Voter ou ne pas voter, telle est la question qui agite la scène politique camerounaise… et tourmente surtout quelque 7,1 millions d’électeurs. À la veille des scrutins législatifs et municipaux du 9 février prochain, ils ne savent plus où donner de la tête. Boycott ou vote massif ? Chacun y va de ses arguments.
La décision de Kamto repose sur deux arguments principaux. Il invoque tout d’abord «une solidarité» revendiquée avec «les populations affligées» des régions Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays, en proie depuis 2017 à une crise séparatiste meurtrière. Il met également en avant une «iniquité des règles électorales», matérialisée par un code électoral «non consensuel». En d’autres termes, des règles du jeu clairement biaisées, en faveur du parti au pouvoir.
D’autres formations ont rejoint le MRC à l’instar du Cameroon People’s Party (CPP), un parti qui avait déjà boycotté, en 2018, l’élection présidentielle en arguant le contexte de la crise anglophone qui terrassait le pays. Son secrétaire général, Franck Essi, s’en explique à Sputnik.
«Notre position va au-delà d'une simple question de boycott. Nous sommes de ceux qui, en 2018, avaient dit que les élections n'étaient pas pertinentes dans le contexte actuel et qu'il était important que nous résolvions d'abord les crises. Le boycott n'est qu'un petit événement dans ce processus», souligne-t-il.
Du côté du Comité de résistance pour la revendication, la récupération et la restitution du vote du peuple (C4R), un mouvement né après la présidentielle et partisan du boycott, on n’hésite pas à poser, au centre des revendications la question de la légitimité politique du pouvoir de Biya. Tout en regrettant «les crises protéiformes» qui écument le pays, son président Gérard Philippe Kuissu doute de la capacité de ces élections à apporter le moindre changement. Il recommande, dès lors, l’abstention pour ne pas se conforter dans «l’illusion d’une démocratie».
«Le seul résultat, c’est de faire comprendre au pouvoir en place que le temps est venu de libérer le peuple. Il a fait son temps. Nous voulons passer à la lumière, à la paix et au développement», assène cet opposant au micro de Sputnik.
Franck Essi abonde, finalement, dans le même sens. «Nous n'encourageons pas les citoyens à participer à une élection qui ne va en soi résoudre aucun problème. Nous disons non aux élections, oui à une transition politique», lâche-t-il. Dans la bouche des acteurs politiques de l’opposition, le glissement est vite opéré entre les empêchements politiques et sécuritaires, et l’illégitimité présumée du pouvoir de Paul Biya.
Celle-ci s’était déroulée dans des conditions pour le moins houleuses et avait permis à Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, de renouveler son bail (emphytéotique?) au Palais de l’unité, loin devant Maurice Kamto qui revendique toujours sa «victoire volée», malgré son séjour de neuf mois en prison.
Le boycott, c’est, de la part du MRC, «une stratégie de résistance pertinente et une démarche politique raisonnée», résume le politologue Richard Makon au micro de Sputnik. À moins de prêter quelque crédit aux informations faisant état d’une incapacité du parti à constituer des listes, auquel cas le boycott se révèlerait être davantage une manœuvre politicienne qu’une position de principe.
«Le boycott du MRC se justifie (…) largement dans la mesure où il s'inscrit dans la ligne des récriminations que le parti fait depuis plusieurs années maintenant. Sur ce point, le MRC est donc cohérent avec lui-même!», poursuit Richard Makon, qui regrette tout de même cette décision «qui prive notre pays d'une occasion de pacifier sa scène politique».
Le même argument sera évoqué par le camp du parti au pouvoir à l’attention des récalcitrants. Dans une récente sortie sur son compte Facebook, Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), appelle à aller voter pour, dit-il, «la paix et l’unité nationale».
«Pour la paix et l'unité, il faut aller aux urnes le 9 février prochain, en particulier pour que la gestion du pays telle que souhaitée par nos frères du Nord-Ouest et du Sud-Ouest se mette rapidement en place, à travers les municipalités et les autres institutions d’administration du pouvoir local. Le boycott serait l'expression et la preuve ultime d’un refus de l’évolution du Cameroun vers la modernité», précise le cadre du RDPC.
Les tentatives du pouvoir de raisonner les électeurs n’empêcheront pas Yaoundé de hausser le ton par ailleurs. Au cours de la conférence semestrielle des gouverneurs des régions, tenue le 13 janvier, le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a demandé de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher les troubles durant le scrutin. De quoi, sans doute, faire réfléchir les zélés du boycott, assimilé dans la bouche du ministre à «un comportement anticonstitutionnel et antirépublicain».
Mais l’antagonisme suscité par les élections ne coïncide pas, en tout état de cause, avec la dichotomie du pouvoir et de l’opposition. Des formations politiques de l’opposition s’inscrivent en faux contre la démarche du MRC. La coalition Kawtal, présidée par Abel Elimbi Lobe, candidat à ces élections locales, en fait partie.
«On ne peut pas demander à ceux qui sont à Douala de s'abstenir de voter au prétexte que les électeurs qui sont au Nord-Ouest sont en difficulté sécuritaire. Ce type de glissement intellectuel découle des calculs politiciens d'une organisation ethno-fachiste bien connue au Cameroun qui a échoué et qui pense que l'organisation de la sédition va être une voie de poursuite de sa lutte», affirme-t-il au micro de Sputnik.
Entre-temps, on assiste à des joutes verbales sur les réseaux sociaux et par médias interposés entre partisans et adversaires de l’abstention. Et c’est probablement sur ce terrain que continuera à se jouer la bataille du vote.
Dans ce climat délétère entre les forces politiques en présence, les électeurs auront, certainement, le mot de la fin.