Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, et Charles Michel, Président du Conseil européen, se sont récemment rendus en Grèce, porte d’entrée des migrants venus de Turquie, pour «défendre les frontières européennes», tout en restant «respectueux des valeurs de l’Europe et du droit humanitaire international».
Cette vidéo diffusée par la Commission le 3 mars témoigne du très difficile jeu d’équilibriste des leaders européens. Ils essaient de rassurer tout le monde: d’une part, ils garantissent la protection des frontières en s’affichant fièrement aux côtés des gardes-frontières; d’autre part, ils soutiennent un message de bienveillance et d’humanité à l’égard des réfugiés. Un grand écart politique difficilement tenable, d’autant que la situation se tend à la frontière gréco-turque:
«Avec un voisin comme la Turquie, nous vivons avec une menace permanente. Nous avons besoin d’une aide concrète de l’Europe et pas seulement de promesses», explique à l’AFP Athanassios Pemoussis, maire de Poros, alors que celui-ci a appelé ses concitoyens à «soutenir les forces de l’ordre grecques dans un combat difficile.»
Erdogan affirme que cette crise migratoire est la conséquence directe de la pression migratoire que subit la Turquie à cause du conflit en Syrie. Ankara ne pourrait plus contenir le flux sans l’aide de l’Union européenne. Cette dernière dénonce en retour «l’usage par la Turquie de la pression migratoire à des fins politiques.»
Il y aurait donc des milliers de Syriens qui seraient en route pour l’Europe depuis la Turquie. Pourtant, Philippe de Botton, président de Médecins du monde, contredit cette information chez nos confrères de France info:
«Les 12 à 15.000 personnes qui sont à la frontière terrestre entre la Turquie et la Grèce, ainsi que les 1.000 ou 2.000 personnes qui essaient d’arriver sur les îles grecques sont principalement des Kurdes irakiens, des Afghans, des Pakistanais qui veulent retrouver leur communauté, principalement au Royaume-Uni.»
Les migrants renvoyés par la Turquie sont ceux dont ils veulent se débarrasser et ceux avec qui ils n’ont aucune affinité culturelle ou sociale.
D’ailleurs, le gouvernement turc a envoyé pas moins de 1.000 membres des forces spéciales de la police du côté turc des points de passage vers l’Europe pour s’assurer que ceux-ci ne reviennent pas vers la Turquie.
La Turquie en quête de soutien politique à Idlib
Si la Turquie est déterminée à s’assurer qu’une première vague de réfugiés arrive en Europe, c’est que les réponses apportées jusqu’à présent par les Européens ne l’ont pas satisfaite. En effet, Ankara a refusé la proposition de l’Europe d’envoyer plus d’argent pour que la Turquie contienne le flux. Mais du côté d’Erdogan, c’est autre chose que l’argent que l’on cherche: c’est du soutien politique.
«Si les pays européens veulent régler le problème, alors ils doivent apporter leur soutien aux solutions politiques et humanitaires turques en Syrie», a expliqué le Président turc lors d’un discours à Ankara.
Les Européens pris au piège?
Cependant, les Européens semblent ne pas souhaiter s’associer à un processus politique soutenu par un gouvernement qui soutient officieusement des groupes djihadistes.
C’est ce que souligne à notre micro Michel Raimbaud, ancien diplomate, resté longtemps en poste au Moyen-Orient:
«Erdogan utilise des masses de réfugiés qu’il a créées lui-même en menant des offensives illégales en Syrie. Les Européens, qui ont longtemps fermé les yeux sur ses liaisons douteuses avec les Frères musulmans et les djihadistes, ne peuvent plus lui apporter un soutien politique dans ses opérations en Syrie, compte tenu de ces liens.»
D’autant plus que, comme l’expliquait à Sputnik France le 27 février dernier le géopoliticien Alexandre Del Valle, le Président turc compte faire une utilisation plus que douteuse des réfugiés qu’ils renverront chez eux:
«Le but de cette stratégie est de reloger des Syriens arabes réfugiés, qui sont tout de même trois millions, dans cette zone», explique l’expert, et ajoute, «cela lui permettrait de faire d’une pierre deux coups: il aurait renvoyé tous les réfugiés syriens chez eux et, en même temps, il aurait empêché les Kurdes de revenir au nord de la Syrie. C’est de la purification ethnique, il remplace les Kurdes par les Arabes.»
Les Européens se retrouvent donc dans une situation délicate devant l’option de cautionner la politique d’un pays qui soutient des djihadistes à Idlib, qui est dans une logique de purification ethnique au nord de la Syrie et en même temps, devant une nouvelle vague migratoire du type de celle de 2015, lorsque l’Allemagne avait accepté un million de réfugiés.