Le sport électronique en grande forme (presque olympique)

Souvent présenté comme un loisir pour jeunes drogués au LCD, le sport électronique, ou eSport, s’est offert en octobre 2016 une consécration juridique attendue de longue date par ses pratiquants. Cette reconnaissance n’est qu’une étape pour consolider un secteur en plein essor, mais qui demeure fragile, celui des compétitions de jeu vidéo.
Sputnik

Qui est en tête du classement français et mondial de League of Legends, Rainbow Six, Fortnite ou Street Fighter? Si vous l’ignorez, c’est probablement que vous avez tout à apprendre de l'eSport. Loin de l’image de geeks asociaux rivés à leur fauteuil et leur PC, les compétitions de jeu vidéo en ligne, ou eSport, voient s’affronter de véritables athlètes du clavier.

Longtemps dans l’ombre en France, faute de législation reconnaissant cette activité, elle bénéficie depuis 2016 de la Loi République numérique. Pourtant, le secteur a encore de nombreux défis à relever, comme l’explique à notre micro Nicolas Besombes, vice-président de France Esports, une association rassemblant les acteurs du sport électronique. Entretien.

Sputnik France: Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que votre organisation, France Esports?

Nicolas Besombes: «Je me nomme Nicolas Besombes, je suis vice-président de France Esports et plus spécifiquement chargé des questions de santé, de société et d’éducation. Je suis en outre maître de conférences en STAPS au laboratoire I3SP (Institut des sciences sport-santé de Paris) suite à ma thèse consacrée au sujet suivant: “Sport électronique, agressivité motrice et sociabilités”.

France Esports est une association de type 1901, rassemblant les nombreux acteurs du sport électronique en France afin de parler d’une seule voix pour promouvoir efficacement cette pratique et aider à l’organisation des évènements sur l’ensemble du territoire français.»

Sputnik France: Comment se porte l’eSport en France en termes financiers et de fréquentation?

Nicolas Besombes: «Nous avons commandité une étude avec l’appui des ministères du Sport et celui de l’Économie qui sera dévoilée, après traitement des données recueillies, pour le 4e trimestre 2020, vraisemblablement. Accessoirement, une étude de Superdata pour PayPal révèle que les trois principaux marchés européens sont la Russie (générant des revenus de 52 millions de dollars), la Suède (43 millions de dollars), et la France (30 millions de dollars).

L’eSport représente 1% du marché du jeu vidéo et 1/500e de celui du sport professionnel, auquel il est souvent comparé. Toutefois, son modèle économique demeure fragile en raison du manque de diversité de ses sources de financement, puisqu’il dépend énormément des investissements privés, comme les années 2008–2009 l’ont cruellement démontré.

Nous menons en complément depuis deux ans une étude nationale conjointe avec Médiamétrie évaluant les pratiques et usages de l’eSport. Il a ainsi été possible de déterminer qu’en 2019, il y avait en France 7,3 millions de consommateurs d’eSport et 1,3 million d’eSportifs amateurs s’affrontant au sein de compétitions.»

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Sputnik France: Qu’est-ce que la Loi République numérique a apporté à cette activité?

Nicolas Besombes: «Elle a été déterminante. L’article 101 a permis la légalisation des compétitions de jeux vidéo (en les faisant sortir du régime des loteries) grâce à un cadre légal et une protection juridique ad hoc pour les organisateurs comme pour les joueurs. Et l’article 102 a enfin accordé la reconnaissance du statut de joueur professionnel et offert une protection sociale aux joueurs (cotisations pour le chômage et la retraite).»

Sputnik France: Quelles sont les épreuves les plus suivies actuellement et quels sont les plus gros évènements en France et en Europe?

Nicolas Besombes: «Les disciplines eSportives les plus suivies internationalement sont League of Legends, Counter Strike, Fortnite et Overwatch, et dans une moindre mesure en France, Rainbow Six, Hearthstone, Trackmania et quelques jeux de combat comme Smash Bros, Street Fighter ou Tekken.

Les circuits compétitifs français les plus suivis sont certainement la LFL (Championnat professionnel de League of Legends) et la R6 French League (Ligue professionnelle de Rainbow Six). À côté de cela, il faut mentionner l’existence persistante de LAN Parties (“tournoi en réseau local”) tous les week-ends partout en France, qui peuvent réunir jusqu’à 2.500 joueurs.»

Sputnik France: Y a-t-il une préparation spécifique –physique, psychologique, technique– de l’eSportif?

Nicolas Besombes: «D’une part, sur le plan technique, le matériel de pratique est de plus en plus technologisé et personnalisable (clavier, souris ou manette) tant que les règlements les autorisent.

Au plus haut niveau, les joueurs sont encadrés par des staffs dédiés à la performance, y compris sur le plan de la santé et du mental, jusqu’à la récupération physique (la crainte du joueur professionnel est l’inflammation du poignet ou syndrome du canal carpien). Il n’est à ce titre pas étonnant de voir des transferts de compétences issues du sport dans l’eSport de haut-niveau.

On observe finalement une évolution symptomatique sur ces dernières années: la connaissance technique du jeu n’est plus suffisante, la différence s’effectue aussi sur tous les aspects de la préparation.»

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Sputnik France: Ne craignez-vous pas que l’eSport renforce l’addiction de certains individus à un stade pathologique?

Nicolas Besombes: «Il faut distinguer pratique professionnelle et pratique excessive: professionnelle, car la pratique est rationalisée et encadrée dans l’intérêt du joueur et de son équipe. La qualité des entraînements est privilégiée à leur quantité et les joueurs professionnels s’emploient à connaître leurs limites. Enfin, contrairement au cliché du geek retranché chez lui, l’eSportif est aussi un adepte du sport physique.»

Sputnik France: Constate-t-on une évolution du regard du public pour cette discipline? Les médias généralistes ont-ils encore cette ignorance ou ce dédain pour ces cyberathlètes?

Nicolas Besombes: «Il y a une évolution certaine depuis l’émergence de plateformes de streaming comme Twitch et YouTube, puis avec l’afflux massif d’investissements financiers qui ont accéléré la popularisation de l’eSport. Le traitement médiatique a évolué au sein des reportages, qui se focalisent sur de nouvelles problématiques, comme les gains financiers des joueurs, leur santé ou les questions de genre plutôt que l’addiction, la violence ou la déscolarisation, comme autrefois.»

Sputnik France: Comment procédez-vous pour limiter autant que possible la triche? Avez-vous eu des cas emblématiques à traiter sur ce sujet?

Nicolas Besombes: «Précisons que France Esports n’est pas un organe régulateur. Ce sont ses membres en tant qu’organisateurs d’évènements qui endossent la charge de prévenir ce type de pratiques. Il faut aussi distinguer les triches techniques, par l’exploitation de failles techniques d’origine ou l’utilisation de logiciels modifiant substantiellement le comportement du jeu, et les triches cognitives, par l’absorption de métamphétamines pour conserver une attention soutenue sur une plus longue durée.

Si les règlements ne prennent pas la peine de prévenir l’exploitation d’une faille technique, alors ce n’est pas de la triche. Quant à la triche cognitive, nous manquons de données objectives et de grande ampleur quant à ce phénomène.»

Sputnik France: Votre charte insiste sur le respect de l’adversaire (et du public): y a-t-il des gestes significatifs, comme les poignées de main pré ou post-rencontre, par exemple? En cas de non-respect, y a-t-il une commission de discipline statuant sur un comportement inapproprié?

Nicolas Besombes: «La poignée de main d’après-match est une norme symbolique très forte de l’eSport. Elle est parfois encouragée dans des codes de conduite à faire respecter par les organisateurs. France Esports peut quant à elle rappeler le respect de sa charte à ses membres et, en cas d’infractions répétées, envisager l’exclusion d’un membre qui ne la respecterait pas.»

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Sputnik France: Peut-on s’attendre voir l’eSport reconnu comme discipline olympique?

Nicolas Besombes: «Non, car il n’existe pas de fédération internationale reconnue par le CIO (Comité International Olympique). En attendant, autour des évènements olympiques, il est possible de promouvoir l’eSport.

J’ajoute que des fédérations de haut niveau, comme la FIA [Fédération Internationale de l’Automobile, ndlr] pour la compétition automobile ou la FIFA [Fédération Internationale de Football Association, ndlr] pour la compétition de football, se sont très tôt engagées dans l’appui et même l’organisation de compétitions virtuelles, comme l’atteste par exemple la constitution d’une équipe de France d’eFoot encadrée officiellement par la Fédération Française de Football (FFF).»

Sputnik France: Avez-vous une anecdote dont vous pouvez nous faire part dans le cadre de l’eSport?

Nicolas Besombes: «La première qui me vient à l’esprit, c’est l’actualité de ce matin, avec la victoire au sortir d’un tournoi d’une joueuse singapourienne âgée de 7 ans sur le jeu Pokémon. Et plusieurs autres où l’on observe des compétitions eSportives inclusives qui mélangent des personnes en situation de handicap et des personnes valides ou d’autres se déroulant entre seniors dans des maisons de retraite.»

Sputnik France: Selon vous, quelles étapes doit encore franchir l’eSport pour prospérer en France?

Nicolas Besombes: «La prochaine étape est irrémédiablement une meilleure structuration régionale, pour assurer la continuité du développement de notre activité.

Il faut miser sur l’appui des pouvoirs publics locaux (grâce au capital sympathie que dégage désormais l’eSport) avec la régionalisation de notre pratique, car les deux parties y ont à gagner. Les collectivités locales peuvent ainsi profiter de cet essor dans leur volonté de réduire la fracture numérique sur leur territoire et apporter une réponse quant aux inquiétudes des parents et des instances nationales sur la viabilité de l’eSport.»

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