Il s’agit d’une «attaque de la Turquie contre l’Union européenne et la Grèce. Des êtres humains sont utilisés pour faire pression sur l’Europe», a dénoncé ce 3 mars le chancelier autrichien, Sebastian Kurz. La veille, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, estimait que l’Union européenne devait «faire preuve de la plus totale fermeté vis-à-vis de la Turquie et vis-à-vis de M. Erdogan qui, sur ce sujet-là, comme sur beaucoup d’autres sujets, joue, hélas, avec le feu», tandis qu’Angela Merkel jugeait inacceptable que la Turquie fasse pression sur l’UE «sur le dos des réfugiés».
Des «millions» de réfugiés
Ces vigoureuses déclarations interviennent après que le Président turc a mis à exécution sa menace «d’ouvrir les portes» aux migrants, qui se dirigeront «bientôt» par «millions» vers l’Europe. Erdogan a sommé l’UE de prendre sa «part du fardeau», une décision qui ne doit rien au hasard.
Le président Erdogan «est en position de faiblesse. Vu que la Turquie n’est pas en mesure de faire face à tous ses défis qui s’accumulent en même temps, elle a finalement besoin de l’Otan. Malgré les rapprochements récents avec la Russie, malgré toute cette surenchère nationaliste, la Turquie se retrouve désormais seule contre la Russie en Syrie. Elle a besoin d’une zone d’exclusion aérienne à Idlib pour bloquer l’avancée de l’armée syrienne, qui est elle-même soutenue par l’aviation russe […] Erdogan veut désormais que l’Otan protège les djihadistes qui se battent à Idlib, qui sont en fait des mercenaires qui se battent en proxys pour le compte de l’armée turque.»
Isolée, certes, mais peut-on parler de position de faiblesse pour la Turquie alors qu’elle vient d’ouvrir ses frontières avec l’Europe aux réfugiés?
«Erdogan est en position de faiblesse, parce que c’est la première fois qu’il a autant de pertes, avec 33 morts la semaine dernière. Je crois que la Turquie a perdu 54 militaires rien qu’en février. C’est rédhibitoire en termes de politique intérieure et ça passe très mal au sein de l’opinion intérieure turque […] La seule arme en possession d’Erdogan, c’est l’arme des réfugiés, c’est d’ouvrir les vannes.»
Conséquence de cette décision turque, le gouvernement grec a placé ce dimanche le pays en état d’alerte maximum afin de protéger ses frontières, menacées par l’afflux de milliers de migrants.
Menace d'une nouvelle crise migratoire
500 d’entre eux sont arrivés ce dimanche sur l’île de Lesbos, en mer Égée. Accompagnée par l’agence européenne Frontex, Athènes a annoncé avoir bloqué 10.000 clandestins dans la région d’Évros. Dans un appel au calme, l’Onu a appelé à ne pas utiliser une force «excessive», indiquant le nombre de 13.000 personnes, dont «des familles et de jeunes enfants», qui s’amassent à la frontière gréco-turque. Affirmant avoir rejeté une aide supplémentaire d’un milliard d’euros, Recep Tayyip Erdogan a accusé les forces militaires grecques d’avoir tué deux migrants et d’en avoir blessé un grièvement.
«Voyant ces rivalités et ces fragmentations au sein de l’Union européenne, la Turquie fait monter les enchères dans son intérêt, alors même qu’elle était en position de faiblesse. Par exemple, les Turcs sont très contents de voir que le président de la commission des affaires étrangères du parlement allemand, Norbert Röttgen, a proposé un paiement supplémentaire. Ce qu’il faut, c’est faire monter les enchères pour que l’Europe paie plus, qu’elle continue à payer. On était à trois milliards, c’est passé à six milliards d’euros d’aide en échange du maintien des migrants dans les frontières turques.»
Comme le craint Emmanuel Macron, une «crise humanitaire et migratoire» comparable à celle de 2015 est-elle possible en Europe? Selon Tigrane Yégavian, la Grèce est davantage préparée à un afflux massif de réfugiés, même si l’on voit de graves tensions monter, notamment à Lesbos:
«La Grèce est aujourd’hui, il faut le souligner, en train de monter au créneau et de faire le maximum pour ne pas répéter les mêmes erreurs précédentes, puisque la Grèce avait été lâchée par ses partenaires européens à cette époque. Je ne pense pas que les Grecs seront d’avis pour fermer les yeux et continuer à payer pour les autres. Il y a une vraie volonté de la Grèce qui fait consensus de renforcer cette frontière.»