Nouvellement créée par le Président López Obrador, la Garde nationale mexicaine agit-elle comme un bouclier humain à la frontière sud du Mexique?
Sputnik France: Récemment, une nouvelle caravane de migrants, surtout composée de milliers de Honduriens, s’est dirigée tout droit vers le Mexique. Quelle est la situation aux frontières?
Yerko Castro Neira: «En Amérique du Nord et en Amérique centrale, nous vivons des situations assez similaires à ce qui se passe dans d'autres régions du monde. On observe un processus de renforcement des frontières, corollaire à la criminalisation des migrants. Autrement dit, les États concernés rendent illégal le déplacement de personnes qui cherchent à sortir de conditions de vie très précaires.
Le récent épisode à la frontière sud du Mexique est quelque chose que nous voyons déjà à la frontière nord avec les États-Unis. Le phénomène est aussi sensiblement le même aux frontières de l'Europe, également en Afrique du Nord, dans des pays comme la Libye et le Maroc. Malheureusement, il s’agit d’un phénomène mondial qui n’est pas près de s’arrêter.»
Sputnik France: En juin 2019, Donald Trump a menacé le Mexique d’imposer des droits de douane sur les importations mexicaines si Andrés Manuel López Obrador (AMLO) n’endiguait pas le flux de migrants. AMLO avait accepté les conditions de Trump pour ne pas nuire à l’économie mexicaine. Le Président mexicain, pourtant autrefois vu comme antiaméricain, est-il soumis à Washington?
Yerko Castro Neira: «J’étais présent sur le terrain à Tijuana lorsque le Président Trump a menacé le Président López Obrador de ne pas ratifier l’accord. Ce scénario était déjà anticipé par tous les acteurs en faveur des droits des migrants. Le gouvernement mexicain oscillait au départ entre deux tendances. Premièrement, le gouvernement tendait vers le renforcement des frontières et l’adoption d’une nouvelle vision sécuritaire. Deuxièmement, le gouvernement essayait de s’en tenir aux droits de l'homme, en conservant une vision humanitaire. La première vision l’a emporté sur la deuxième.
Le Mexique est parvenu à s’entendre avec les États-Unis sur l'immigration. L'accord était simple: le Mexique ferait ce que les États-Unis voudraient.
Le gouvernement mexicain, en ce sens, n'a pas de plan ou de programme autonome concernant les migrants. Au contraire, son plan est de se plier à la volonté de Washington. Paradoxalement, Donald Trump a donc tenu sa promesse de faire construire un mur anti-migrants payé par le Mexique. Le mur existe bel et bien, mais il a été fait dans le sud et non dans le nord du pays. Ce mur prend la forme de centaines de soldats de la Garde nationale, de drones, d’hélicoptères et de toutes les technologies utilisées pour contenir les migrants. Toutes ces opérations et ressources sont payées par les impôts du peuple mexicain.»
Sputnik France: Comment AMLO compte-t-il préserver son image de dirigeant progressiste tout en protégeant aussi fermement la frontière?
Les promesses qui ont été faites étaient infinies. La crise migratoire a changé le portrait. En 2020, nous allons voir si le Président réussit à conserver l’appui des organisations de gauche ou si elles choisiront d’entrer en dissidence en faisant valoir leur insatisfaction. Le Président López Obrador devra faire de nombreux efforts pour mener ce travail d’équilibriste. Il s’agit à la fois de satisfaire les demandes de la société civile mexicaine et celles des États-Unis.»
Sputnik France: Vous dites que la politique de López Obrador s’apparente à une «criminalisation des migrants». Pouvez-vous nous en dire plus?
Yerko Castro Neira: «Le gouvernement mexicain avait promis de conserver une approche humanitaire de l’immigration irrégulière. En fait, le Mexique est l'un des pays signataires du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, un accord promu par l'Onu et signé au Maroc [Pacte de Marrakech, ndlr] en décembre 2018. Cependant, Mexico ne semble pas respecter la nature de l’accord. La politique mexicaine fait à peine la différence entre un migrant ordinaire (qui quitte son lieu d'origine pour une raison X) et une personne cherchant une protection internationale sous la forme de refuge ou d'asile.
Ces derniers jours, le Mexique a non seulement renforcé sa frontière méridionale avec l'armée, mais il a aussi interdit aux avocats et aux militants d'entrer dans les campements temporaires où les migrants sont détenus. Le droit d'asile international n'est pas respecté et les demandes des organisations humanitaires ne sont pas entendues.»
Sputnik France: Selon les chiffres officiels, entre janvier et novembre 2019, le gouvernement mexicain a octroyé 36.790 cartes de visite pour des raisons humanitaires, un document qui permet à des migrants de séjourner légalement dans le pays. Qu’est-il advenu de toutes ces personnes?
Yerko Castro Neira: «Cette donnée représente un mystère. Au Mexique, les statistiques ne sont pas toujours fiables. Il existe d'innombrables zones grises dans les statistiques. Nous ne pouvons comptabiliser que les personnes qui s'inscrivent sur les listes dans les zones de transition. Nous ne savons rien des autres migrants.
Sputnik France: Si López Obrador décidait d’accueillir les migrants qui veulent rentrer, ces personnes pourraient-elles vraiment être intégrées à l’économie mexicaine, dont la croissance est presque nulle?
Yerko Castro Neira: «Il est impossible d'offrir des emplois à tout le monde. Il n’y a même pas assez d’emplois pour tous les Mexicains. Il y a une pénurie d'emplois et les postes encore disponibles sont précaires et sans sécurité sociale. Les migrants veulent d’abord gagner de l’argent pour en envoyer chez eux. De toute façon, le coût de la vie est trop élevé au Mexique pour que les migrants réussissent à envoyer des sommes importantes à leurs proches. De plus, comme je le mentionnais plus tôt, la grande majorité des migrants ne veulent pas rester au Mexique, mais bien rejoindre les États-Unis. Beaucoup de migrants s’établissent dans les villes du nord du pays, mais c’est une installation temporaire.»