«Il faut que nous tirions toutes les conséquences de cette épidémie sur l’organisation de la mondialisation, et notamment sur les chaînes de valeurs. Il faut réduire notre dépendance vis-à-vis d’un certain nombre de puissances, en particulier la Chine, et il faut renforcer notre souveraineté sur des chaînes de valeurs qui sont stratégiques», expliquait Bruno Le Maire au micro de France Inter, lundi 9 mars.
Ce plaidoyer pour plus de souveraineté de la part du ministre de l’Économie et des Finances contraste avec les positions ouvertement libérales de son ministère et du gouvernement en général. Une volte-face qui pose la question des risques d’une économie mondiale globalisée, mais aussi celle des alternatives à disposition. Dans un monde de plus en plus interdépendant, où les échanges vont plus loin, plus vite, de facto, les pandémies comme celles du coronavirus se propagent de manière exponentielle.
«Que nous dit le coronavirus sur la globalisation? Il y a six siècles, un virus qui partait de Chine mettait des décennies à arriver en Europe et tuait la moitié de la population européenne. Aujourd’hui, les choses vont beaucoup plus vite», indiquait Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), à la 20e édition du forum de Bamako, le 20 février dernier.
En effet, trois mois après l’apparition du coronavirus SARS-CoV-2, tous les continents et presque tous les pays sont affectés par le Covid-19 (nom de la maladie qu’il cause). Une propagation éclair, largement due au volume des échanges et à l’interconnexion des individus sur la planète. De fait, dans le «village global», les économies, toujours plus intégrées dans le processus de mondialisation, constituent presque toutes différents membres d’un même corps.
Le coronavirus, «accélérateur de la prise de conscience» des limites du libre-échange
Alors que de nombreux économistes mettent en garde depuis plusieurs mois sur le risque d’une crise économique et financière, il se peut que ce virus soit l’étincelle qui mette le feu à la poudrière de l’économie mondiale.
Au micro de Sputnik France, l’économiste Henri Sterdyniak, officiant notamment à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), analyse les effets du Covid-19 sur notre économie mondialisée:
«L’épidémie du coronavirus a deux volets de conséquences sur l’économie mondiale. Le premier étant temporaire, avec la rupture des chaînes d’approvisionnement, en particulier venant de Chine. Le deuxième étant un choc financier qui risque de mettre en difficulté de nombreuses entreprises et d’institutions financières», détaille l’économiste.
Selon lui, le coronavirus fonctionne comme un agent révélateur des contradictions du libre-échange, car si «la mondialisation a été liée à l’essor de la croissance ces dernières décennies, en augmentant de manière prodigieuse le volume des échanges», elle a aussi eu des effets pervers. Cette crise économico-sanitaire est même de nature à changer les principes économiques, voire politiques, en place depuis des décennies.
«Cette crise remet en cause les principes du libre-échange, d’abord car elle montre que le commerce à longue distance est un processus fragile, car chaque pays dépend de ce qu’il peut se passer chez ses fournisseurs. Cette incertitude perpétuelle peut être lourde. Selon moi, il faudra de toute façon repenser ces principes en raison de la hausse du prix de l’énergie et des contraintes écologiques. Dans ce contexte, le coronavirus est un accélérateur de cette prise de conscience», explique Henri Sterdyniak.
Cela explique par exemple les déclarations de Bruno Le Maire sur le souverainisme. Mais quel modèle s’offre donc aux économies du monde pour limiter les dégâts des effets pervers de la mondialisation? L’une des tendances observées, notamment en Occident, est le protectionnisme. Un choix de politique économique déjà mis en place à l’épicentre même du libéralisme comme l’observe Henri Sterdyniak: «Ce repli avait déjà commencé avant le coronavirus, notamment dans l’Amérique de Donald Trump».
Le protectionnisme, remède au Covid-19?
Selon lui, le modèle libre-échangiste arrivant à bout de souffle, il faudra que les nations de ce monde réfléchissent à un modèle plus durable, et aussi plus apte à protéger ses citoyens en cas de crise grave, qu’elles soit économique ou sanitaire. Et ce, au risque de créer un environnement international plus hostile.
«Chaque pays doit repenser sa stratégie, en misant notamment sur une demande plus centrée sur la demande intérieure, comme l’a fait par exemple Donald Trump, et cela se fait au détriment de certains pays, qui n’en seront pas ravis. C’est donc de nature à créer des tensions, car les pays exportateurs perdront leurs moyens de pression», souligne l’économiste.
Néanmoins, un modèle alternatif à celui en place au niveau économique et politique présentera d’autres risques, comme une croissance limitée ou un pouvoir d’achat amoindri.
Et surtout, il n’empêchera pas un virus comme le coronavirus de se propager à terme:
«À ce jour, l’OMS recommande des mesures qui causent le moins de tort possible au commerce et à l’économie. Les mesures visant à fermer les frontières et à arrêter le transport aux États-Unis et en Italie n’aident généralement pas beaucoup, car la maladie trouvera toujours son chemin. Ces mesures ne peuvent que retarder temporairement la propagation du virus», souligne Zoran Radovanovic, épidémiologiste serbe, au micro de Sputnik.