«J’ai tenu ma promesse», a déclaré Donald Trump à l’issue de la signature de l’accord commercial entre les États-Unis et la Chine ce 15 janvier à Washington. Le nouveau traité bilatéral –qui reste toutefois préliminaire– devait régler, selon le Président américain, le déséquilibre de la balance commerciale avec Pékin. Les termes de l’accord? La Chine a promis d’acheter pour 200 milliards de dollars de produits américains supplémentaires durant les deux prochaines années, ainsi que des mesures de protection de la propriété intellectuelle et de transferts de technologie. Toutefois, les droits de douane imposés par l’administration américaine sur les produits chinois ne seront pas levés pour le moment.
Un des meilleurs accords commerciaux jamais signés! Très bien aussi pour la Chine et pour nos relations sur le long terme. 250 milliards de dollars reviendront au pays, et nous sommes maintenant en bonne position pour la Phase 2 débute. Il n’y a jamais rien eu de tel dans l’histoire des États-Unis! et maintenant l’ACEUM!
En 2019, ces dispositions ont commencé à porter leurs fruits: l’excédent commercial chinois a ainsi baissé de 8,5%, soit tout de même 295,8 milliards de dollars. Dans quelle mesure cet accord commercial peut-il rééquilibrer le déficit commercial américain? Quels secteurs de l’activité économique américaine peuvent-ils en profiter? En favorisant les importations américaines en Chine, les Européens sont-ils les grands perdants de cet accord?
Sputnik a interrogé Charles Gave, économiste, financier et président de l’Institut des Libertés. S’il estime que cet accord représente une trêve dans les relations économiques bilatérales, fait salutaire pour Donald Trump avant l’élection de 2020, l’augmentation exponentielle des exportations américaines vers la Chine sera un engagement difficile à tenir.
Sputnik France: Que pensez-vous de cet accord commercial conclu entre la Chine et les États-Unis?
Charles Gave: «Plutôt qu’un accord de paix, on devrait plutôt parler d’un armistice. À mon avis, Trump n’a pas envie d’avoir trop d’ennuis avec l’économie avant l’élection qui se profile dans moins d’un an et la Chine a besoin de temps pour ajuster son appareil industriel. Donc tous les deux ont décidé de signer un accord parce que ça les arrange. Compte tenu du fait que les exportations américaines doivent augmenter dans des exportations gigantesques vers la Chine dans les années qui viennent et que Boeing est bien incapable de livrer pour les problèmes que l’on connaît, ça va être un peu difficile. Quand l’élection sera passée, M. Trump découvrira que la Chine n’a pas rempli ses promesses et on repartira pour un tour. Ça nous donne un an de tranquillité.»
Charles Gave: «Si les Américains réussissent à livrer, il est évident que les Chinois vont acheter beaucoup de produits agricoles. Ça devrait aider un peu le Middle West américain, ce qui bien entendu, n’est pas surprenant, compte tenu du fait qu’une élection est en train d’arriver. En principe, la grande gagnante devrait être l’agriculture.
Une autre disposition est intéressante, c’est la protection de la propriété intellectuelle. Les Chinois s’étaient fait une grande spécialité de piquer les propriétés intellectuelles sans payer les droits afférents, ça va devenir beaucoup plus difficile pour eux. Ils vont être obligés de lancer des programmes de Recherche et Développement très considérables, puisqu’ils n’auront plus accès gratuitement aux R & D aux États-Unis.
Tous les deux ont besoin de temps. Par exemple, Trump ne tient pas à ce que les fabricants de semi-conducteurs aux États-Unis souffrent trop. Les Américains n’ont pas envie que la prochaine vague de technologie dans les autoroutes de la communication soit sous le contrôle des Chinois. Ils entendent que ça reste sous leur contrôle à eux. Ils mettent une pression considérable sur la Grande-Bretagne et sur l’Europe pour éviter que Huawei n’enlève le contrat.»
Sputnik France: Qu’en est-il des droits de douane américains? Ont-ils eu un effet sur les importations chinoises?
Charles Gave: «Ils vont rester là où ils sont. Ça va être absorbé par une baisse de la rentabilité des entreprises chinoises. Il y a eu une baisse de la monnaie chinoise, mais pas suffisante pour tout compenser. La Chine essaie de se débrouiller pour augmenter autant qu’elle le peut ses exportations vers la Thaïlande, l’Indonésie, la Malaisie. Ils sont en train d’essayer de remplacer la demande américaine. Les importations chinoises aux États-Unis ont bien baissé de façon assez sensible d’une année sur l’autre. Est-ce que ça va continuer de baisser? Ça va probablement se calmer.»
Charles Gave: «C’est une question difficile, car la Chine a un excédent dans sa balance commerciale avec les États-Unis qui reste très important. Par exemple, de nombreux produits étaient fabriqués en partie au Vietnam, en partie en Indonésie et qui étaient réimportés en Chine, où on terminait l’assemblage et on mettait le tampon dessus et on l’envoyait aux États-Unis. Si maintenant, les Chinois déclarent vouloir terminer l’assemblage au Vietnam ou en Indonésie, la balance commerciale s’améliorera vis-à-vis de la Chine, mais se détériorera vis-à-vis du Vietnam ou de l’Indonésie. C’est un jeu comptable.»
Sputnik France: Les Européens sont-ils les grands perdants de cet accord commercial?
Charles Gave: «Ce n’est pas du tout exclu. Un autre pays devrait être sensiblement touché, c’est aussi le Brésil. Par exemple, les exportations de soja brésilien en Chine sont considérables. Plutôt que d’acheter au Brésil, les Chinois décident d’acheter aux États-Unis pour avoir la paix, l’économie brésilienne risque d’en pâtir un peu aussi.
C’est ce qui est très difficile dans le commerce international, c’est quand on commence à passer de relations multilatérales à des relations bilatérales, vous avez quelque part des victimes innocentes. C’est l’une des possibilités et l’une des conséquences que ce Trump appelle, “America first”. Il s’en fout que le Brésil ou l’Europe aient des problèmes, ce n’est pas son sujet.»
Sputnik France: Comment l’Europe peut-elle riposter?
Charles Gave: «Elle ne peut pas. À partir du moment où la quasi-totalité de ce commerce se réalise en dollars, que le dollar est de plus en plus en plus sous le contrôle juridique des États-Unis par l’extraterritorialisation du Droit américain, les intérêts américains sont parfaitement au courant de ce que font les Européens en temps réel. Les Américains vont donc surveiller ça de près.
Par exemple, les Européens viennent d’entamer la procédure pour que l’Iran soit considéré comme en faute dans le cadre de l’accord sur le nucléaire, car les Américains ont demandé aux Européens de mettre en place cette procédure et de l’accélérer. Du coup, l’accord passé avec l’Iran devient complètement caduc. Et il paraît que les Américains auraient menacé de droits de douane sur les voitures européennes si les Européens ne s’exécutaient pas. Vous imaginez l’enthousiasme de l’Allemagne à cette idée.»