Coronavirus en Afrique: «on applique les leçons d’Ebola», selon le Pr N’Toumi

La fréquence des vols entre la Chine et nombre de capitales africaines est un risque réel obligeant à se prémunir contre une propagation éventuelle du Covid-19 en Afrique, a déclaré le professeur Francine N’Toumi. Sur un continent où les systèmes de santé sont souvent précaires, «l’Afrique du Sud, le Maroc et l’Éthiopie sont les plus à risque».
Sputnik

Pour l’instant, l’Afrique subsaharienne semble avoir échappé au coronavirus. Certes, l’Égypte a déclaré un cas confirmé de contamination le 14 février dernier, et un autre cas a également été signalé en Algérie le 25 février. Mais, selon le professeur Francine N’Toumi, enseignante-chercheuse en immunologie de l'université Marien-Ngouabi –qui y a fondé, préside et dirige encore actuellement la Fondation congolaise pour la recherche médicale–, «il n’y a aucun autre cas avéré, à  ce jour, en Afrique subsaharienne».
Pour cette spécialiste des maladies infectieuses reconnue mondialement, les gouvernements africains ont toutefois raison de se préparer à l’arrivée de malades qui pourraient avoir été infectés par le virus. Car en l’absence de système de santé performant et du fait d’habitudes de vie communautaires, «l’épidémie de Covid-19 pourrait se répandre comme une traînée de poudre sur le continent, même si ce virus tue moins que celui de la grippe», a-t-elle commenté au micro de Sputnik France.

Interrogée ce mercredi 26 février depuis l’université de Tübingen (Allemagne), où elle enseigne comme professeure associée et cheffe d'un groupe de recherche à l'Institut de médecine tropicale, ce docteur en biologie moléculaire, plus connue pour ses travaux sur le paludisme, pointe du doigt la fréquence des vols directs entre la Chine et nombre de capitales africaines comme porte d’entrée possible pour le virus. En plus de l’Égypte et de l’Algérie, qui comptent parmi les pays africains ayant le plus de liaisons avec la Chine, «l’Afrique du Sud, l’Éthiopie et le Maroc pourraient également être à risque», a estimé la scientifique congolaise.

«Les hubs aériens du Maroc et de l’Éthiopie sont particulièrement exposés, sans parler de l’Afrique du Sud. C’est étonnant que ces deux pays n’aient pas été mentionnés», commente-t-elle au micro de Sputnik France en se référant à l’étude publiée par les chercheurs de l’Inserm dans la revue Lancet concernant les points d’entrée les plus probables pour le coronavirus sur le continent africain.

Eviter de répéter les erreurs d’Ebola

Des mesures préventives de la part des autorités sanitaires dans les pays africains concernés s’imposent donc, selon elle, pour «faire face à toute éventualité». Ce qui est déjà le cas dans nombre d’aéroports du continent, fait-elle remarquer, où la température des voyageurs, particulièrement ceux venant d’Asie, est vérifiée. À Brazzaville, la capitale de la République du Congo d’où elle est originaire, ce dépistage est même systématique. Des hôpitaux ont été réquisitionnés pour accueillir d’éventuels malades, précise-t-elle.

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Brazzaville abrite le siège africain de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui avait été très lente à réagir, en avril 2014, au moment du déclenchement de l’épidémie d’Ebola dans trois pays d’Afrique de l’Ouest. Mais cette fois-ci, l’agence onusienne semble déterminée à tirer la sonnette d’alarme «le plus tôt possible» pour ne pas répéter les erreurs commises après la propagation fulgurante du virus de la fièvre hémorragique qui avait fait plus de 11.000 morts en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia.

«Il semblerait qu’avec le Covid-19, l’OMS ait tiré les leçons de l’épidémie d’Ebola. Mieux vaut être inquiet trop tôt que trop tard! Les quelque 2.600 morts provoquées par cette mystérieuse pneumonie virale ne sont rien par rapport au nombre de morts que coûte chaque année à elle seule la grippe (inflluenza). Le paludisme et la tuberculose continuent de tuer, chacune, plus de personnes en Afrique que toutes les autres maladies réunies. Quant à Ebola, la menace est toujours là, notamment en RDC où c’est loin d’être fini», fait remarquer la spécialiste congolaise des maladies parasitaires.  

Le 22 février dernier, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a demandé aux ministres de la Santé des pays de l’Union africaine, réunis à Addis Abeba, de «faire front commun pour être plus agressifs» dans la lutte contre la maladie à coronavirus, le Covid-19. «Notre principale préoccupation continue d’être le potentiel de dissémination du SARS-CoV-2 dans les pays dont les systèmes de santé sont les plus précaires», avait ajouté le patron de l’OMS dans une liaison vidéo depuis Genève.

Le professeur Francine N’Toumi est membre de plusieurs comités scientifiques et réseaux scientifiques internationaux en Afrique et en Europe. Elle apporte également son expertise à l’Union africaine en tant que membre du panel de haut niveau sur les technologies émergentes. Selon elle, une communication efficace sur la maladie dans les pays concernés de la part des autorités sanitaires serait le meilleur moyen «pour que les populations locales, qui sont essentiellement informées par les réseaux sociaux, sachent quoi faire en cas d’épidémie sans céder à la panique».

L’absence de vaccin

À l’instar du paludisme, la souche jusqu'ici inconnue du Covid-19, qui a été baptisée SRAS-CoV-2 par le Comité international de taxonomie des virus (ICTV), n’a pas encore trouvé de vaccin malgré l’intensification des recherches depuis le début de l’année. Compte tenu des délais pour mettre au point un vaccin et l’expérimenter avant sa commercialisation, la plupart des experts ne prévoient pas de traitement fiable avant au mieux la fin de l’année 2020.

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Pour cette chercheuse de haut vol, qui a obtenu nombre de récompenses dans le cadre de ses travaux sur le séquençage du génome du parasite responsable du paludisme et de la mutation génétique qu’il entraîne, connue sous le nom de drépanocytose, rien d’étonnant à cela. Elle compare la recherche sur le coronavirus à celle sur le paludisme, qui est une maladie sévissant dans les régions les plus pauvres de la planète.

«Je n’ose plus faire de pronostic tant on a annoncé de fois qu’on allait élaborer un vaccin (contre le paludisme) d’ici à deux ans. Or, à ce jour, il faut bien le reconnaître, il n’existe aucun vaccin contre aucune maladie parasitaire! Le vaccin élaboré par GSK [RTS,S/AS01E distribué sous la marque Mosquirix, ndlr] avec l’aide de la fondation Gates a une efficacité de 30%, ce n’est donc pas vraiment un vaccin. Peut-être celui qui a été approuvé récemment par l’Agence européenne des médicaments pourrait-il se qualifier ainsi, mais il fait toujours l’objet d’essais, dans trois pays, à la demande de l’OMS», s’insurge-t-elle.

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Impliquée depuis janvier 2009 dans le renforcement des capacités de la recherche biomédicale en Afrique centrale par le biais du Réseau régional d'Afrique centrale sur les essais cliniques (Cantam - Central Africa Network on Clinical Research) et le réseau panafricain Pandora-ID-Net, le professeur Francine N’Toumi et ses équipes travaillent sur des combinaisons thérapeutiques plus efficaces pour traiter le paludisme ou la tuberculose.

Elle poursuit en même temps ses recherches pour mieux connaître et lutter plus efficacement contre des maladies telles que le chikungunya ou la fièvre de Lassa. Toutes deux sont mortelles si elles ne sont pas soignées à temps, comme on l’a vu récemment dans des pays d’Afrique centrale et au Nigeria, où des épidémies se sont déclenchées, engendrant des centaines de morts.

«L’avantage que nous avons en Afrique centrale, c’est notre immense réservoir animal et végétal qui peut donner lieu à d’innombrables études. Il faut donc que nous développions davantage de recherches endogènes et, notamment, sur les agents pathogènes zoonoses qui se transmettent naturellement des animaux à l'être humain, et vice-versa. C’est ainsi que nous pourrons le mieux contribuer à éradiquer les épidémies et faire avancer la science en général», confie-t-elle.

Pour cela, il faut des moyens. Francine N’Toumi, qui s’est battue toute sa vie en tant que femme africaine dans les sciences, «une carrière extrêmement difficile à mener à cause des pesanteurs culturelles», sait que rien ne peut se faire sans l’implication des gouvernements africains.

«La recherche est un plat qui se savoure froid. Moi, j’ai choisi cette carrière parce que je suis passionnée de romans policiers et que le parasite, le virus ou la bactérie sont comme des criminels qu’il faut identifier et arrêter. Mais il ne faut pas penser que l’argent ou les solutions vont venir de l’extérieur. Si nous ne mettons pas nos moyens financiers et notre matière grise dans de la recherche qui nous concerne et nous permet de régler nos propres problèmes, personne ne le fera à notre place. Ou alors ce sera à nos dépens!», conclut-elle.
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