars dernier, face à la pénurie en France, deux organisations caritatives chinoises ont envoyé un million de masques à la France.

«La France, sixième puissance mondiale, se voit contrainte de quémander de l’aide à la Chine pour recevoir en urgence un million de masques», lançait en mars dernier Marion Maréchal Le Pen, directrice de l’institut de Sciences sociales économiques et politiques de Lyon.

À l’autre bout de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon, leader des Insoumis, n’a pas non plus été tendre avec le gouvernement et le Président:

«La France appelle au secours sanitaire la Chine. Merci de tout cœur aux Chinois. Honte à ceux qui nous ont mis dans cette situation et continuent de brader notre souveraineté dans tous les domaines.»

Depuis, la France a commandé deux milliards de masques à la Chine, qui arriveront d’ici fin juin, selon l’aveu de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères.

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Pas de quoi calmer les détracteurs d’Emmanuel Macron, lequel voit désormais se lever la critique dans son propre camp, notamment sur sa communication. «Sa parole s’use, il parle trop!», peste un «habitué de l’Élysée» auprès du Parisien.

«Le Président de la République, lors de son discours du 16 mars, a parlé de “guerre”, sans l’avoir préparée. Il se montre dans les médias portant un masque alors que son gouvernement avait dit qu’il n’était pas nécessaire d’en porter. Tout ceci donne l’impression d’une communication brouillonne, qui n’a pas le sérieux que peut avoir celle de la Chancelière allemande Angela Merkel, par exemple», déclare Yves Sintomer.

Philippe Moreau-Chevrolet, patron de l’agence de communication MCBG Conseil, a livré son analyse de la situation au journal Le Parisien: «Il n’arrive pas à trouver sa place dans le dispositif. Il est parti sur une fausse piste avec la communication de guerre, qui ne correspond pas à la réalité. Cela crée un décalage entre un Président qui est en guerre et un pays qui est chez lui, sans assez de matériel pour assurer sa propre protection. Du coup, il apparaît un peu satellisé à côté du discours très concret et très médical du trio Philippe-Véran-Salomon. Le Président fait une drôle de guerre: il la fait tout seul.»

​Pire, Emmanuel Macron est accusé d’autoritarisme. «Quand on mène une bataille, on doit être unis pour la gagner. Et je pense que toutes celles et ceux qui cherchent déjà à faire des procès, alors que nous n’avons pas gagné la guerre, sont irresponsables», déclarait Emmanuel Macron le 31 mars. Une erreur pour Yves Sintomer:

«Il n’a pas esquissé la moindre autocritique quant au manque de préparation dont a fait preuve son gouvernement face à cette crise. Alors, la France n’est certes pas la seule à s’être trompée. Mais d’autres pays, comme l’Allemagne ou la Corée du Sud, étaient mieux préparés face à cette épidémie. De plus, le gouvernement invoque sans arrêt la science, alors que l’on voit bien que les méthodes pour lutter contre le coronavirus font l’objet d’un débat dans la communauté scientifique, avec des experts qui ne sont pas tous d’accord. Vouloir clore le débat sans autocritique et en traitant les gens d’irresponsables est très problématique dans une démocratie comme la nôtre.»

Le 9 avril, le Président se livrera donc à nouveau à l’exercice de l’allocution à la Nation. D’après Le Parisien, Emmanuel Macron devrait s’exprimer au sujet du prolongement du confinement, ainsi que sur la question du port du masque. Il devrait également aborder le traçage numérique des personnes contaminées et le calendrier des municipales. Qu’attendre de cette prise de parole? Yves Sintomer appelle de ses vœux une réelle communication de sortie de crise:

«Ce n’est pas le nombre de fois où l’on parle qui compte, mais la façon dont on s’exprime et le contenu. Si Emmanuel Macron prend à nouveau la parole pour faire du spectacle et se mettre en scène au lieu de véritablement communiquer sur la réponse à cette crise, je pense qu’il risque fort de lasser beaucoup de ceux qui l’écouteront.»
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