«Nous dénonçons une situation au sein de la police nationale qui n'est plus du tout acceptable.»
Michel Thooris, à la tête du syndicat France Police – Policiers en colère, a le ton grave. Il dénonce l'urgence sanitaire à laquelle fait face, selon lui, la police nationale en pleine crise du coronavirus. Et il n'est pas seul. Le 26 mars, une intersyndicale de policiers a lancé «un avertissement solennel» au ministre de l'Intérieur Édouard Philippe:
«Si les moyens de protection font défaut dans les services, les policiers ne feront que les missions réellement urgentes et ne procéderont plus au contrôle du confinement.»
La décision prise par le ministère de l'Intérieur de donner les stocks de masques FFP2 de la police au personnel soignant, sans compenser en fournissant d'autres types de masques, est particulièrement mal passée dans les rangs des forces de l'ordre.
«Dès les prémices de cette épidémie, un certain nombre de nos homologues à l'étranger, notamment venant de pays asiatiques ou encore de l’Italie, ont bénéficié de tenues et protections appropriées leur permettant de se protéger. De notre côté, et alors que le pic épidémique n'est pas encore atteint, nos collègues effectuent des contrôles sur la voie publique le plus souvent sans protection suffisante», assure Michel Thooris.
L'Asie en modèle?
Le policier dénonce un danger non seulement pour ses collègues, mais également pour la population civile:
«Il est désormais établi que plusieurs porteurs du coronavirus ne développent que peu ou pas de symptômes et sont susceptibles de contaminer d'autres individus qui pourraient développer une forme grave de la maladie. Lors des contrôles s'opère une proximité entre fonctionnaires de police et citoyens qui devient très dangereuse dans un tel contexte. C'est intolérable et cette situation n'est plus comprise au sein de la police.»
Le SCPN et le SICP, les deux principaux syndicats de commissaires, ont prévenu dans un courrier commun à leurs adhérents que la situation pourrait très vite déraper si le ministère de l'Intérieur ne changeait pas de politique vis-à-vis de la protection des policiers en ces temps de crise. «Si nous ne devions plus avoir de moyens de protection disponibles dans les jours à venir, nous engageons nos collègues chefs de service à faire preuve de compréhension et de discernement [...] en privilégiant la sécurité des effectifs dont ils ont la charge et la responsabilité», ont expliqué les secrétaires généraux des deux syndicats, David Le Bars et Olivier Boisteaux.
«Une telle guerre ne peut être menée, encore moins gagnée, sans doter les troupes des indispensables armes de défense afin que les chefs de service préservent la santé de leurs collaborateurs comme leur devoir l'impose», ajoutent-ils. De son côté, Michel Thooris pense que la méthode employée par l'intersyndicale n'est pas la bonne: «Nous sommes pour le moment sur une position qui a pour but d'éviter toute démagogie. Encore une fois avec les syndicats majoritaires, nous sommes dans la menace et le flou. Le problème n'est pas de savoir si un jour ou l'autre nous aurons ces masques car des commandes ont été passées à l'étranger et ils finiront bien par arriver. C'est l'imminence du danger pour nos collègues qui doit demeurer la priorité. Les syndicats majoritaires, comme lors de la crise des Gilets jaunes ou des retraites, aboient et risquent bien de retourner se coucher à la niche.»
Le policier se plaint notamment de l'«opacité» qui entoure les chiffres concernant les cas de coronavirus au sein de la police nationale et dit étudier avec son syndicat «les recours juridiques» possibles afin d'obtenir «les chiffres des collègues porteurs ou suspectés d'être porteurs du coronavirus. Ces données sont nécessaires afin de démontrer qu'il existe un vrai danger au sein de la police nationale», ajoute-t-il.
Le secrétaire d'État à l'Intérieur Laurent Nuñez a quant à lui pris la parole ce 26 mars sur TF1:
«Les 1,4 million de masques que le ministère de l'Intérieur met à la disposition des agences régionales de santé, pour un million d'entre eux, étaient à la disposition de la gendarmerie nationale, et non de la police.» Il a jouté: «Ce sont des masques particuliers, FFP2, qui sont normalement destinés aux personnels soignants, qui interviennent auprès des malades les plus graves, et notamment en réanimation. La doctrine du gouvernement est de réserver ces masques aux personnels soignants.»
D'après Laurent Nuñez, des masques de protection «sont mis à la disposition des équipages» pour les policiers et gendarmes. «À chaque fois, qu'ils contrôlent des individus qui peuvent leur sembler symptomatiques [...], nous leur demandons de revêtir le masque, et uniquement à ce moment-là. C'est une doctrine qui s'appuie sur des considérations scientifiques», a-t-il précisé. Avant de conclure:
«Nous veillons, avec le ministre de l'Intérieur, à ce que ces policiers et gendarmes disposent de ces masques. Nous veillons à les réapprovisionner et nous réfléchissons, par ailleurs, à des solutions innovantes de protection.»
Pour Michel Thooris, le manque de masques n'est qu'une partie du problème: «Nous appelons à des tests de dépistage massifs au sein de la police nationale. Plusieurs pays asiatiques ont été en mesure de mettre en place ce genre de démarche. En France, la situation est tout simplement ubuesque avec des collègues présentant des symptômes du coronavirus qui ne sont pas dépistés. Dans un tel cas, ils peuvent bénéficier d'un arrêt de travail de la part d'un médecin puis sont renvoyés chez eux en confinement alors que ces derniers ont, les jours précédents, évolué à proximité de nombreux collègues qui eux continueront à travailler comme si de rien n'était.»
«Il faut appliquer au sein de la police nationale la même doctrine qui a été celle choisie par des États qui ont démontré leur succès dans la lutte contre la propagation du virus: dépistage systématique, placement en isolement des collègues atteints de coronavirus ainsi que de ceux qu'ils ont récemment fréquentés», prévient-il.
Dans le cas contraire, il craint que la situation ne devienne hors de contrôle:
«On risque de se retrouver avec un pic épidémique au sein de la police et on peut très bien imaginer d'ici à quelques semaines 70% à 80% des effectifs en arrêt maladie.»