Le 2 janvier, tout juste deux semaines après avoir pris ses fonctions, le nouveau chef de l’État algérien Abdelmadjid Tebboune a nommé son premier gouvernement. Les 39 membres sélectionnés, dont beaucoup d’anciens ministres de l’ex-Président Abdelaziz Bouteflika, vont avoir fort à faire, à en croire l’analyse d’Alexandre Milicourtois.
Depuis le 16 février 2019, l’Algérie est secouée par de régulières manifestations. Au départ, les citoyens en colère demandaient le départ d’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis de nombreuses années et qui souhaitaient se présenter pour un nouveau mandat. Devant la ténacité de la foule et la défection de l’armée nationale populaire, Abdelaziz Bouteflika a démissionné le 2 avril 2019.Après un long processus, c’est finalement Abdelmadjid Tebboune qui a pris ses fonctions en tant que nouveau Président le 19 décembre dernier. Abdelmadjid Tebboune est aussi l’ancien Premier ministre de Bouteflika, ce qui provoque la colère de nombreux Algériens qui souhaitaient un réel changement de paradigme politique.
En plus de ces tensions sociopolitiques, l’économique algérienne va mal, notamment son secteur public, comme le note Alexandre Milicourtois:
«Les entreprises publiques qui génèrent encore près de la moitié de la valeur ajoutée industrielle sont moribondes. En 2018, le niveau de la production manufacturière publique représentait à peine plus de la moitié de celle de 1989, quant au taux d’utilisation des capacités de production, il montre une sous-utilisation structurelle des installations.»
Il rappelle également qu’en 2018, 29% des jeunes Algériens âgés de 16 à 24 ans étaient au chômage. Un chiffre deux fois plus important que celui de la moyenne nationale. Et d’après Alexandre Milicourtois, les chiffres pour 2019, pas encore connus, devraient montrer «une nette détérioration, d’après les déclarations alarmantes faites en novembre dernier par le président du Forum des chefs d’entreprise, la principale organisation patronale du pays».
D’après l’analyse d’Alexandre Milicourtois, les difficultés dans le secteur public sont loin d’être rattrapées par un secteur privé «trop petit, qui peine à se développer» à cause du «poids de l’administration, de la corruption et du lobby des importateurs» qui «bloquent son développement»:
«Principalement présent dans les activités peu ouvertes à la concurrence internationale, le tissu productif privé est en fait composé à 90% de microentreprises à caractère familial qui opèrent bien souvent dans le secteur informel. Quant aux grandes sociétés privées, elles sont peu autonomes, le plus souvent liées à l’appareil politique et à l’armée, avec qui elles entretiennent des relations parfois douteuses. Le procès pour corruption de deux anciens Premiers ministres, de plusieurs ministres et hommes d’affaires emblématiques montre à quel le système est gangrené de l’intérieur.»
Alexandre Milicourtois pointe également du doigt le modèle économique de l’Algérie. Basées sur les exportations de gaz et de pétrole, dont l’Algérie est un producteur d’importance, les performances de ce dernier sont très dépendantes des fluctuations des cours des matières premières.
«Tant que la rente pétrolière et gazière permettait d’acheter la paix sociale à coups de subventions, tout le système tenait. Mais c’est un système construit sur la seule performance du secteur des hydrocarbures, donc de leurs cours. Il suffit donc que les prix du Brent –pris comme proxy de l’ensemble des prix internationaux des hydrocarbures– chutent, pour que le solde courant vire au rouge.Or, les cours ont commencé à dévisser en 2014, année où il sont passés de près de 110 dollars en janvier à 60 en décembre. 2014, année où le solde courant algérien a entamé sa descente aux enfers. 2014-2019, ce sont donc six années de plomb –du jamais vu depuis le début des années 80– et 2020 ne s’annonce pas mieux. À ce rythme-là, les réserves de changes s’épuisent très vite, passant de 194 milliards de dollars en 2013 (soit l’équivalent de trois années et demie d’importations) à moins de 80 en 2018 (soit moins de deux années d’imports)», explique le directeur de la conjoncture et de la prévision de Xerfi.
L’Algérie fait donc face à un problème de taille. Et la colère de la rue n’est pas prête de s’apaiser, selon Alexandre Milicourtois: «à cette vitesse, les caisses seront rapidement vides. Or les réserves de change sont vitales pour un pays dont la monnaie n’est pas convertible et dont l’accès au marché international des capitaux est limité ou inexistant. C’est donc un véritable mur qui se dresse devant le nouveau président, l’économie est en totale décompensation et l’argent du pétrole n’achète plus la paix sociale.