Fresques rivalisant de beauté, espaces verts soigneusement entretenus, couleurs chatoyantes… le nouveau visage de l’École des beaux-arts d’Abidjan fait sensation sur les réseaux sociaux. Mais ce décor gai et artistique camoufle mal le mal-être ambiant des étudiants.
L’établissement a beau avoir été rebaptisé depuis quelques années «École supérieure d’arts plastiques, d’architecture et de design (Esapad)», l’appellation «École des beaux-arts» demeure sur toutes les lèvres.
L’Esapad fait partie des quatre écoles et des trois centres de formation et recherche que comprend l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac). Elle accueille 881 étudiants, répartis en huit spécialités: peinture, sculpture, céramique, art mural, gravure, architecture, textile et communication.
La dernière couche de peinture reçue par les bâtiments de l’École des beaux-arts d’Abidjan remontait à 2015. Depuis, la moisissure omniprésente et les murs décrépis lui donnaient «un aspect insalubre et déprimant», de l’avis des élèves.
Se sentant délaissés par la direction de l’Insaac et désireux de redonner de l’éclat à leur école mais surtout d’améliorer leur cadre de vie et d’apprentissage, les étudiants, à l’initiative de leur délégué général, Jean-Yves Tetchi, ont décidé fin 2019 de prendre les choses en main.
Deux élèves en architecture ont alors été chargés de concevoir la maquette (la réalisation en 3D avec toutes les couleurs et fresques qu’ils devront comporter) de revêtement de l’école et une cotisation de 2.000 francs CFA (3 euros) par étudiant a été instituée.
En moins de deux semaines, du 26 décembre du 6 janvier, un groupe d’élèves s’est attelé sans relâche à exécuter fidèlement la maquette, sacrifiant au passage les fêtes de fin d’année.
Le résultat de leur labeur, publié sur les réseaux sociaux, n’a pas manqué d’impressionner les internautes et même Maurice Bandaman, le ministre de la Culture et de la Francophonie (ministre de tutelle), qui a exprimé sa fierté dans un commentaire sur la page Facebook de l’Insaac.
Sur la toile, les félicitations et mots d’encouragement n'ont cessé de pleuvoir pour saluer cette initiative tantôt présentée comme étant celle des étudiants, tantôt comme s’inscrivant dans une action de rénovation globale émanant de la direction générale de l’Insaac.
Devant cette ambivalence, Sputnik a interrogé Mathilde Moreau, la directrice de l’Esapad.
«Tout le mérite revient aux étudiants qui ont librement pris l’initiative d’embellir leur école. Ils sont les seuls habilités à pouvoir s’exprimer sur les motivations qui ont sous-tendu leur action», a confié à Sputnik Mathilde Moreau.
D’ordinaire, la direction de l’Insaac fait appel à des peintres extérieurs pour s’occuper des infrastructures des différentes écoles. Ce qui n’est pas du goût des étudiants.
«Par notre démarche, nous avions l’intention de prouver que nous avions les compétences suffisantes pour réaliser cette tâche aussi bien, voire mieux, que les prestataires auxquels la direction fait appel», a expliqué au micro de Sputnik Jean-Yves Tetchi.
Outre la volonté de démontrer leurs compétences, les étudiants entendaient également, par leur action, témoigner leur «amour» pour l’Esapad.
«C’est par amour pour notre école et pour ce qu’elle représente pour l’avenir que nous n’avons pas hésité à donner de notre argent, de notre temps et de notre savoir-faire. Si nous avons mené à bien cette initiative, c’était pour servir d’exemple aux autres écoles de l’Insaac et au-delà. Nous espérions aussi que cela nous ouvre d’éventuelles opportunités de bourses à l’étranger ou de travail», a poursuivi le délégué général.
Une École des beaux-arts malade
Passées les portes de l’Esapad, la magie s’estompe brutalement. Contrairement à ce qui était annoncé par la direction générale de l’Insaac sur les réseaux sociaux, aucun bâtiment de l’école n’a été rénové et les conditions d’études laissent à désirer.
Dans l’ensemble des ateliers parcourus, le constat est le même: éclairage insuffisant, absence de climatisation, problèmes d’étanchéité, wifi hésitant, manque cruel de matériel...
Avec leur bourse annuelle (365 euros de la licence 1 à la licence 2; 731 euros de la licence 3 au master 1 et 914 euros pour le master 2), parfois versée au compte-goutte, les étudiants sont généralement contraints de se cotiser pour se procurer tables, bancs, chevalets, toiles et autres matériels indispensables à leur apprentissage.
Et vu que la cité universitaire qu’ils réclament depuis des années n’est toujours pas d’actualité, il est fréquent, dans le cadre de leurs travaux, qu’ils soient obligés de passer la nuit au sein de l’école.
Toute cette situation engendre un ressentiment croissant des étudiants envers la direction générale à qui ils reprochent désormais de «s’approprier sans gêne» le mérite de leur action.
«Le 22 janvier dernier, lors de la visite à l’Insaac du ministre de la Culture, la direction générale a laissé entendre qu’elle avait fait rénover l’Esapad par ses propres moyens. Ce qui, évidemment, n’est pas très correct. Le ministre, en parcourant l’école, n’est pas entré dans les salles, il aurait constaté sinon qu’aucune rénovation n’avait été effectuée», a décrié Jean-Yves Tetchi.
Selon les étudiants, le devis total des travaux d’embellissement de l’Esapad a avoisiné les trois millions de francs CFA (4.573 euros).
«Cette somme comprend les cotisations des étudiants, soit 1.700.000 francs CFA (2.591 euros), et l’appui financier de 600.000 francs CFA (914 euros) que nous avons reçu contre toute attente, en plein travaux, de la part de la direction générale. Pour le reste, certains d’entre nous ont volontiers consenti à s’endetter pour le succès de l’initiative», a déclaré Jean-Yves Tetchi.
Le délégué général espère être très bientôt reçu par le Dr Siaka Ouattara, directeur de l’Insaac, pour plaider une nouvelle fois une amélioration de leurs conditions d’études.