Entre le Québec et l’Espagne, la guerre des mots fait rage

Même sans être un pays souverain, le Québec pourrait-il entrer en guerre diplomatique avec l’Espagne? C’est en fait déjà le cas. Depuis la condamnation de neuf leaders sécessionnistes catalans en octobre dernier, la Belle Province et le pays de Cervantès entretiennent une relation tendue. Compte rendu.
Sputnik

Québec et Madrid sont à couteaux tirés et les échanges entre la province canadienne et l’Espagne se font de plus en plus acerbes. La pomme de discorde tient en un mot: Catalogne. Un petit retour en arrière s’impose pour comprendre comment on en est arrivé là.

Le 14 octobre dernier, le plus haut tribunal d’Espagne a condamné neuf leaders indépendantistes catalans à des peines de prison allant de 9 à 13 ans. La Cour suprême espagnole a aussi délivré un nouveau mandat d’arrêt international contre Carles Puigdemont, l’ex-Président catalan et principal organisateur du référendum sécessionniste de 2017. En plus des accusations de sédition, quatre des leaders ont été reconnus coupables de détournement de fonds publics et trois autres de désobéissance à l’autorité.

Au Québec, où existe aussi un fort mouvement souverainiste, la nouvelle a beaucoup choqué dans les milieux souverainistes comme fédéralistes, aucun n’étant habitué à ce genre de dénouement. Contrairement au dernier référendum catalan, remporté par le camp du Oui à 90% (taux de participation de 42,4%), les deux référendums québécois (1980 et 1995) se sont soldés par une victoire du Non.

Une sentence très mal reçue au Québec

C’était là le point de départ d’une guerre de mots entre Québec et Madrid. Après avoir semblé quelque peu hésiter, le 15 octobre au matin, le gouvernement autonomiste de François Legault dénonçait la sentence des neuf indépendantistes catalans, ce qui n’allait pas passer inaperçu à Madrid:

«Il n'est pas dans l'habitude du Québec de s'ingérer dans les affaires politiques internes des autres nations. Cependant, le gouvernement du Québec ne peut rester indifférent devant l'ampleur des lourdes peines infligées à des politiciens catalans élus démocratiquement», pouvait-on lire dans le communiqué de presse.

La sentence des leaders catalans est même devenue l’enjeu d’un jour dans la dernière campagne électorale fédérale ayant abouti à la réélection de Justin Trudeau. Questionné à ce sujet, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’était insurgé contre la sentence de la Cour suprême espagnole et «le refus de Justin Trudeau de défendre la démocratie», pour qui il s’agissait uniquement d’une «affaire interne espagnole». Madrid était alors apparu comme un nouvel allié d’Ottawa dans la lutte contre les mouvements sécessionnistes. Madrid avait toutefois choisi de ne pas réagir immédiatement, préférant ne pas s’ingérer dans la campagne canadienne.

Le 27 novembre dernier, tournant le dos à ses homologues indépendantistes de l’Alberta, Yves-François Blanchet a rencontré pour la deuxième fois Carles Puigdemont en Belgique, où il s’est exilé. L’ex-président catalan ne peut d’ailleurs toujours pas séjourner au Canada, les autorités canadiennes refusant de lui accorder son visa électronique. Une situation que le leader catalan vient de dénoncer par la publication d’une lettre ouverte dans laquelle il en profite pour remercier les élus québécois de leur appui. «J’aurais cru que le Canada, qui a toujours joui d’une grande aura d’exemplarité à l’international, se montrerait plus accueillant à mon endroit», écrit-il notamment.

Les souverainistes québécois snobent leurs homologues d’Alberta et tendent la main aux Catalans

Complicité entre Ottawa et Madrid

Le 29 octobre, une motion adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale du Québec a de nouveau provoqué Madrid. Le texte a même été approuvé par le Parti libéral du Québec, une formation pourtant résolument fédéraliste, ce qui lui donne d’autant plus de poids symbolique:  

«Que l’Assemblée nationale déplore la montée des tensions et l’augmentation des violences en Catalogne; qu’elle s’inquiète des peines d’emprisonnement récemment infligées à des politiciens catalans élus légitimement et démocratiquement, des peines très sévères dans un État démocratique européen», peut-on y lire.

La motion sous-entend même que l’Espagne n’aurait pas respecté l’État de droit dans le dossier catalan:

«Que l’Assemblée nationale appelle également au respect des droits et libertés fondamentales de l’ensemble des citoyens et citoyennes de la Catalogne et de l’Espagne».

Le 3 décembre dernier, Madrid a décidé de riposter à nouveau aux attaques diplomatiques de l’Assemblée nationale du Québec et du Bloc québécois. Dans une lettre qui reprend les mêmes éléments que dans une précédente datée du 25 octobre, l’ambassadeur espagnol au Canada, Enrique Ruiz Molero, défend vigoureusement la position madrilène. Selon lui, les élus québécois et bloquistes font une mauvaise lecture des événements en plus d’avoir une vision négative et biaisée de ce pays.

«L'image véhiculée par les détracteurs de l'Espagne est contredite par de nombreux observateurs internationaux respectés, qui affirment sans cesse que l'engagement du pays en faveur de l'État de droit et des valeurs démocratiques est indéfectible», peut-on lire dans les deux lettres.

Dans ses lettres, M. Ruiz Molero conteste aussi l’idée voulant qu’une majorité de Catalans soient favorables à leur indépendance et dénonce la «désinformation».

«Lors des élections locales de décembre 2017, seuls 47,5% des 4,4 millions de citoyens qui ont voté ont appuyé les partis sécessionnistes. Et lors des élections locales de mai 2019, seuls 38,8% des Catalans étaient favorables à la sécession. Il est vraiment inquiétant qu’une minorité veuille imposer ses vues à l’ensemble de la population, affirmant qu’eux et seulement eux représentent les Catalans», souligne l’ambassadeur le 15 octobre.

Rappelons que ce n’est pas d’hier que le Québec et la Catalogne entretiennent des relations pour le moins cordiales. Les deux entités entretiennent des relations bilatérales depuis 1996, année durant laquelle a été conclue une importante entente de coopération économique et culturelle. En 1999, le gouvernement souverainiste de l’ex-Premier ministre Lucien Bouchard a ouvert un Bureau du Québec à Barcelone, l’équivalent d’une ambassade du Québec dans la capitale catalane.

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