Violences policières: «à partir du moment où on fait open-bar à l’impunité, certains en profitent»

Après plus d'une année de mobilisation sociale dans la rue en France, le bilan des blessés par les forces de l’ordre est lourd. Face aux images de violences relayées sur les réseaux sociaux, Emmanuel Macron et le gouvernement semblent enfin ouvrir les yeux. Sputnik a interrogé l’essayiste Philippe Pascot, figure des Gilets jaunes.
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Des «comportements, pas acceptables, ont été ou vus ou pointés», car ils peuvent «atteindre la crédibilité et la dignité» des forces de l’ordre. «Il ne faut avoir aucune complaisance», s’est exclamé Emmanuel Macron le 15 janvier en déplacement à Pau. Quelques heures auparavant, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, a appelé les policiers à «l’exemplarité». Des propos qui n’ont pas plu aux syndicats policiers, rappelant le suicide le 13 janvier de deux agents et la mort d’un autre. Même si Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, a refusé de parler de «violences policières».

​Une rare prise de parole venant de l’exécutif alors que de nombreuses vidéos de «violences policières» circulent ces derniers jours sur les réseaux sociaux, qui ont suscité une nouvelle vague de protestations. Le 5 janvier, Cédric Chouviat est mort d’un arrêt cardiaque, après avoir été interpellé vigoureusement et plaqué au sol par la police. Le 9 janvier à Toulouse, une femme déjà interpellée, a trébuché après avoir été victime d’un croche-pied d’un policier.

Sputnik a interrogé Philippe Pascot, auteur de Mensonges d’État (Éd. Max Milo) et fervent soutien des Gilets jaunes. Il pourfend les méthodes de «nervis» de certains policiers, mais surtout les ordres donnés par leur hiérarchie, ainsi que l’attitude du gouvernement.

Sputnik France: Comment réagissez-vous face à ces «violences policières», infligées notamment aux manifestants contre la réforme des retraites?

Philippe Pascot: «J’étais aux manifestations de jeudi et de samedi. J’ai quand même un certain âge et c’est la première fois de ma vie, j’ai fait un paquet de manifestations, que j’ai vu des policiers, des représentants de l’État, frapper des gens sans raison. C’est-à-dire, que je les ai vu charger des manifestants totalement pacifiques, des personnes âgées et les matraquer sans raison.

C’est quoi, cette police qui devient de véritables nervis au service d’un gouvernement méprisant? Je n’arrive pas à comprendre. Je ne dis pas que tous les policiers sont des fascistes et des matraqueurs, je dis qu’à partir du moment où on fait open-bar à l’impunité, il y a un certain nombre de policiers qui en profitent. C’est vrai, ils reçoivent de temps en temps des pavés, mais c’est une escalade. En plus, ils sont payés et formés pour rester calmes. Ils ne sont pas formés pour matraquer un peuple pacifique.»

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Sputnik France: Depuis novembre 2018, début de la mobilisation des Gilets jaunes, comment le comportement des forces de l’ordre face aux manifestants a-t-il évolué?

Philippe Pascot: «ça a mal évolué. Tout a évolué dans le mauvais sens, au lieu d’écouter le peuple qui souffre de plus en plus. Je rappelle que malgré les violences, malgré les yeux éborgnés, malgré les mains arrachées, malgré les frappes répétées et successives, il y a encore beaucoup de monde dans les rues. Ça ne fait qu’augmenter. Au lieu d’apaiser, ça attise.

Par exemple, le gaz lacrymogène. J’ai connu des manifestations où le gaz lacrymogène vous piquait la gorge, maintenant ça vous rend malade pendant quinze jours. J’ai connu des manifestations où des policiers respectueux vous repoussaient ou ciblaient les casseurs. Je trouve très bizarre que sur tous les gens qui vont aujourd’hui en prison et sont condamnés à l’emporte-pièce, c’est vachement bizarre, on ne trouve pas un seul véritable black bloc. Bizarrement, les vrais casseurs, ceux qui balancent des pavés sur les flics ne sont jamais condamnés. Ça pose quand même un problème.»

Sputnik France: Emmanuel Macron a promis de se montrer «intraitable» et de ne montrer «aucune complaisance». Qu’en pensez-vous?

Philippe Pascot: «La complaisance, il l’a depuis un an. La complaisance, il l’a pour Benalla. La complaisance, il l’a pour ses ministres qui ont, quelque part, mis les mains dans la confiture et qu’il couvre les uns après les autres. Il veut qu’on le croie, mais qu’il passe aux actes!

Ils vont sans doute punir un lampiste, mais ça ne sert à rien. Le lampiste a sans doute obéi à un ordre, le lampiste a obéi au fait qu’il y ait un type dans un QG qui lui dit “vas-y, frappe sur les manifestants” et les gens frappent. On voudrait bien y croire. On aimerait bien qu’il soit déjà moins méprisant par rapport au peuple.

Tous les policiers ne sont pas des pourris. De nombreux policiers sont respectueux, j’en connais plein. Je peux vous assurer que ce sont des gens qui font leur boulot proprement. Le problème aujourd’hui, c’est qu’il y a une pente, l’impunité mise en place et le phénomène de groupe, de meute. Quand il y en a un qui tape, les autres commencent à taper aussi.»

Sputnik France: Les syndicats de police ont rappelé les conditions de travail très dures et les suicides fréquents parmi les forces de l’ordre. Comment jugez-vous la situation des policiers dans la globalité?

Philippe Pascot: «Oui, comme à la Poste, comme dans les hôpitaux, comme les infirmières. Aujourd’hui, l’ensemble des professions, y compris les policiers, sont maltraitées. Et eux, ils n’ont pas trop à se plaindre. Je vous rappelle que pour les retraites, ils vont rentrer dans les secteurs spécifiques. Même si vous êtes fonctionnaire et que vous travaillez dans un bureau durant toute votre carrière de policier, comme par hasard, vous pourrez partir à 52 ans.

Donc ils sont quand même relativement protégés par le gouvernement parce que c’est le dernier rempart qu’il a pour ne pas sauter. Mais de toute manière, toutes les professions souffrent, y compris les policiers. Je regrette que les policiers soient obligés de se suicider. Le dernier s’est donné la mort avec son arme de service à l’intérieur du commissariat. Ça pose problème. Comme d’habitude, les gens qui nous gouvernent ferment les yeux, vont chercher des excuses. Ils vont monter des fameuses cellules psychologiques d’écoute, pour finalement ne rien écouter. Ils entendent, mais ils n’écoutent rien.» 

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Sputnik France: Selon vous, comment le gouvernement peut-il mettre un terme à ces «violences policières»?

Philippe Pascot: «La première des choses à faire, c’est le retrait de cette loi félonne sur la retraite qu’il est en train d’essayer de mettre en place et qui ne veut plus rien dire. Une retraite soi-disant universelle qui va, en fin de compte, ne servir que quelques-uns et desservir l’ensemble des autres. Vous rendez-vous compte que les gens vont toucher jusqu’à 400 euros de moins sur leur retraite? Mais c’est une honte. Qu’il commence à apaiser plutôt qu’à attiser! Qu’il commence à ne plus faire des déclarations à l’emporte-pièce où il dit qu’en fin de compte que la souffrance du peuple, il n’en a rien à faire, lui a raison, c’est un dieu. C’est une honte, la façon dont il traite les gens depuis un an.»

Sputnik France: Qu’est-ce qui doit être spécifiquement modifié pour punir ces «violences policières»?

Philippe Pascot: «A partir du moment où il y a des violences policières avérées et inutiles, ces gens-là devraient être punis au même titre qu’ils punissent les soi-disant casseurs. Parce qu’il n’y aucune black bloc véritable qui a été mis en prison. Si jamais il y a une faute, qu’elle soit punie, mais aujourd’hui, les fautes ne sont même pas répertoriées ou sont classées sans suite.»

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