Serait-ce la fin d’un rêve canadien? Le 14 novembre dernier, la ville de Toronto égalait un triste record, vieux de 28 ans, en atteignant le nombre de 89 meurtres pour 2019.
«Il est plus facile d’obtenir une arme que d’obtenir un emploi à Toronto», déclarait le 28 novembre dernier à Radio Canada Louis March, fondateur de Zero Gun Violence, un organisme voué à contrer la violence dans la région torontoise.
Sans grande surprise, la plupart des fusillades et homicides à Toronto sont le fruit de membres de gangs de rue. 142 meurtres ont eu lieu dans la l’agglomération de Toronto en 2018 (Greater Toronto Area), une hausse de 50% par rapport à 2017.
Mais quelles sont les causes de ce phénomène? Pour le criminologue Jean Claude Bernheim, des causes sociales expliquent d’abord cette nouvelle flambée de violence. Auteur de plusieurs livres sur des histoires criminelles marquantes, M. Bernheim enseigne la criminologie à l’Université de Saint-Boniface, au Manitoba. Son dernier livre, Meurtriers sur mesure, a été réédité en septembre dernier aux Éditions du Journal de Montréal, et a inspiré une série télévisée très populaire.
«L’augmentation de la violence à Toronto est liée à l’accroissement des inégalités. Les politiques mises en place ces dernières années par les gouvernements fédéraux, provinciaux et municipaux touchant Toronto ne sont pas très progressistes économiquement... Les prestations d’assurance-chômage diminuent depuis des décennies et les prestations d’aide sociale sont nettement insuffisantes», déplore le criminologue au micro de Sputnik.
Jean Claude Bernheim estime aussi que le manque de soins psychiatriques contribue à la dégradation du climat social, un fait pointé du doigt par de nombreux rapports au Canada.
«L’accès aux soins de santé mentale est déficient à Toronto. Cette réalité est dénoncée par une multitude d’associations liées au secteur de la santé. La situation s’est vraiment dégradée dans plusieurs quartiers. Les gens aisés peuvent facilement consulter des psychologues, mais ce n’est pas le cas de l’ensemble de la population. Les gens sont laissés à eux-mêmes par les pouvoirs publics. À Toronto, il y a un grave manque de ressources», poursuit l’expert.
Le criminologue et enseignant pointe également l’accroissement très rapide de la population dans la Ville-Reine et en périphérie. Ville de 2,7 millions d’habitants –6 millions avec son agglomération–, Toronto accueille chaque année des milliers d’immigrés d’origines diverses. Cette réalité démographique contribuerait à faire grimper en flèche le coût des loyers, affectant par le fait même le niveau de vie des gens dans le besoin, parmi lesquels –paradoxalement– de nombreux immigrés.
«Toronto est une ville qui reçoit énormément d’immigration. C’est une ville très attractive sur le marché de l’emploi. Le phénomène est aussi lié à la croissance démographique [...]. Statistique Canada a déjà conclu dans des études qu’il y avait une corrélation entre le nombre de crimes commis à un certain endroit et l’existence de populations marginalisées. Plusieurs crimes impliquent des gens issus de l’immigration, car ils se trouvent dans une situation précaire», précise-t-il.
Jean Claude Bernheim persiste et signe. S’il y a encore moins d’inégalités sociales au Canada qu’aux États-Unis, il estime qu’elles pourraient mener à une situation chaotique si elles continuent d’être ignorées des pouvoirs publics. À tel point que ces inégalités pourraient finir par entacher la réputation du Canada –pourtant considéré comme un eldorado progressiste– à l’international, estime-t-il.
«La criminalité augmente d’Est en Ouest au Canada. Mais quand on regarde les données, on se rend compte que la violence augmente là où il y a des inégalités et de graves problèmes sociaux. Par exemple, les populations autochtones seront statistiquement plus enclines à commettre des crimes. [...] Au Canada, de nombreux politiciens se refusent à commander des enquêtes sur la situation, car c’est une réalité qu’ils ne veulent pas voir», a-t-il conclu à notre micro.