En 2017, à la demande des États-Unis, Alexandre Vinnik, citoyen russe, a été arrêté en Grèce, où il se reposait avec sa famille. L’accusation de blanchiment d’argent et de fraude à la cryptomonnaie dont il a fait objet s’inscrit dans une longue liste d’affaires du même style: une vingtaine de programmeurs, accusés de piratage et d’attaques informatiques ont étés arrêtés et certains extradées aux États-Unis entre 2014 et 2017.
Le 13 juillet 2018, le tribunal de Thessalonique a décidé d’extrader Alexandre Vinnik vers la France, conformément au mandat européen émis contre lui. Selon les règles en vigueur, en cas d’extradition, Vinnik devrait être renvoyé en Grèce après interrogatoire. La France accuse l’homme originaire de Kourgan, un village de quelque 300 habitants au sud de l’Oural, d’avoir «extorqué et blanchi de l’argent dans le cadre d’un groupe criminel sur le territoire du pays», en 2016-2018 et «à une autre période». Les chefs d’accusation retenus contre lui sont «extorsion en bande organisée», «blanchiment aggravé», «association de malfaiteurs» et «atteinte d’un système de traitement automatisé de données en bande organisée».
Selon la France, Vinnik est accusé d’avoir piraté le courrier électronique de milliers de personnes et de leur avoir extorqué de l’argent via la plate-forme boursière BTC-e: on parle de l’équivalent de 130 millions d’euros, qu’il aurait dérobés à 5.700 de victimes dans le monde, y compris en France. Le parquet estime qu’Alexandre Vinnik est un personnage central dans son l’enquête sur un groupe de cybercriminels.
Dès son arrivée en France, Alexandre Vinnik, en grève de la faim depuis le 20 décembre dernier, a été placé dans un hôpital parisien.
Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue à Paris le 28 janvier, Zoé Konstantopoúlou, l’avocate d’Alexandre Vinnik et ancienne présidente du Parlement hellénique explique les poursuites contre Alexandre Vinnik comme des «suites de l’adoption de Patriot Act américain».
«Pour moi, c’est très clair: le crime d’Alexandre est d’être russe et d’être un technicien avec une connaissance technologique extraordinaire, explique à Sputnik Zoé Konstantopoúlou. Une telle connaissance peut libérer économiquement les gens. Il possède une connaissance qui va à l’encontre des intérêts du système bancaire international et du système gouvernemental international, qui veut absolument contrôler la vie économique des gens.»
L’avocate précise qu’en Grèce, on «continue à avoir de mauvaises expériences de ce contrôle»; pour elle, «il s’agit d’une dictature économique».
«Alexandre gêne, parce qu’il possède cette connaissance, précise Zoé Konstantopoúlou. Il a ses convictions, son avis exprimé publiquement. La vraie raison pour laquelle on veut l’incarcérer, c’est de l’utiliser en tant qu’arme contre son pays et en tant qu’otage politique. On veut l’empêcher de rentrer dans son pays, où il peut offrir ses connaissances à ses compatriotes.»
N’oublions pas qu’Alexandre Vinnik fait également objet d’une demande d’extradition de la part de la Russie, confirmée par la décision de la Cour de cassation grecque le 4 septembre dernier. Selon le bureau du procureur général russe, Alexandre Vinnik, sous prétexte de fournir du matériel, «a volé de l’argent pour plus de 600.000 roubles» à une organisation qui n’était pas citée dans le dossier.
Ainsi, Alexandre Vinnik risque-t-il d’entamer un long périple à travers le globe: après l’extradition en France, retour en Grèce, extradition aux États-Unis suivie d’un retour à la case départ, et seulement ensuite une extradition en Russie… la seule destination à laquelle l’accusé consent.
La première audience, le soir du 28 janvier au tribunal judiciaire de Paris, a été très animée.
«Il y a eu un débat très houleux entre le procureur et les avocats concernant des choses simples, précise à Sputnik Timofei Moussatov, l’avocat russe d’Alexandre Vinnik. Le procureur a décidé qu’une décision précédemment connue ne devrait pas être rediscutée.»
L’avocat russe a ajouté que la défense avait alors, pour de nombreuses raisons, exigé une interruption d’audience, notamment pour «parler avec le client, étudier des documents qui permettaient au moins de comprendre de quoi le client est accusé, au lieu d’écouter le procureur sans voir les preuves.» De plus, selon Timofei Moussatov, «le procureur a refusé de décliner son nom et la composition du tribunal n’a pas été annoncée», malgré la demande expresse de la défense.
«Le procureur a déclaré d’emblée qu’il exigeait non seulement l’arrestation, mais aussi la détention dans des conditions particulièrement dures, sans donner ses arguments. Vous avez vu Alexander aujourd’hui, il a perdu du poids, il est déshydraté. Nous parlons de l’Holocauste. L’Holocauste est désormais déclenché contre les citoyens russes dans le monde entier, et vous avez [devant vous, ndlr] un excellent exemple», tempête l’avocat d’Alexandre Vinnik.
Selon le département américain de la Justice, Alexandre Vinnik aurait fondé en 2011 le site de bourse en ligne BTC-e, où l’on échangeait des bitcoins et d’autres cryptomonnaies contre des dollars, des roubles et des euros. Parallèlement à l’arrestation de Vinnik en Grèce le 25 juillet 2017, le FBI a saisi l’équipement du centre de données de la bourse en ligne en question, située aux États-Unis. Des représentants du site Internet BTC-e ont déclaré à l’époque que Vinnik n’était ni son fondateur ni son employé. Et, selon le détenu lui-même, il était un «spécialiste technicien» qui «renseignait les clients de la bourse». BTC-e a été d’ailleurs inscrit au registre de ressources informatiques interdites en Russie en janvier 2016.
Selon les Américains, Alexandre Vinnik a été impliqué dans le piratage d’un site similaire, le japonais Mt.Gox, en 2011-2014. En conséquence, plusieurs centaines de milliers de bitcoins ont été volés (ce qui représentait à peu près de 2 milliards de dollars au taux de change de l’été 2017). Les fonds auraient étés blanchis via BTC-e. Toujours selon la partie américaine, le chiffre d’affaires de BTC-e s’estimait de 4 à 9 milliards de dollars.