Sous «pression économique», les livreurs doivent travailler, «en dépit des règles de sécurité»

Les livreurs autonomes des plateformes UberEat et Deliveroo, oubliés du système? Les autoentrepreneurs attachés aux géants de la livraison de repas ne seraient pas concernés par les primes promises par le gouvernement, puisque leur activité n’est pas arrêtée par les décrets liés au coronavirus. Amers, les livreurs se livrent au micro de Sputnik.
Sputnik

Tous les soirs, des milliers de Français applaudissent le personnel soignant, dévoué à sauver les vies. Pourtant, des dizaines de métiers, garagistes, vétérinaires, coursiers, éboueurs, etc., indispensables au maintien du train de vie des Français, n’ont pas droits aux applaudissements. Parmi eux, les coursiers des géants de la livraison de repas, qui sont au contact avec les clients, malgré leur activité réduite: il n’y a que «30% des restaurants qui fonctionnent encore pour faire des livraisons», précise pour Sputnik Jérôme Pimot, cofondateur du Collectif des Livreurs Autonomes de Paris (CLAP).

«[Nous avons, ndlr] un infectés dans la région parisienne, deux à Bordeaux et une à Strasbourg, déplore Jérôme Pimot. Potentiellement, sept, parce que, sous réserve, il y en aurait trois à Montpelier.»

D’après l’activiste du CLAP, beaucoup de coursiers sont restés chez eux, parce qu’ils ne faisaient pas ce travail à temps plein ou qu’ils avaient un petit «matelas de secours».

Ce soir, Saint-Valentin ne commande pas par Deliveroo
Certains d’entre eux étaient des étudiants aidés par les parents ou des gens qui exerçaient cette activité pour obtenir un complément de salaire.

«Dans la rue, ne restent que des gens dont c’est la seule source de revenus, informe Jérôme Pimot. Le danger est là: ces gens sont obligés de travailler suite à la pression économique et travaillent en dépit des règles de sécurité.»

Jeremy Wick, livreur bordelais, est confiné chez lui depuis quatre jours, avec une «forte suspicion» d’infection au SARS-Cov2.

La livraison, entre fantasme des plateformes et réalité du terrain

Le jeune homme n’a pas été dépisté, puisqu’il ne présente pas de signes graves de maladie, mais il a été diagnostiqué par son médecin traitant, «qui connaît ses antécédents et son dossier médical». «Au début, c’était comme un rhume et des maux de tête, puis la toux et une grosse fatigue du soir sont apparues», précise à Sputnik Jeremy, qui n’a pas arrêté le travail aux premiers symptômes, continuant à livrer.

«Avec combien de personnes ai-je été en contact avant d’être arrêté? Ça peut aller jusqu’à 200? s’interroge Jeremy Wick. On n’a pas de masques, j’ai utilisé ma cagoule de vélo, mes gants de vélo. Deliveroo a mis en place une livraison sans contact, mais là-dedans, il y a le fantasme et la réalité.»

Le jeune homme raconte le système que Deliveroo a mis en place, «sans qu’il protège». Dans l’idéal, le livreur arrive devant le restaurateur et pose son sac à l’extérieur; la commande est placée à l’intérieur sans toucher au sac et le livreur ferme le sac sans toucher à la commande. À l’adresse du client, le livreur ouvre le sac et se met à deux mètres de distance, le client récupère la commande. «Dans l’idéal, je n’ai jamais touché la commande», précise Jeremy. Sauf que, sur le terrain, «80% de livreurs donnent la commande à la main», sans respecter la procédure sanitaire. Pourquoi? «Par bêtise!» s’exclame le jeune livreur.

Un rassemblement évangélique en plein confinement à Mulhouse crée la polémique
Mais aussi face à la pression de la plateforme de livraison…

Les livreurs font appel à la conscience du client pour respecter le «sans contact»

Depuis le début du confinement, pour pallier la baisse d’activité, les plateformes offrent les frais de livraison et font leur pub sur cet argument. Cela pousse les activistes du CLAP à dire qu’on «envoi des gens à l’abattoir», qu’ils peuvent être contaminés par «des boutons d’ascenseurs, les digicodes, les rampes, les boutons de lumière dans les parties communes des immeubles»... et deviennent à leur tour vecteurs du virus.

«Que le client qui a commandé son petit repas de confort prenne ses responsabilités! s’insurge Jérôme Pimot. On a lancé un appel pour faire descendre le client.»

L’appel à la conscience des clients via les réseaux sociaux ne pèse pas forcément lourd face aux rappels à l’ordre par les plateformes UberEtas ou Deliveroo, quand un client s’est plaint qu’on l’a fait descendre dans la rue.

​«C’est surtout le cas chez Deliveroo, parce qu’il est très à cheval sur le service qualité client. Si le livreur explique qu’il ne voulait pas être contaminé, la plateforme met la pression et rappelle que dans le prix de la livraison, le service client va jusqu’à la porte de l’appartement», explique Jérôme Pimot.

«On doit travailler parce qu’on n’est pas indemnisés. On n’aura rien»

À l’insécurité sanitaire s’ajoute l’insécurité économique, puisque les livreurs n’auront pas accès au fond d’aide débloqué par le gouvernement. Les livreurs autonomes ne sont pas concernés par les aides de 1.500 euros promis par le gouvernement pour soutenir les indépendants et autoentrepreneurs.

«Comme l’activité des plateformes de livraison n’est pas arrêtée et que les livreurs peuvent aller chercher les commandes, il n’y a pas de raisons de les indemniser», informe Jérôme Pimot.

À plusieurs reprises, Bruno Le Maire ou Cédric O, Secrétaire d’État au numérique, ont assuré que «les plateformes de livraison ne sont pas arrêtés pour permettre aux gens fragiles, âgés et nécessiteux de continuer à s’alimenter.» «Ce n’est pas le genre de personnes qu’on livre, mais ça sert de prétexte», clame Jérôme Pimot.

Le cofondateur du CLAP est amer et souligne que «la crise du coronavirus révèle d’autres aspects sombres du régime», las devant l’opposition au message qu’il tente de passer sur le travail des livreurs.

​«On me rétorque toujours qu’il y a également, les pompiers, les militaires, les policiers, les facteurs, etc. Oui, mais ces métiers sont salariés. Ce n’est pas qu’ils sont immunisés à cause de ça, mais les services publics vont avoir des primes et les salariés auront des primes s’ils vont bosser, et au pire, ils ont leur salaire», détaille M. Pimot.

«Nous sommes la cinquième roue du carrosse. On doit travailler parce que nous ne sommes pas indemnisés. On n’aura rien. Notre service étant ouvert et autorisé, on n’aura pas de primes. On n’a rien de rien», conclut Jérôme Pimot.

Ses troupes tiennent toujours, mais il reçoit de plus de plus de messages de déception de la part des livreurs «désabusés, blasés, inquiets, énervés», puisque malgré la notion de «service nécessaire», les livreurs voient dans leurs sacs isothermes «des burgers ou des pizzas, des burritos», de la nourriture «de confort».

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