«Les yeux du monde entier sont collés à cette réunion», a déclaré Recep Tayyip Erdogan lors du point presse qui précédait sa rencontre avec Vladimir Poutine à propos de l’escalade en Syrie.
Et pour cause.
«La situation dans la zone d’Idlib s’est tellement aggravée qu’elle nécessite certainement des entretiens directs entre nous», a souligné Vladimir Poutine avant sa rencontre avec le Président turc.
De fait, cette rencontre a permis d’établir un cessez-le-feu dans la région d’Idlib. Celui-ci a pris effet à minuit le 6 mars, et une zone neutre a été tracée de part et d’autre de la fameuse autoroute M4 –artère vitale du pays qui relie notamment Alep à Lattaquié–, qui fera l’objet de patrouilles communes de l’armée turque et l’armée russe. Ces patrouilles s’articulent autour du modèle de celles qui ont été mises en place à l’Est de l’Euphrate après l’offensive turque sur les Kurdes au nord de la Syrie, à l’automne 2019. Aussi, les deux partis signataires se sont engagés à démanteler tous les groupes considérés comme terroristes par l’Onu présents à Idlib.
Une solution temporaire?
Ce compromis entre Erdogan et Poutine a-t-il vocation à calmer longtemps le jeu dans la poudrière syrienne? Sputnik France a posé la question à Georges Malbrunot, journaliste spécialiste du Moyen-Orient. Pour lui, ce cessez-le-feu ne va pas s’éterniser:
«Je doute qu’il soit durable sur une longue période, car il y a certains points de discorde qui n’ont pas été clarifiés. En particulier, le sort des djihadistes qui préoccupe énormément la Russie, mais aussi la Chine, car il y a de nombreux ouïghours présents à Idlib. De plus, est-ce que les rebelles peuvent se satisfaire de cet accord-là? C’est une autre inconnue.»
D’autre part, cet accord semble fragile, car le régime et son allié russe ne vont pas abandonner leur objectif de restaurer l’intégrité territoriale syrienne souligne Georges Malbrunot. Ainsi, ce cessez-le-feu ne fait que repousser l’échéance du conflit.
Pour lui, il reste donc de nombreuses inconnues à l’issue de cet accord. Il sert surtout à contenir provisoirement l’escalade des tensions.
«Cet accord de cessez-le-feu permet de limiter la remontée plus importante de l’armée syrienne et leurs alliés vers le Nord et l’Ouest, donc il limite la casse pour la Turquie et ses alliés rebelles», indique le spécialiste du Moyen-Orient.
Selon lui, ce cessez-le-feu traite les symptômes, mais pas les causes. Ainsi, «tôt ou tard, il y aura une reprise des bombardements par le régime et la Russie pour en finir avec cette dernière poche d’opposition à Bachar el-Assad», notamment les groupes djihadistes comme Hayat Tahrir al-Cham* présents sur zone.
La possibilité d’une issue politique est-elle donc un mirage?
«Aujourd’hui, on est encore dans le temps militaire et humanitaire, et pas dans le temps politique. De fait, la solution politique est un mirage pour l’instant. Mais ça ne sera peut-être pas le cas dans un ou deux ans, on ne peut pas être sûr, mais ce n’est pas à l’ordre du jour, clairement», répond Georges Malbrunot.
Déjà incandescente depuis le début de l’offensive syrienne en décembre 2019, la région d’Idlib était devenue, depuis l’engagement de l’armée turque aux côtés des rebelles et djihadistes, une réelle poudrière. En effet, Ankara a déployé des milliers d’hommes et des tonnes de matériel dernier cri afin de repousser l’armée syrienne en dehors de la région.
À Sotchi, en 2018, les deux parties étaient déjà parvenues à mettre en place une zone de désescalade dans la région d’Idlib. Elles avaient des prérogatives qui devaient permettre d’arriver le plus vite possible à une solution politique. Les différents acteurs n’y sont pas parvenus et s’accusent mutuellement de ne pas avoir tenu leur part du marché.
*Organisation terroriste interdite en Russie