«Nous» au cinéma, un regard jeune sur une dystopie russe centenaire

Le roman «Nous», d’Evgueni Zamiatine, célèbre précurseur des anti-utopies d’Orwell et de Huxley, n’a rien perdu de son actualité cent ans après sa parution. Dans un entretien avec Sputnik, le jeune réalisateur Hamlet Dulyan, qui vient de l’adapter au cinéma, donne sa vision de la modernité de l’œuvre, écrite en pleine guerre civile russe.
Sputnik

Il y a tout juste 100 ans, Evgueni Zamiatine publiait son roman dystopique et intimiste «Nous». Une œuvre que les critiques qualifièrent souvent de vision prophétique de notre monde, même si la société actuelle n’applique pas (encore?) un contrôle aussi totalitaire de la personnalité que l’a décrit le célèbre écrivain russe. Malgré une palette internationale d’écrivains –George Orwell, Ray Bradbury, les frères Strougatski, entre autres– qui ont développé le concept, ce roman écrit en pleine guerre civile russe reste particulièrement moderne et continue à inspirer les artistes.

Le jeune réalisateur d’origine arménienne Hamlet Dulyan, qui trouve que «les thèmes évoqués dans le roman “Nous” sont éternels», s’est attaqué à l’adaptation cinématographique du roman, qui doit sortir sur grand écran cet automne 2020. Le réalisateur considère que «philosophiquement, l’histoire racontée serait toujours pertinente».

«Nous» au cinéma, un regard jeune sur une dystopie russe centenaire

Le film se déroule à partir de la fin du roman: 200 ans se sont écoulés après la «Grande Guerre», qui a conduit à la disparition de presque toute la population de la surface de la Terre. Les (beaux) restes de l’humanité vivent dans un parfait «État Uni». Tout comme à la fin du roman, le héros principal, l’ingénieur D-503 considère la «vie planifiée» comme idéale et la glorifie, investissant toutes ses forces et son talent dans la construction d’un vaisseau spatial ultra-puissant. Mais sa rencontre fortuite avec la femme I-330 bouleverse complètement les conceptions intimes de D-503.

«Le bonheur et la liberté, l’Homme et l’État, ces sujets ont touché et toucheront toujours les gens, raconte à Sputnik Hamlet Dulyan. Le roman “Nous” est un mélange de parabole et d’œuvre philosophique, il concentre l’attention du lecteur sur ces sujets “éternels”. Tout en poussant la narration vers l’absurdité, l’auteur met en garde contre les dangers sociaux surgissant dans la société moderne.»
«Nous» au cinéma, un regard jeune sur une dystopie russe centenaire

Heureusement, si on regarde attentivement la mode de vie dans les sociétés du début du XXIe siècle, nous ne trouverons pas de correspondances exactes avec le contenu du livre. Mais reste-t-il une place pour un homme, ses sentiments et ses pensées dans le monde qui apparaît dans l’espace fantastique du film?

«Le roman en parle précisément: de l’homme dans un avenir post-apocalyptique, de ses émotions et ses sentiments, d’une transformation spirituelle et de ses pensées, précise Hamlet Dulyan. La composante philosophique pour moi est fondamentale, tant dans le roman que dans le film, il était important pour moi de la garder. Ce qui fait que le film serait un mélange de dystopie, de thriller fantastique et de drame social.»

Anti-utopie: réalité parallèle de la Russie des années 1990
Même si les sociétés ne contrôlent pas encore leurs membres comme Zamiatine l’avait imaginé il y a cent ans, les gadgets rentrent de plus en plus dans notre vie privée et les acteurs qui jouent les rôles clés du film sont les parfaites proies d’une pieuvre technologique numérique. «J’aurais aimé qu’Evgueny Zamiatine assiste au tournage», a confié le réalisateur à un média russe. Mais l’écrivain aurait-il reconnu ses héros dans leur incarnation cinématographique? «J’espère vraiment que oui, assure le réalisateur.»

«Nous avons approché avec attention le transfert d’images du livre à l’écran. Dans l’incarnation artistique de certains personnages, nous avons suivi les descriptions précises de l’auteur. Nous étions encore plus rigoureux sur le scénario. Mais Zamiatine a laissé un libre champ d’imagination au lecteur. Ainsi, vous verrez notre vision subjective, qui ne prétend pas être une vérité absolue», assure le réalisateur.

Hamlet Dulyan a réussi à réunir un ensemble des jeunes acteurs qui «rêvaient d’une adaptation du roman» et qui «lui faisaient absolument confiance». Egor Korechkov, encore inconnu du grand public, qui interprète le rôle principal de D-503, est vu par le réalisateur comme «un artiste intelligent»: «Il a écrit toutes ses notes dans un cahier, j’ai vu sa transformation –elle était incroyable!» assure le réalisateur.

«Egor Korechkov, Elena Podkaminskaia, Phillip Yankovsky, Yuri Kolokolnikov, Mariana Spivak, ce n’est qu’une petite partie de l’ensemble d’acteurs, sont entrés avec facilité dans l’univers de l’État Uni et y ont insufflé une vraie vie, se réjouit Hamlet Dulyan, avec certains nous avons discuté en détail de chaque virgule!»
Discuter