Bernard Njonga, le défenseur du monde agropastoral au Cameroun

Ingénieur agronome et homme politique, Bernard Njonga est un ardent défenseur du monde agropastoral. Cet activiste, président de l'association Croire au Cameroun (CRAC) et candidat à l’élection législative de février 2020, veut porter la voix du paysan au Parlement camerounais. Entretien.
Sputnik

À 64 ans, Bernard Njonga s’est fait l’âme du monde agricole au Cameroun. Ingénieur agronome de formation, diplômé de l’institut de recherche agronomique, le directeur de publication du mensuel La Voix du paysan est un ardent défenseur de l’agriculture camerounaise. Ce fils de pasteur et d’une mère agricultrice né à Bangoua, à l’ouest du Cameroun, travaille depuis plusieurs années au développement du monde agropastoral. Ami de l’altermondialiste français José Bové, il est aussi connu pour avoir dénoncé les détournements de fonds dans la filière maïs et l’introduction des OGM lorsqu’il dirigeait l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic).

Bernard Njonga milite également contre l'importation et la consommation du poulet congelé au Cameroun. Aujourd’hui à la tête de Croire au Cameroun (CRAC), son parti politique, après son retrait de la course pour la dernière présidentielle, il est candidat à l’élection législative du 9 février prochain au Cameroun. L’activiste compte porter la voix du monde agricole au Parlement.

Dans cet entretien accordé à Sputnik, Bernard Njonga retrace les grandes lignes de sa lutte pour le développement du monde agricole  et son futur challenge politique.

Bernard Njonga, le défenseur du monde agropastoral au Cameroun

Sputnik: Vous êtes considéré comme un fervent défenseur du monde agricole au vu de vos multiples combats. Comment est née cette passion pour l’agriculture?

Bernard Njonga: «Ma passion est née de ma mère, que j’accompagnais toujours dans les travaux champêtres. Le champ était l’élément central de sa vie: c’était là qu’elle se réalisait et s’épanouissait. Mon père étant totalement absorbé par ses activités pastorales, c’est ma mère qui cultivait. Elle maîtrisait tout: la production, mais aussi la conservation, la transformation, la vente et surtout la gestion des réserves familiales. Les enfants participaient tout naturellement au travail agricole. Nous étions, deux de mes sœurs et moi avec parfois des cousins et cousines, tenus de participer à presque toutes les tâches champêtres aux côtés de notre maman: défricher, butter, semer, sarcler, récolter, sécher, traiter, conserver, transformer et même parfois vendre. À chaque moment et suivant les types d’activités, mes parents savaient nous encourager et nous récompenser. C’est en vendant les excédents des produits issus de la récolte et de l’élevage que mes parents ont assumé ma scolarité jusqu’à la fin du secondaire. L’agriculture faisait vivre toute ma famille, simplement, mais dignement.»

Sputnik: Vous avez très souvent soutenu que le Cameroun possède des terres  fertiles et diversifiées à travers cinq zones agroécologiques. Mais comment comprendre que le Cameroun soit encore à la traîne en termes de développement en dépit de tout ce potentiel?

Bernard Njonga: «Ce potentiel n'est pas reconnu par les décideurs. Il nous manque une vision politique, un projet de développement qui intègre cette richesse naturelle. Tous les projets qui sont conçus pour le développement de l'ensemble de notre pays ont tendance à ignorer notre potentiel sur le plan agricole. On s’empresse d’investir ailleurs, alors qu'on a des potentialités et des hommes qu’il suffit de valoriser pour produire des richesses.»

Du rêve européen à l’agribusiness, Rhamane Bidima fait sa révolution au Cameroun
Sputnik: L’absence de volonté politique est-elle le seul obstacle à déplorer dans le développement agricole du Cameroun?

Bernard Njonga: «Le problème majeur, c'est la personne qui décide. La personne qui donne l'orientation et qui décide de la direction qu'on prend et des objectifs qu'on se fixe avec ce potentiel et les moyens qu'on investit pour atteindre cet objectif.  Le jour où vous avez quelqu'un qui incarne cette vision-là à la tête du pays, les énergies humaines vont se déployer. La protection, la valorisation des ressources naturelles et de l'environnement, sera une réalité. Il nous manque une personne qui puisse orienter notre développement vers cette vision. Une personne capable de reconnaître la place de l'agriculture dans notre développement.»

Sputnik: À travers un concept que vous avez baptisé «Les 40 mesures pour faire décoller le Cameroun en cinq ans», vous proposez des solutions claires pour sortir le Cameroun du gouffre du sous-développement. En quoi l’agriculture peut-elle être une sérieuse solution à la situation économique du pays?

Bernard Njonga: « Si on regarde les derniers chiffres, on parle de milliers de milliards de francs CFA qu'on dépense pour importer des vivres. Des aliments qu'on pourrait produire localement. Dernièrement, on a accordé 5.000 hectares de terre aux Turcs pour la production du maïs au Cameroun dans l'Adamaoua, alors que les producteurs locaux ne font rien. Les paysans qui manquent de semences sont abandonnés à eux-mêmes. Les producteurs locaux qui ont pour vocation de produire le maïs sont négligés au profit des investisseurs étrangers, ce sont des aberrations qui nous laissent perplexes. Pourquoi ne pas donner la possibilité aux producteurs locaux de travailler sur cet espace? On a les ressources humaines capables de valoriser nos ressources naturelles. Ces décisions politiques vont à l’encontre du chômage des jeunes et de nos producteurs.»

Contre les multinationales qui pratiquent «l’esclavage alimentaire»
Sputnik: Vous avez livré, par le passé, une lutte sans merci contre l’importation du poulet congelé au Cameroun. Quelles étaient vos principales motivations?

Bernard Njonga: «Nous nous sommes battus pour que le potentiel national de production en aviculture ne soit pas galvaudé et que l’on n’importe pas le poulet congelé pour étouffer la filière avicole nationale. Nous avons obtenu les résultats de cette lutte en mars 2006: l'importation des découpes de poulets congelés a été interdite. On a vu comment la filière avicole nationale a décollé. Jusqu'à ce jour, l'élan est resté malgré la grippe aviaire et la négligence des politiques.

Aujourd’hui, les Turcs sont venus produire le maïs pour la production de la provende à vendre aux éleveurs et c'est une autre bataille qui s'annonce. S’agissant de cette provende, le maïs constitue 70% des ingrédients. Ils viennent donc au Cameroun produire ce maïs, pour commercialiser la provende sur notre marché.»

Sputnik: Vous êtes directeur de publication du journal La Voix du paysan. Quel est le positionnement éditorial de votre journal et pourquoi?

Bernard Njonga: «Le journal a été créé en 1988 dans l'optique de partager l'expérience des paysans. Mais très vite, on a compris que si on ne fait pas attention, pendant que l'on se contente de montrer les paysans qui cultivent le haricot, le maïs en milieu rural, les décisions qui affectent sa vie vont être prises sans lui. C'est pour cela qu'on a décidé de se consacrer également à la formation des paysans à une ouverture à la vie sociopolitique de notre pays. On essaie tant bien que mal de garder l’âme du journal. La Voix du paysan a un nombre d'abonnés qui est substantiel. On a une version numérique qui est aussi substantielle en matière d'abonnement. À chaque production, les numéros sont recherchés, et ceci depuis trente ans. C'est bien parce que nous sommes restés fidèles à notre ligne éditoriale.»

«L’octroi du statut spécial est loin de résoudre la crise anglophone au Cameroun»
Sputnik: En 2018, avec votre parti politique CRAC (Croire au Cameroun), vous aviez annoncé votre candidature à l’élection présidentielle avant d’y renoncer peu après. Pourquoi aviez-vous fait volte-face?

Bernard Njonga: «La candidature du CRAC a été retirée pour diverses raisons. Nous n'avions pas encore eu suffisamment de temps pour expliquer notre projet aux producteurs, il n'était pas encore connu, c’était un peu prématuré. La deuxième raison, c'est le climat politique qui ne tournait pas dans le sens du développement. Nous nous sommes heurtés à la politique politicienne et pourtant on s'inscrivait dans une démarche de développement au sein du CRAC.

Aussi, nous avons vu venir un clivage tribal au sein de l’électorat qui n'augurait pas d'une saine ambiance pour cette élection. Pour 2020, je serai député. Ma candidature a été retenue pour les élections législatives dans le Moungo Nord (région du Littoral, NDLR), la liste de notre secrétaire général a été retenue dans le Diamaré (région de l’Extrême-Nord, NDLR). On a quelques municipalités qu'on a briguées. On commence par la base avec les paysans et on évolue crescendo.»

Sputnik : Qu’est-ce qui vous emmène à vous engager politiquement alors que vous étiez jusque-là membre de la société civile?

Bernard Njonga: «La société civile parle, mais n'a pas les moyens d'agir. J'ai porté le plaidoyer jusqu'au top niveau, je discutais avec la Présidence. Mais cela ne me donnait pas les moyens d'agir sur les problèmes directs que nous posions. Et c'est cela le véritable problème de la société civile, il y a des gens aujourd'hui qui viennent me voir pour solliciter un appui financier pour s'intégrer en milieu rural. Je leur dis toujours que je n'ai pas d'argent. Je n'ai pas d'argent parce que j'ai passé mon temps à parler à des murs. Les politiques ne comprennent pas.

L’illustration parfaite, c'est le cas des 5.000 hectares attribués aux Turcs dans l'Adamaoua. Ce travail devait être confié aux paysans locaux. Mes nombreuses batailles contre les poulets congelés et autres me font dire qu'il est important de garder un pas dans la société civile, car cela nous permet de bien comprendre les réalités de nos concitoyens.

Avec Agri’app, Nourane Foster veut connecter les agriculteurs camerounais
Dans le même temps, on essaie de faire un autre pas en politique afin de grignoter quelques moyens pourmettre en application ce que nous avons proposé hier et que personne n'a voulu appliquer. Nous allons construire un plaidoyer, forts de notre expérience en tant que société civile, pour débattre des lois qui vont dans le sens de la valorisation de notre potentiel agricole. Nous voulons porter le combat à un autre niveau, faire en sorte que l’on subventionne l'agriculture sous forme de prime à la production aux paysans. Personne n'a cerné ni accepté le projet dans sa profondeur dans l'administration.

Or, au Parlement, on peut pourtant se battre pour l'obtenir sous forme de loi. Elle sera appliquée. Et les paysans qui font preuve d'engagement et d'inventivité pourraient bénéficier des subventions comme partout ailleurs dans le monde sous forme de prime à la production. On fera des propositions qu'on va défendre, argumenter au fil des débats. Il sera question d'amener les députés des autres groupes parlementaires à comprendre et adopter ce projet. Nous avons besoin de trois communes. En cinq ans, nous allons faire plusieurs modèles de développement dans l'agriculture.  Notre campagne électorale du CRAC se résume à des séances de formation à l'agriculture que nous effectuons village par village.»

Sputnik: Que pensez-vous de la situation politique que traverse le Cameroun? Quel impact sur le plan agricole?

Bernard Njonga: «J'ai beaucoup discuté avec les autres leaders des partis politiques de l'opposition. On ne s'entend pas sur le fond. À mon avis, le véritable problème du Cameroun c'est la pauvreté. En milieu rural des gens peinent à gagner 1.000 francs CFA par jour. Tant qu'on n’améliore pas leurs conditions de vie, ne vous attendez pas à ce qu'ils participent à de grands débats et à de grands combats. Ce n'est pas possible. En milieu rural, le paysan à sa force physique et Dieu lui a donné la nature. Aidons-le à mettre sa force physique dans la transformation de cette nature de manière intelligente. Il n'y a pas de domaine de développement aussi simple que l'agriculture.»

Discuter