«Je ne comprends vraiment pas que toutes les sommes qui sont collectées auprès des Françaises et des Français n’aillent pas au Patrimoine.»
Dans l’hémicycle, lundi 16 décembre, le député Les Républicains (LR), Gilles Lurton, n’a pas caché son indignation après la décision des députés de la majorité de supprimer l’exonération fiscale décidée par le Sénat fin novembre sur les recettes des jeux du «Loto du Patrimoine». Décision prise dans le cadre de la seconde lecture à l’Assemblée du projet de loi de finances (PLF) pour 2020, qui devrait être définitivement adopté jeudi 19 décembre.
«Je pense même que la décision que vous risquez de prendre ce soir risque d’être contre-productive et décourager les Françaises et les Français de participer à ce loto, ce qui serait vraiment très regrettable», poursuit l’élu.
Il faut dire qu’il s’agit là d’un énième rebondissement dans le financement de la sauvegarde du patrimoine en France, qui n’a pas du tout été du goût de Stéphane Bern, chargé de la Mission Patrimoine en péril, à l’origine du Loto du patrimoine. Lancée à la rentrée 2018 avec l’aide d’Emmanuel Macron et de Franck Riester, ministre de la Culture, cette initiative vise à soutenir financièrement la sauvegarde et la restauration du patrimoine français.
Dans les faits, 10% des mises de jeux de grattage et d’un super loto proposés par la Française des jeux (FDJ) sont reversées à la Fondation du patrimoine pour financer la restauration de sites historiques identifiés par la mission Patrimoine en péril. En 2019, 103 sites sur 3.500 signalés ont ainsi été sélectionnés pour bénéficier de cette aide d’urgence.
Un beau pactole pour l’État, généré par des taxes, dont les recettes devaient être «objectivement peu nombreuses» pour reprendre les mots de Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, interrogé par le député Gilles Lurton en octobre dernier sur les bénéficiaires effectifs de cette fiscalité.
Que cela soit au titre de la TVA, de la contribution sociale généralisée (CSG) ou de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), ce sont déjà 10 millions d’euros que l’État entend prélever en 2020 sur les mises d’un loto initialement crée pour pallier aux manquements de ce dernier à financer la préservation du patrimoine national, malgré l’importante charge fiscale qui pèse sur les Français.
Il ne faut pas non plus oublier le finalement de la toute nouvelle Agence nationale du sport (ANS) créée au printemps 2019. En somme, en jouant au Loto pour le patrimoine, les Français contribuent également au financement de cette nouvelle agence du ministère des Sports, qui vise à «accompagner les politiques publiques et porter les objectifs fixés par la ministre des Sports en matière de haut niveau et de sport pour tous», le tout à hauteur de quatre millions.
«Il s’agit de prélèvements qui sont affectés au financement du sport et de la Sécurité sociale. L’État a renoncé aux recettes qui doivent aller à son budget général pour affecter ces recettes à la fondation du patrimoine. En revanche il nous semble déséquilibré de faire porter les exonérations sur des budgets qui sont également des missions d’intérêt général»,
justifait devant les députés Agnès Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances. Un argument loin de convaincre Stéphane Bern qui en réaction a twitté qu’«une telle bêtise est déconcertante», taclant des «taxes mesquines de petits comptables» et estimant à la volée que le gouvernement français «ne comprend rien aux enjeux du patrimoine qui impacte pourtant la vie de 500.000 salariés et attire 90 millions de visiteurs».
L’animateur, chargé de la mission Patrimoine en péril, prévient ainsi qu’il ne lâcherait «rien jusqu’à obtenir l’exonération». Car si «pour l’heure ces taxes sont compensées par des crédits débloqués», comme il le rappelle, «qui peut comprendre cette tuyauterie budgétaire?»
«Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple?» se demandait pour sa part Gilles Lurton devant l’Assemblée, le 16 décembre. «On sent bien qu’il y a là une politique de gribouille», lâchait de son côté Constance Le Grip, députée LR des Hauts-de-Seine, à l’encontre de ce mécanisme de compensation. Estimant qu’il «y a en réalité très peu de clarté» sur le financement d’une initiative pourtant portée par le Président de la République en personne, elle dénonce devant ses pairs «un jeu à somme nulle» qui «n’est pas du tout en faveur du sauvetage du patrimoine»,
«alors qu’on pourrait tout simplement garantir -ainsi que nos concitoyens l’attendent- que les sommes collectées à la faveur du Loto du patrimoine aillent intégralement au sauvetage du patrimoine en France», ajoute la députée.
En effet, un tel mécanisme de compensation peut être remis en cause chaque année par l’Assemblée, d’où la volonté des sénateurs d’avoir voulu garantir par l’exonération de taxes que l’intégralité des recettes du Loto du patrimoine serait bien affectée aux monuments en péril.
Une «balle dans le dos» avait pour sa part dénoncé l’animateur, avant que députés et sénateurs ne s’entendent sur les 21 millions d’euros de crédits supplémentaires à reverser au patrimoine en 2019. Notons qu’il s’agit donc là d’un mécanisme de compensation des coupes budgétaires décidé après la 1re édition du Loto du Patrimoine et non d’une compensation des fameuses taxes maintenues sur ce dernier. Une taxation que le ministre de la Culture, Franck Riester s’est engagé à compenser.
Un peu plus tôt cette année, en novembre, Stephane Bern confiait au micro de Franceinfo être «fatigué, exténué» de devoir se battre «à chaque fois» pour réclamer ce qui est «dû au patrimoine». Nous étions dans la foulée de l’adoption par la chambre haute du Parlement du fameux amendement du Sénat, retoqué par l’Assemblée le 16 décembre. Celui-ci plaidait alors à nouveau pour la suppression de cette imposition «pas très morale» à ses yeux, sur le Loto du Patrimoine, estimant que «toute la part de l’État doit revenir au patrimoine».
Également déniché par notre confrère du site Batiactu, les propos de Stéphane Bern, fin janvier, devant la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. Celui-ci dressait un parallèle entre la précarité de sa mission «pour trouver 20 millions d’euros pour les églises» - faisant appel à la générosité des Français - et les plus de 500 millions d’euros d’argent public qui avaient été accordés pour restaurer le seul Grand Palais à Paris.
Quelle que soit la pérennisation des promesses faites à Stephan Bern sur le financement du sauvetage du patrimoine, cette décision de la majorité arrive politiquement au pire moment. Celui où l’exécutif chercher à donner des gages aux Français. Dans le cadre de la réforme des retraites, les membres du gouvernement et de la majorité entendentent notamment convaincre que la valeur du point ne sera pas revue à la baisse par l’Assemblée nationale d’une année sur l’autre.