«Je m’éclate!»
«J’avais quelques scrupules en tenant ce journal intime car je vis dans un pays où tout va bien. Mais dès l’arrivée du coronavirus, je me suis dit: ça y est, nous sommes tous dans la même galère. Et la situation dans le monde nous a démontré que nous sommes tous égaux face au coronavirus. Au début, j’avais lancé des lives sur Facebook à une heure tardive pour écouter de la musique et discuter. Et très rapidement, je me suis rendu compte qu’il y avait de l’interaction, les gens suivaient et réagissaient. C’était le moment de lancer le média du confinement, la radio de la fin du monde», explique Abdallah Benadouda à Sputnik.
Réinventer le Hirak
Ainsi est née Radio Corona Internationale. Benadouda l’animateur a repris du service. Homme de radio et de télévision, il écrit des chroniques et pose la structure d’une véritable émission. «C’est mon côté professionnel», dit-il. Sur le plan technique, le concept repose sur trois éléments : un smartphone, un ordinateur et une enceinte.
Les chroniques sont enregistrées sur ordinateur, il suffit de les lancer pour que le son soit diffusé par l’enceinte et passe en direct sur le smartphone connecté à Facebook. Radio Corona Internationale, c’est une sorte de radio libre des années 1980 avec en sus une interactivité avec les auditeurs. L’animateur avoue «ne surtout pas se prendre au sérieux» mais cela ne l’empêche pas d’aborder des sujets très sérieux. En premier lieu, la question du Hirak, qui a marqué une trêve forcée à cause de la pandémie. Il cite l’exemple de l’émission spéciale dédiée à la condamnation de l’homme politique Karim Tabbou.
«Radio Corona n’est pas un média d’information mais nous devions réagir à ce procès arbitraire, les gens étaient abattus. Alors j’ai décidé d’assumer. C’était la première fois que j’ai eu l’impression de faire de la radio pour aborder un sujet très sérieux. Pour ce qui est du Hirak, j’estime qu’à toute chose malheur est bon. Beaucoup de gens se demandent comment poursuivre le Mouvement citoyen sans pour autant manifester. Je pense que le concept de Radio Corona International répond au besoin de renouveau de la revendication citoyenne. Pour moi, ce confinement va nous permettre de réfléchir sereinement et de réinventer le Hirak», indique-t-il.
Exil
Diffusée deux fois par semaine en soirée, Radio Corona Internationale rassemble des centaines d’Algériens à travers le monde. Abdallah Benadouda est heureux, il retrouve ses réflexes d’animateur après six années d’absence des médias audiovisuels.
Vétérinaire de formation, il avait d’abord fait un long passage dans le domaine de l’édition avant de se lancer dans la radio. Il a débuté en qualité d’animateur à la Chaîne III (radio publique en langue française). Il a rejoint ensuite Dzaïr TV –chaîne propriété de l’homme d’affaires Ali Haddad (actuellement en prison) très proche du clan Bouteflika– où il a lancé Système DZ, une émission qui se caractérisait pour sa liberté de ton et son humour.
Puis sont arrivés 2014 et le quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Se sentant menacé par son employeur et par Saïd Bouteflika, le frère du Président (également en prison), Abdallah Benadouda a décidé de s’exiler aux États-Unis.
Apprendre l’arabe avec Gaïd Salah
Pour l’animateur, «Radio Corona Internationale s’adresse aux Algériens où qu’ils soient dans le monde». Mais Abdallah Benadouda n’est pas seul «sur les ondes», il est entouré d’une équipe de chroniqueurs à l’instar du Dr Sihem Abbas, psychiatre, addictologue et sexologue qui anime une chronique psy. «Je lui ai demandé d’intervenir pour aborder les problèmes auxquels nous pouvons être confrontés durant le confinement.»
Les auditeurs peuvent également suivre Azzedine Wahbi, spécialiste du théâtre confiné à Paris, qui diffuse des enregistrements inédits de pièces algériennes, ou encore Sabra Sahali qui anime «La controverse du jour» ainsi que Fayçal Sah et sa rubrique dédiée à la musique raï.
L’équipe est également composée de Nazim Baya, le fondateur du site El Manchar, et du graphiste Mounir Gharbi. Abdallah Benadouda dit avoir un faible pour une rubrique très spéciale, «La minute Hayhatt!». Cette expression, devenue célèbre grâce au général Ahmed Gaïd Salah, peut se traduire par «Prenez garde!».
«La minute Hayhatt, c’est une façon de revenir sur les nombreux discours de Gaïd Salah. Ce général nous a traités de tous les noms durant l’année 2019. Nous avons fait appel à Jaffer Salamat, un journaliste installé au Qatar, qui reprend les passages des discours du général afin de nous faire découvrir la complexité de la langue arabe. Mais ce n’est pas fait dans un esprit revanchard ou méchant. Gaïd Salah est mort, il fait partie de notre histoire, c’est une façon de se rappeler de lui avec humour mais aussi avec respect car il n’est pas question de l’insulter», insiste Abdallah.
La prochaine diffusion de Radio Corona Internationale est prévue mardi 31 mars. Toutes les émissions sont également en ligne sur Soundcloud.