Selon une étude de l’IFOP pour Labtoo, une majorité des Français sondés pensent que la chloroquine est «efficace» contre le SARS-CoV-2. Pourquoi a-t-on proposé d’utiliser ce dérivé d’un antipaludique connu depuis soixante-dix ans pour traiter une maladie causée par un nouveau coronavirus, alors même que l’on attend toujours les résultats des essais cliniques? «La création et les essais cliniques de nouveaux médicaments prennent généralement de nombreuses années et peuvent coûter des milliards de dollars; cependant, rien ne garantit que le médicament pourra passer par toutes les étapes du test», explique à Sputnik Ilya Serebriiski, maître de recherches associé au Fox Chase Cancer Center de Philadelphie, aux États-Unis.
«De plus en plus de scientifiques et de médecins tentent d’ajouter une nouvelle utilisation à un médicament existant. Ce processus est appelé reprofilage de médicaments. L’utilisation de la chloroquine et de ses dérivés pour le traitement du Covid-19 est une tentative d’économiser de l’argent et, en premier lieu, du temps», explique le Dr Serebriiski.
«La chloroquine serait un candidat idéal s’il était possible de démontrer son efficacité», assure le scientifique, puisque le produit est utilisé en traitement depuis de nombreuses années et que ses propriétés ont été bien étudiées. Le scientifique américain considère qu’avec une bonne utilisation –«j’insiste, avec une bonne utilisation»– le médicament est sûr, ses effets secondaires sont relativement faibles et faciles à gérer. De plus, ce médicament reste très bon marché.
«J’insiste, avec une bonne utilisation», la chloroquine est sûre
«Le problème est que ce médicament agit non seulement sur les cellules individuellement, mais sur le corps dans son ensemble. Au niveau des cellules, in vitro, le médicament fonctionne parfaitement. Mais nous avons besoin de guérir tout le corps, non des cellules individuelles. Et là, il n’y a tout simplement pas de résultat», tempère Ilya Serebriiski.
Le scientifique fait part d’études «menées à de nombreuses reprises sur une grande variété d’animaux de laboratoire avec une grande variété de virus»: le résultat a toujours été négatif ou inintelligible. Le médicament a été testé chez l’homme, également sans grand succès, comme le montre un bref aperçu de ces tentatives publié par un groupe de scientifiques français.
Guerre de la chloroquine: pétitions contre études scientifiques
Néanmoins, la pression de l’opinion publique pousse des médias à multiplier les publications qui citent les guérisons plus rapides suite à l’utilisation de la chloroquine. Chiffres et graphiques à l’appui, des personnalités médiatiques prennent la parole et lancent les pétitions. Tout le monde désormais a sa propre opinion sur la question, mais le Dr Serebriiski appelle à la prudence face à cet emballement, puisque «certaines de ces publications ne sont pas en réalité des articles scientifiques»: il s’agit de «prépublications, c’est-à-dire le texte d’un article publié avant qu’il ne soit analysé par des critiques scientifiques.»
«Pour que ces articles soient convaincants, ils doivent citer la méthodologie d’obtention et le traitement statistique des données, ils doivent permettre l’accès à ces données. Le désir de trouver un remède au plus vite est parfaitement compréhensible. Mais nous devons éviter de prendre nos désirs pour la réalité, il faut du temps pour examiner scrupuleusement ces résultats», assure le scientifique américain.
«Nous avons des expériences qui ont été faites en utilisant des techniques différentes, il est difficile de les comparer les unes aux autres. Cela ne signifie nullement que les résultats de ces travaux sont incorrects, cela signifie seulement qu’ils doivent être reproduits plus d’une fois avant qu’on soit sûr de leur efficacité», tempère Ilya Serebriiski.
Face aux «défauts méthodologiques» des essais actuels, la prudence s’impose
«Periculum in mora» (le danger est dans l’attente), disaient les Anciens. A-t-on le temps de «mener des expériences» respectant tous les protocoles dans un contexte d’urgence sanitaire, d’autant plus que la chloroquine est considérée comme sûre et que, face à la croissance du nombre de cas de contamination, notamment aux États-Unis, le département américain de la Santé a autorisé son utilisation?
«Le problème est qu’il s’agit d’un “certain” effet observé. On dit que l’effet existe, “paraît-il”, c’est-à-dire qu’il est relativement faible. On voit clairement qu’il ne s’agit pas d’un “remède miracle”. Mais alors c’est là qu’interviennent les effets secondaires, c’est pourquoi il est important d’éviter l’automédication», prévient le Dr Serebriiski.
«C’est pourquoi il est si important de déterminer précisément la méthode d’utilisation [de chloroquine, ndlr] avant que le médicament ne soit utilisé en masse», conclut le scientifique.
Le 30 mars dernier, la Food and Drug Administration (FDA, l’Administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments) qui a le mandat d’autoriser la commercialisation de médicaments sur le territoire des États-Unis, a autorisé l’utilisation de la chloroquine dans le traitement des malades atteints de coronavirus.
«Quant à l’autorisation de la FDA, la décision a été prise par des personnes vivantes soumises à des pressions, notamment politiques. Les règles de cette organisation exigent que l’autorisation soit obtenue avec des preuves factuelles scientifiques. Mais aucune référence à ces données n’a été fournie. Les médecins américains peuvent utiliser la chloroquine, mais la responsabilité des résultats leur revient», souligne Ilya Serebriiski.
Le Dr Serebriiski rappelle qu’un grand nombre de nouveaux essais cliniques sont déjà organisés. Il existe aux États-Unis une organisation qui surveille tous les essais cliniques, laquelle recense à ce jour 53 tests enregistrés dans différents pays du monde. Les nouveaux essais sont mis en place si rapidement (en deux jours, leur nombre est passé de 44 à 53) que les coordinateurs n’ont pas le temps de saisir toutes les adresses.
«Je pense que d’ici six mois, nous obtiendrons une réponse plus ou moins fiable», assure le chercheur.
Le problème demeure donc: les patients ne peuvent attendre aussi longtemps.