FN Herstal: l’industrie française de l’armement abattue par un fusil belge?

Les tireurs de précision de l’armée française sont sur le point de recevoir le SCAR, de FN Herstal, un fusil germano-belge. Un coup dur de plus pour l’industrie de l’armement léger en France, incapable de s’adapter aux contraintes de ce marché particulier. Le député Joachim Son-Forget, membre de la Commission de la Défense, nous les a expliquées.
Sputnik

Encore une info qui désespère les partisans du patriotisme économique. Après l’annonce de 75.000 pistolets Glock et celle, l’année passée, de fusils d’assaut Heckler & Koch (HK) qui ont remplacé les FAMAS, c’est au tour des fusils de précision de l’armée française de ne plus être estampillés «Made in France». Et comme le FAMAS, c’était la manufacture d’armes de Saint-Étienne, fermée en 2001, qui produisait le fusil de précision FR-F2 qui équipait les unités françaises depuis 1986.

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Le fusil français sera donc remplacé, dès 2020, par le fusil SCAR du Belge FN Herstal, manufacturier épaulé par le belge OIP Sensor Systems et l’allemand Telefunken-Racoms pour l’optique, et doté de munitions allemandes de la société MEN. En tout, 2.650 fusils seront livrés, pour une somme «de l’ordre d’un million d’euros».

Assurer la supériorité sur le champ de bataille 

Bien sûr, le besoin s’en faisait cruellement sentir. On dit que les tireurs de précision sont «les yeux du chef de section»: autant observateurs que protecteurs de leur unité, ils doivent pouvoir neutraliser un adversaire à 800 m –500 m de plus qu’un fusil d’assaut. Il en va donc de la conservation de la supériorité sur le champ de bataille. Lors de la tragique embuscade d’Uzbin en 2008, les talibans, à l’abri et en surplomb, avaient en effet pris le temps de viser les officiers et les médecins.

En effet, «tous les ennemis ne sont pas aveugles la nuit, surtout au Moyen-Orient», nous explique le député Joachim Son-Forget, membre de la commission de défense de l’Assemblée nationale, mais aussi compétiteur en tirs tactique et de longue distance.

FN Herstal: l’industrie française de l’armement abattue par un fusil belge?

Le député connaît le dossier sur le bout des doigts. Seulement trois candidats étaient en finale. L’Italien Beretta avait jeté l’éponge et l’Allemand Heckler & Koch n’était pas de la partie, en raison de «problèmes de saturation»: «ils ont déjà du mal à livrer de petites quantités de fusil s HK 417, et se murmure un projet de rachat de la société», nous précise Joachim Son-Forget. Le Tchèque CZ avait quant à lui proposé le fusil Bren 2, déjà utilisé par le Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN) dans sa version assaut, mais qui n’a pas été retenu.

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«Le plus coûteux, c’est l’optronique», nous résume Joachim Son-Forget. Selon lui, les observateurs sont trop souvent obsédés par l’arme, alors que le défi était surtout celui de la lunette. Optique et électronique complexes font de la lunette d’un fusil de précision un bijou de technologie, permettant de neutraliser l’adversaire, de jour comme de nuit. Dans ce marché de pointe, les candidats sont peu nombreux et la concurrence particulièrement rude: «les coûts de fabrication d’une arme sont négligeables par rapport au matériel de l’optronique, c’est ça le facteur discriminant».

Plusieurs Français étaient candidats pour l’optronique des fusils, mais ne seront pas retenus: Scrome, qui équipait déjà les optiques de l’ancien fusil FRF2, et s’était associé à Thalès pour commercialiser en 2016 la lunette de précision Cecile-TS, mais aussi Safran, écarté de manière regrettable selon Son-Forget: «le comble, c’est que le FN-Scar, avec les mêmes munitions MEN et la même lunette de jour Schmidt & Bender, était proposé selon deux offres concurrentes, l’une avec Safran Optronics et la seconde avec ceux qui ont remporté le marché!»

Peut-être ne mesure-t-on pas les conséquences pour le développement de l’industrie de pointe française:

«Je ne remets pas en question la DGA, mais j’aurais préféré que ça soit des entreprises françaises qui travaillent pour l’optronique. Safran offrait un matériel intéressant, qui aurait pu ouvrir des voies de développement pour l’industrie française. Quand vous faites travailler Thalès ou Safran, c’est quand même cette dernière qui travaille.»

En fin de compte, les sociétés d’optronique qui ont remporté la mise, le Belge OIP Sensor Systems et l’Allemand Telefunken-Racom, sont en réalité des filiales de l’Israélien ELBIT:

«Les gagnants, ce sont des Israéliens qui utilisent des sociétés d’implantation européenne. C’est en réalité une victoire d’ELBIT contre Safran Electronics & Defense, et contre Scrome et Thalès».
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C’est donc le SCAR qui l’a emporté avec son optronique allemande, malgré quelques faiblesses: «c’est une bonne arme, mais c’est un fusil qui est lourd». Or, c’est un point clé: «l’obsession pour équiper un fantassin, c’est l’emport» constate Joachim Son-Forget, qui souligne l’ampleur de l’enjeu: «ce n’est pas pour rien qu’on essaie de développer des exosquelettes pour réduire le poids du matériel ou que des opérateurs des forces spéciales partent plus légers qu’avec un système félin».

Le système optique est ici crucial: «il y a une loi de proportionnalité entre le poids de l’arme et la résolution. On fait un choix d’équiper notre armée avec du matériel qui pose des problèmes d’emport, quasiment d’ancienne génération!» Une désuétude annoncée? «En termes de pixels, la résolution sur ces capteurs optroniques elbit est de l’ordre de 17 microns et le standard US est de l’ordre de 10 microns». Ces derniers sont donc déjà plus précis, et moins lourds. Une désuétude aussi annoncée que précoce?

L’échec de Verney-Carron, une PME lâchée par l’État?

Du côté de l’arme, c’est aussi un échec français. Verney-Carron, une PME stéphanoise spécialisée dans l’arme de chasse, mais cherchant à se diversifier dans les armes de guerre, avait proposé un modèle, baptisé le VCD10, et développé à partir de l’AR-10 américain. Encore fallait-il installer une optique. Son chiffre d’affaires trop faible l’avait exclue de l’appel d’offres du fusil d’assaut, et la même raison a prévalu ici: la petite entreprise française ne disposait pas du «chiffre d’affaire suffisant, même si elle s’était organisée pour pouvoir être candidate», selon Joachim Son-Forget. «Ils sont parvenus à produire un AR-10 avec leurs partenaires, mais ce fusil restait banal», et la PME était donc, malheureusement, dans l’incapacité de «démontrer sa capacité de production de masse»:

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«Leurs armes de chasse sont magnifiques mais ils n’avaient aucune chance de gagner cette compétition, et encore moins en l’absence de soutien de l’Etat, qui estime depuis longtemps que l’armement léger et les munitions de petit calibre, ce n’est pas stratégique.»

Verney-Carron est le dernier producteur français dans le secteur, à l’exception notable de PGM à Annecy, «mais qui produit des carabines à verrou, pas des semi-automatiques, et qui du reste produit le bi-pied du SCAR». Ce résultat est-il une défaite française, et même un coup de grâce pour l’industrie française d’armement léger? L’absence totale de soutien à cette production en France a des conséquences considérables, mais des causes précises. «Il y a eu un démantèlement voulu des manufactures d’armes de St-Etienne. Manurhin a aussi été revendu, mais faisait des revolvers»: ainsi n’y a-t-il plus de fabriquant d’armes automatiques ou semi-automatiques compétitif en France. Une chose «assumée par la Direction Générale de l’Armement»:

«Il n’y a pas de soutien sur les petits matériels, qui ne sont pas considérés comme des produits à forte valeur ajoutée. Le savoir-faire n’étant plus existant, c’est aujourd’hui assumé de ne pas soutenir les munitions ou les armements légers.»

Mais cela ne s’est pas fait par hasard. Pour Son-Forget, l’échec du FAMAS fut crucial: «il ne s’est pas exporté. On l’a remplacé parce que remplacer les pièces, percuteurs et chargeurs, coûtait plus cher que d’acheter un nouveau fusil». Et le député-tireur d’approfondir les conditions d’existence d’une industrie de l’armement léger:

«Pour qu’elle puisse exister, il faut mener des recherches et du développement (R&D) et une production qui rapporte: il faut donc exporter, et beaucoup. L’industrie française n’a aucun marché intérieur qui permette de survivre. Ce n’est pas cas des États-Unis: quand ils font un programme d’essai dans leurs forces, cela s’élève quelquefois à plus de 10 millions de dollars pour une nouvelle arme, ce qui permet de concevoir des prototypes. Sans compter le marché civil. C’est donc soutenable.»

Une situation bien plus difficile en France. Les entreprises françaises dépendent pour leur survie d’un contrat d’export: «elles ne peuvent survivre qu’avec le marché domestique, ni même faire de développement». À la question de savoir s’il faudrait un effort de la puissance publique, le député y répond par une autre: «on peut le regretter, mais la France a-t-elle les moyens de poursuivre tous les lièvres?»

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Les tendances au sein de l’armement «sont faites par ceux qui tirent beaucoup». Ainsi «la mode et la R&D se font-elles ailleurs, notamment aux États-Unis». Alors quelle sera la prochaine tendance selon le député? L’adaptation d’un calibre intermédiaire de 6,8 mm, entre la précision des munitions de 5,56 mm type Famas et la puissance des 7,62 mm type Kalashnikov. Et encore, détaille-t-il, passionné par le problème: «les calibres en 6,5 mm pour les tireurs de précision et les mitrailleuses légères, et les calibres cheytac pour les tireurs d’élite pour remplacer à la fois le 338 Lapua Magnum et le 12.7mm». Ces évolutions sont dans la lunette du fusil du Député. Pour lui, pas de doute: ce sont d’autres industriels étrangers qui seront les premiers trendsetters.

 

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