L’épidémie de coronavirus (Covid-19) nous fournit un très bon exemple des conséquences de la globalisation. D’un strict point de vue sanitaire, nous avons été en présence d’une épidémie d’un virus à la dangerosité assez faible mais fortement contagieux. C’est ce qui fait la différence avec les autres épidémies. Le nombre de cas est très supérieur à celui de la propagation de SRAS de 2003 qui avait contaminé 8.096 personnes et fait 779 morts. Cependant, les conséquences économiques sont et seront largement plus importantes.
Les leçons du Grand Saint Antoine
La peste qui sévit en Provence et dans la ville de Marseille de 1720 à 1723 est un antécédent intéressant car sa diffusion est liée aux flux commerciaux de l’époque. C’est à la suite de graves négligences, et malgré un dispositif de protection en théorie très strict qui comportait la mise en quarantaine des passagers et des marchandises, que la peste s’est propagée dans la ville. Il semble bien que les règles de la quarantaine n’avaient pas été respectées et que l’attrait du gain fut la cause d’un débarquement trop rapide de la cargaison. Comme il était alors fréquent dans ce type d’épidémie, les quartiers déshérités et les plus anciens furent les plus touchés. La peste s’étendit rapidement dans la cité où elle engendra environ 40.000 décès sur 80.000 à 90.000 habitants. Puis, elle se propagea dans toute la Provence, où elle causa entre 90.000 et 120.000 victimes sur une population d’environ 400.000 personnes.
Le Grand-Saint-Antoine fit alors demi-tour pour gagner Livourne, où il arriva le 17 mai. Les Italiens cependant décidèrent d’interdire l'entrée du navire dans le port et le firent mettre à l'ancre dans une crique gardée par des soldats. Cette précaution apparue d’autant plus judicieuse que le lendemain, trois personnes décédèrent à bord. Les cadavres qui furent examinés par des médecins détectèrent à une «fièvre maligne pestilentielle». Mais ce terme ne doit pas prêter à confusion. Pour les spécialistes de santé de l'époque, il ne désigne pas la peste. Les autorités de Livourne mentionnent, au dos de la patente de Tripoli, qu'elles ont refusé l'entrée du navire dans le port à cause de la mortalité d'une partie de l'équipage en raison de cette fièvre. Le navire est retourné alors vers Marseille: il y avait eu depuis le départ de Tripoli neuf décès à bord. Le 25 mai, le capitaine fit sa déclaration à l’intendant de santé Tiran. Ce dernier prit l’avis du bureau de Santé et décida de mettre le navire en quarantaine. Mais le 29 mai, ce même bureau décida, fait très inhabituel, de faire débarquer aux infirmeries les marchandises de valeur tandis que les balles de coton devaient être transférées à l'île de Jarre. Le 3 juin, cette décision fut étendue à toutes les marchandises. La peste se répandit alors dans Marseille et de là en Provence.
Hier et aujourd’hui: l’appât du gain, un facteur décisif
On constate donc, d’hier à aujourd’hui, que l’appât du gain a joué un rôle décisif dans l’affaiblissement des mesures de protection. Une maladie ne tue qui si on lui en offre les moyens. Ainsi, si elles avaient été correctement appliquées, comme les textes le prévoyaient, les mesures de quarantaine, équivalent du XVIIIe siècle avec nos mesures de «confinement», auraient été efficaces. Il y aurait certes eu des décès, mais pas d’épidémie. C’est bien parce que l’on a décidé de faire passer le profit avant la sécurité que la maladie a pu se répandre.
Conséquences économiques
Il y a tout d’abord les conséquences immédiates de la mise à l’arrêt d’une grande partie des industries chinoises. La production baisse, mais la consommation de matières premières recule elle aussi. Si, durant le premier trimestre de 2020, le PIB de la Chine s’est replié de 2% comme on l’annonce, alors, cela implique un recul de 0,4% sur le PIB mondial. L’impact direct, pour un pays comme la France, sera aussi lié à la baisse du tourisme et de la consommation qui lui est liée. L’OCDE a d’ailleurs révisé ses projections de la croissance mondiale. Cette organisation estime que «la croissance annuelle du PIB mondial devrait en conséquence baisser globalement à 2,4% en 2020, en partant du chiffre déjà faible de 2,9% enregistré en 2019, et elle pourrait même peut-être être négative au premier trimestre de 2020».
Mais la production hors de Chine est aussi touchée car une partie non négligeable de la valeur ajoutée produite en Europe est liée à la production chinoise. Ainsi, entre 60% et 80% des principes actifs de produits pharmaceutiques sont produits en Chine et en Inde. De même, dans l’automobile, de nombreux composants –des batteries de véhicules électriques aux composants électroniques– sont fabriqués en Chine. Au-delà donc du choc direct, il y a un choc indirect. Les chaînes de valeur impliquent une présence de la Chine dans la production mondiale et pas seulement dans le made in China.
Il y aura, enfin, un choc différé. D’autres pays sont touchés (la Corée du Sud, l’Italie, voire les États-Unis). L’effet direct de cette épidémie, comme l’effet de panique qu’elle provoque, aura des conséquences délétères sur la production. Les pays affectés hors la Chine devraient voir leur production baisser au deuxième trimestre 2020. L’étude de l’OCDE, qui analyse l’impact de l’épidémie, ne prend en compte qu’une estimation «moyenne». Cela montre bien l’impact sur l’économie mondiale de cette épidémie.
Une possibilité de crise financière?
Si ces effets se manifestent dans la sphère réelle, cette épidémie aura aussi des conséquences financières. Depuis le 20 février 2020, autrement dit depuis le moment où l’on a eu les chiffres de la consommation d’énergie en Chine et où l’on a pu mesurer la forte baisse de cette dernière, les marchés financiers ont connu des baisses importantes.
On voit clairement que jusqu’au 20 février, les marchés financiers ont vécu dans une forme de déni de réalité. Quand celle-ci s’est imposée, la correction a été brutale. Bien entendu, l’action des banques centrales a été importante, la Réserve fédérale des États-Unis a fortement baissé ses taux directeurs. Mais cette action ne peut pas contrecarrer une crise qui se manifeste essentiellement par des arrêts ou de fortes diminutions de la production.
C’est ce que l’on constate si l’on regarde les cours des matières premières, et en premier lieu ceux du pétrole. Alors que le prix d’un baril de Brent était de l’ordre de 66 dollars à la mi-janvier, il s’est effondré autour de 46 dollars au 6 mars.
De nombreuses entreprises vont se trouver avec des problèmes de trésorerie dus à la chute de leur chiffre d’affaires. Cela va provoquer mécaniquement une montée des «mauvaises dettes» pour les banques. Ces dernières ont beaucoup perdu en Bourse ces derniers jours.
La crise de la mondialisation?
Cette épidémie a fait prendre conscience que les principes de la souveraineté économique, que cette souveraineté soit pharmaceutique, alimentaire, voire industrielle, sont centraux pour la stabilité de nos sociétés. Mais ces notions de souveraineté économique sont en réalité contradictoires avec la mondialisation. Ainsi, à travers une crise que l’on pouvait penser passagère, c’est l’ensemble de l’équilibre entre mondialisation et souveraineté qui est remis en cause.