Des centaines de milliards de dollars et d'euros. Voici ce qu'ont promis en l'espace de quelques jours la Réserve fédérale américaine (FED) et sa pendante européenne la Banque centrale européenne (BCE). Face à l'urgence économique liée à la crise du coronavirus, la BCE a annoncé le 18 mars un plan d'urgence de 750 milliards d'euros pour racheter de la dette, publiques et privée. Une somme qui s'ajoute aux 120 milliards d'euros débloqués précédemment dans le cadre du programme de rachat d'actifs ou «quantitative easing» mis en place par l'institution basée à Francfort.
Avant les annonces de la BCE, la FED avait également sorti l'artillerie lourde avec des facilités de crédits octroyées aux ménages et aux entreprises, un soutien sur les prêts automobiles ou encore une injection massive de liquidités sur le marché monétaire de plusieurs centaines de milliards de dollars quotidiennement.
Les bourses pas vraiment emballées
Pourtant, ces annonces n'ont eu qu'un effet mitigé sur des marchés actions qui enchaînent les plongeons depuis deux semaines. Le 19 mars, au lendemain des annonces de la BCE, les bourses asiatiques ont pratiquement toutes terminé dans le rouge, quand en Europe et aux États-Unis le rebond était fébrile.
Le CAC a enregistré une hausse inférieure à 2,7% alors que Madrid gagnait 1,93% et la Bourse de Francfort 2%. Du côté des États-Unis, à 19 h 00 heure française, le Dow Jones était en hausse d'environ 2%. Comment expliquer une telle situation après des annonces aussi importantes de la part des banquiers centraux? Philippe Herlin, économiste et chroniqueur pour Or.fr a son idée:
«Les banques centrales sont coincées. Elles ne peuvent plus jouer sur les taux, donc elles agissent par des rachats d'actifs ou de dette publique, notamment via des quantitative easing pour apporter de la liquidité. Mais la crise est tellement forte que cela n'a plus d'effet. Il faut comprendre qu'avant la crise du coronavirus, la crédibilité des banques centrales étaient déjà largement effritée. Les investisseurs avaient bien compris qu'elles étaient coincées avec leurs taux faibles voire négatifs et qu'elles n'avaient donc plus de marge de manœuvre. Tous les initiés savaient que cette situation était explosive en cas de crise. Et c'est arrivé avec le coronavirus qui est un véritable cygne noir.»
«C'est de la folie. Pour moi ce n'est pas à ce niveau qu'il faut agir pour enrayer la crise, mais au niveau des gouvernements. Ils s'en sortent d'ailleurs plutôt bien, même s'il y a beaucoup d'improvisation. Ce qui est prévu en France, en Allemagne ou aux États-Unis va dans le bon sens: décaler les échéances fiscales, apporter des fonds aux entreprises qui risqueraient de faire faillite. Le but étant pour les entreprises en cessation d'activité et qui ont peu de trésorerie, des échéances fiscales ou des emprunts à rembourser, de passer le cap des quelques mois que va durer cette crise, si tout se passe bien. Encore une fois, c'est uniquement à ce niveau-là qu'il faut agir», explique Philippe Herlin.
D'après l'économiste, le véritable risque d'une telle politique de la part de BCE, couplé à la cessation de l'activité de nombreuses entreprises à travers la planète du fait des mesures de confinement, notamment en Europe, est de voir se développer l'hyperinflation:
Philippe Herlin prend l’exemple du Japon. Le pays le plus endetté de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), avec un ratio dette/PIB avoisinant les 240%, n'est pourtant pas aux prises avec des problèmes d'hyperinflation. Et ce malgré un enchaînement de politiques monétaires ultra-accommodantes de la Banque centrale du Japon (boJ) depuis de nombreuses années. «Le cœur de l'économie continue de fonctionner. Lorsque vous achetez une voiture ou un appareil photo japonais, vous avez le top de la technologie et la fiabilité à un prix compétitif», explique Philippe Herlin. Ce dernier craint que l'épidémie de coronavirus ait tout changé pour les économies touchées de plein fouet par la crise actuelle:
«Nous allons vers un scénario à la vénézuélienne. Nous faisons face à une chute de la production due au confinement et à la récession qui va suivre. Il ne faut pas croire que l'on va se relever d'une telle situation en quelques semaines. Dans le cas où les banques centrales feraient tourner la planche à billets, je pense que l'inflation pourrait se mettre à démarrer. Cela serait une situation gravissime car si les prix dérapent, les taux d'intérêts vont automatiquement augmenter. Et dans un monde où les États et les acteurs économiques sont autant endettés... c'est la catastrophe.»