Covid-19: le système de santé tunisien est-il prêt pour le pire scénario?

Manque de matériel médical, nombre insuffisant de tests de dépistage et personnel soignant contaminé, le système de santé tunisien sera-t-il capable de faire face au pic pandémique dans un mois? Les observateurs sont sceptiques devant les lacunes qui restent à combler, alors que les professionnels tirent la sonnette d’alarme.
Sputnik

Près d’un mois s’est écoulé depuis que la Tunisie a annoncé son patient zéro du Covid-19. Depuis, les autorités sanitaires ne cessent de répéter qu’elles sont dans une stratégie de prévention de la maladie afin d’empêcher sa propagation massive et l’arrivée à un pic pandémique non maîtrisable. 

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La démarche préventive n’est pas superflue pour les Tunisiens: les capacités limitées de l’État et les fragilités structurelles qui minent le secteur de la santé depuis des années plaident pour ce «choix», qui est la seule option.

Manque de matériel médical

La crise du coronavirus a dévoilé un manque de lits en réanimation. Le ministre de la Santé, Abdellatif El Mekki, a déclaré que la Tunisie disposait au total de 500 lits, répartis entre le secteur public et le secteur privé.

«Ce n’est pas suffisant! Si demain, nous avons une grosse vague de contamination, nous ne pourrons pas y faire face avec le nombre de lits de réanimation dont le pays dispose. Il existe même des zones noires où on n’en trouve aucun!», précise Saïd Aïdi, l’ancien ministre de la Santé (février 2015- août 2016) à Sputnik.

La situation pourrait devenir préoccupante, d’autant que le pic pandémique est attendu dans un mois, selon les déclarations de Chokri Hamouda, directeur général des soins de santé de basé au ministère de la Santé, et membre du Comité national de lutte contre le coronavirus.

Outre le manque de lits en réanimation, il y a aussi une pénurie de matériel médical tels que les masques FFP2, les masques chirurgicaux, les blouses, les surblouses, les gants, etc.

«En tant que personnel médical, nous manquons de masques FFP2 pour nous protéger et d’autres équipements nécessaires. Quand nous en demandons à la direction de l’hôpital, on nous en apporte, mais toujours en petites quantités», explique à Sputnik Aida Borgi, médecin au service de réanimation pédiatrique à l’hôpital des enfants de Bab Saadoun.

Pour pallier ce manque, le chef du gouvernement Elyès Fakhfakh a ordonné l’allocation d’un fonds de 300 millions de dinars (95 millions d’euros) afin de constituer un stock stratégique de médicaments et de moyens de protection pour les mois à venir. 

L’UE accorde à la Tunisie une aide de 250 millions d’euros pour faire face au Covid-19
Par ailleurs, la Tunisie a reçu samedi 28 mars une cargaison d'équipements contre le virus. Le même jour, l’Union européenne a annoncé une aide de 250 millions d’euros en faveur du pays afin de surmonter les conséquences de la crise. Mais Saïd Aïdi reste sceptique car «même si le ministère de la Santé fournit le matériel nécessaire, il n’y a pas assez de personnel –anesthésistes, réanimateurs, personnel médical formé– dans les hôpitaux pour l’utiliser».

Que faire alors dans ce cas? Aïdi recommande «le dépistage précoce massif, même pour les personnes asymptomatiques». Mais là aussi, un problème se pose: celui de l’insuffisance des tests de dépistage.

Des tests de dépistage en nombre insuffisant

Bien que le chef du gouvernement ait ordonné la réalisation de 10.000 dépistages afin d’avoir une cartographie nationale de la propagation de la maladie, ce nombre reste en deçà des besoins réels, si on le compare à la Corée de Sud –où 140.000 tests sont pratiqués chaque semaine– ou l’Allemagne –500.000 tests par semaine.

Certes, la Tunisie ne compte que 12 millions d’habitants, ce qui milite en faveur d’un dépistage à grande échelle contrairement à d’autres pays qui comptent plus de 50 millions d’habitants. Mais elle n’a pas les moyens des grandes puissances mondiales.

Toutefois, «elle peut utiliser des kits rapides et pas trop chers, au lieu d’utiliser le kit à 700 dinars (233 euros) l’unité», commente pour Sputnik le Dr. Thouraya Annebi Attia, experte en sécurité du patient.

Consécutivement aux appels des professionnels à faire un dépistage massif, le ministre de la Santé vient d’ordonner l’achat de 500.000 tests rapides (résultat en 10 minutes). 3.752 tests ont déjà été réalisés qui ont permis de détecter, 362 cas. Reste que pour que cette stratégie soit plus efficace, il faut, selon l’ex-ministre de la Santé, «renforcer les mesures du confinement et isoler les cas suspects».

Une autre priorité à signaler dans ce dispositif de prévention contre le coronavirus est la protection du personnel médical.

Personnel médical contaminé

Des appels se sont multipliés ces derniers jours de la part de plusieurs médecins afin de protéger le personnel de santé qui se trouve en première ligne. Dans un communiqué publié vendredi 28 mars, la Fédération générale de la Santé, affiliée à l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) a réclamé des moyens de protection et de prévention pour tous les professionnels du secteur dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Cet appel intervient à la suite de la mise en quarantaine de plus de 100 professionnels de la santé, et de la contamination de quatre d’entre eux. 

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Parallèlement, le personnel médical a mis aussi en garde contre le risque de contamination dans leurs foyers et avait sollicité l’État pour trouver une solution dans ce sens. Une requête à laquelle a répondu la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH) en lançant le 26 mars l’opération «FTH-Solidarité Blouses Blanches» qui «consiste à héberger dans les hôtels participants, les équipes médicales des hôpitaux qui pourront ainsi protéger leurs familles et leurs proches, tout en poursuivant leur activité professionnelle», comme le souligne le site d’information Webdo.

Saadia Ben Amor, membre de la Fédération régionale de l’hôtellerie Tunis-Bizerte, est en charge de la coordination de cette opération au niveau de la capitale. Elle affirme à Sputnik que: 

«Neuf hôtels se sont portés volontaires jusque-là, fournissant 90 lits au personnel médical de garde dans les principaux hôpitaux du Grand Tunis.»

Toujours dans le souci de protéger le personnel soignant, certains médecins ont appelé à consacrer des établissements hospitaliers exclusivement au traitement des patients atteints du Covid-19. Le ministère de la Santé a réservé l’hôpital Abderahmen Mami à l’Ariana à cet usage unique.

«Mais ce n’est pas suffisant. Il faut créer des pôles exclusivement consacrés aux malades du Covid-19 dans le nord, le centre et le sud du pays afin d’éviter de contaminer tous les hôpitaux, et en premier lieu le cadre soignant», plaide Said Aïdi.

Sauver le personnel médical est une urgence, d’autant que le pays en manque terriblement du fait de la fuite des cerveaux commencée 2011. Le nombre de médecins émigrés, essentiellement vers l'Europe, se compte par milliers.

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