Gagner sa vie aux jeux de hasard, le pari de nombreux Camerounais

Profitant de l’essor du paiement mobile, le secteur des paris sportifs a explosé ces dernières années au Cameroun. Qu'il s'agisse de football ou de sport équestre, les parieurs ne tarissent pas d'enthousiasme. Un fanatisme qui vire à l'addiction, soulevant au passage des questions éthiques, notamment sur l'appât du gain facile. Reportage.
Sputnik

À deux pas d’une route en chantier, dans le quartier Mokolo dans la capitale Yaoundé, une salle de paris sportifs est ouverte sur la voie principale. À l’intérieur, des chaises et des tables en rangées, à l’instar d’une salle de classe. Papiers et stylos en main, des jeunes et moins jeunes, très studieux, scrutent et analysent les affiches des rencontres sportives du jour. La lumière des multiples écrans captive les nombreux parieurs qui s’agglutinent tout autour. Au milieu de cette horde, Donatien, un trentenaire habitué des lieux, nous renseigne.

«Je viens ici chaque soir après le travail pour jouer. Il m’arrive de gagner et aussi de perdre. Ce soir, par exemple, j’ai gagné 3.000 francs CFA (4 euros) après avoir misé 300 francs (0,46 euro)», se réjouit-il au micro de Sputnik.

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À quelques pâtés de maisons, non loin de la salle aménagée de l’entreprise Roisbet, spécialisée dans les paris sur les championnats de football, des dizaines d’autres petits kiosques dédiés jonchent les trottoirs de ce quartier de la capitale, comme c’est le cas dans d’autres villes à travers le pays. Munis de petites machines servant à valider les combinaisons, les opérateurs, le plus souvent des jeunes femmes, attendent le prochain parieur. Dans tous les lieux de grande affluence, ces kiosques ne désemplissent pas, pour le plus grand bonheur des gérantes comme Yvette, qui trône dans son kiosque au marché central de Yaoundé. 

«Nos clients viennent de partout. Je reçois ici des commerçants comme des fonctionnaires ou des chauffeurs de taxi et de mototaxi. Tout le monde joue et cela me permet de faire de bonnes recettes», dit-elle la mine heureuse.
Gagner sa vie aux jeux de hasard, le pari de nombreux Camerounais

À côté de ces salles de jeux et kiosques dédiés, les paris en ligne connaissent un véritable boom grâce aux télécommunications plus performantes et à un meilleur accès à Internet. Dans son salon de coiffure au marché central de Yaoundé, Yves Tedom, tête baissée et regard figé sur son smartphone, parcourt le célèbre site de paris 1Xbet. Ici, tout se passe en ligne.

«Je fais désormais mes paris en ligne. J’utilise mon compte mobile money et tout transite par mon téléphone. Là, je viens de miser 65.000 francs CFA (100 euros). Il m’arrive de parier jusqu’à 150.000 francs CFA (230 euros) la semaine», confie le joueur au micro de Sputnik.

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Super Goal, Roisbet, 1Xbet, Premier Bet, Betoo.com… les entreprises de jeux de hasard pullulent dans les principales villes du Cameroun et connaissent un succès fou auprès des habitants. Un fanatisme qui vire à l'addiction devant la promesse du gain facile, augmentant le taux de délinquance juvénile. Conséquence de la précarité de l’emploi dans le pays, les rangs des parieurs ne cessent d’enfler. Gagner sa vie sur un pari devient la solution ultime pour beaucoup, confesse Auréole, chauffeur de mototaxi.

«J’ai commencé à jouer en espérant gagner le jackpot. Pour le moment, je me contente de petits gains en attendant que ma chance arrive un jour. J’ai un voisin qui a gagné 6 millions et a pu construire sa maison. J’y crois aussi», espère-t-il.

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La pratique attire de plus en plus les jeunes, parfois mineurs. Abdou Kouomoun, sociologue camerounais, a publié un essai scientifique en 2017 sur la pratique des paris sportifs. «J’ai étudié le comportement et le profil des jeunes qui parient. J’ai pu constater que leur motivation principale était de sortir de la pauvreté et, surtout, la perception de la réussite sociale au Cameroun.» Durant ses travaux, le sociologue a fait la rencontre de mineurs prêts à tout pour assurer leur mise quotidienne.

«Sur le terrain, certains nous ont avoué nous avoir "volé une ou deux fois", entre 200 ou 300 francs CFA (0,30 ou 0,46 euro), ou vendu des objets précieux leur appartenant pour avoir au moins la mise minimale de jeu qui varie en fonction des structures», a-t-il constaté.

Pourtant, la loi du 16 juillet 2015, qui fixe le régime des jeux de divertissement, d’argent et de hasard, interdit l’accès aux établissements de paris aux mineurs. Mais malgré l’existence des textes, il n’est pas rare de rencontrer des enfants autour de ces kiosques ou dans les salles de jeux. Un phénomène social qui n’est pas sans conséquences.

«Ces pratiques détournent les jeunes de leurs occupations. Ils abandonnent leur service (pour ceux qui travaillent) ou leurs études (pour ceux qui fréquentent encore un établissement scolaire) afin d’aller parier. Il expose aussi les parieurs aux violences communautaires: l’islam interdit les paris et nous avons, durant notre séjour sur le terrain, découvert que des parieurs musulmans subissaient des violences de leur famille», déplore Abdou Kouomoun.

Des conséquences non négligeables, devenues légion face à une clientèle de plus en plus jeune et avide de réussite financière, et devant la multiplication des enseignes de jeux et leur proximité avec les populations. 

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